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A propos du protectionnisme : « Ni un clou, ni un fer à cheval » (Colbert)

Plus récemment, à lors de son meeting de Villepinte, le candidat-président Nicolas Sarkozy a exigé de l’Union européenne l’adoption d’une version européenne du « Buy Américan Act » qui impose à l’Etat américain d’utiliser uniquement des « produits fabriqués en Amérique dans les marchés publics » Faute d’une avancée dans les douze mois, « la France appliquera unilatéralement cette règle », a annoncé Sarkozy. Et même chose pour les PME européennes, à qui le chef de l’Etat français veut qu’une « part des marchés publics » soit réservée.
« Le Monde de l’économie » du 27 mars dernier explique que, contrairement à la vision idyllique d’un monde où la spécialisation conduirait au mieux être, le libre-échange total a produit des pertes d’emplois massifs dans les pays développés et dans certains pays émergents comme le Mexique et le Maghreb, une concentration accrue du capital tuant la concurrence et une baisse de la part des salaires dans la richesse nationale sans élever substantiellement le niveau de vie des pays pauvres.
Arrêtons-nous là.
Depuis des lustres notre Parti Communiste Martiniquais se bat pour l’industrialisation de notre pays et l’instauration d’une protection de son marché intérieur et de capacité d’interventionnisme pour le développement, notamment au moyen de la commande publique. Cela figure dans son programme de l’Autonomie de 1963, dans ses propositions à la Convention du Morne-Rouge, etc. Il nous a été invariablement opposé que cela était contraire aux principes de libre circulation des marchandises, des personnes et des biens posé comme un dogme intangible par l’Europe à laquelle nous étions intégrés. De force, faut-il préciser.
Et, à partir des années 1980, les socialistes n’ont pas été les moins acharnés à défendre les avantages du libre-échange (Jacques Delors, Michel Rocard) et à condamner le protectionnisme parce que cela nous conduisait à nous enfermer sur nous-mêmes. Acte Unique, Traité de Maastricht, Traité d’Amsterdam et Traité de Lisbonne ont contribué à nous étrangler. Nous avons en tête les philippiques du Pr Jean Crusol nous taxant de « ringardisme », de « marxisme dépassé ». Puis on nous a fait miroiter les prétendues « dérogations » au libre-échange intégral européen permis par le statut de région dite « ultra-périphérique » européenne contenu dans l’annexe du Traité de Maastricht puis par l’article 299-2 du Traité d’Amsterdam et l’article 349 de l’actuel Traité de Lisbonne. Les aides européennes étaient censées compenser les ravages de l’invasion des produits européens. Hélas, elles menacent de diminuer fortement pour la prochaine période de programmation 2014/2020. Pourtant c’est grâce à des batailles politiques longues et intenses que les pays dénommés DOM ont pu préserver l’embryon de pouvoir protecteur que constitue l’octroi de mer. Cela au prix d’une profonde dénaturation de ce modeste instrument fiscal et de sa mise sous tutelle de la toute puissante et technocratique Commission européenne. Un maintien provisoire qui doit être réexaminé en 2014 par l’Europe. Et, récemment encore, Marie-Luce Penchard a répondu au député Louis-Joseph Manscour qu’il faudrait se résoudre à une nouvelle dénaturation pour que l’octroi de mer soit toléré encore par l’Union européenne. Elle a accusé les élus des DOM d’en faire un mauvais usage en l’utilisant pour les dépenses de fonctionnement des communes au lieu d’en faire un instrument d’investissement. C’est injuste et malhonnête, car les élus et collectivités des Dom n’ont pas la capacité juridique de modifier la répartition du produit de l’octroi de mer. Une fois de plus, nous n’avons pas l’autonomie fiscale dans ce domaine comme dans les autres. Les élus ne peuvent qu’agir sur les taux du tarif et la nature des produits concernés dans des limites étroites édictées par les eurocrates.
C’est un socialiste français, Pascal Lamy, à la tête de l’organisation mondiale du commerce (OMC) qui a démantelé l’organisation commune de marché de la banane (OCM) cédant à la pression des multinationales américaines. Ce qui fait dépendre cette production des aléatoires subventions européennes.
Aujourd’hui le taux de couverture des importations par les exportations est dramatiquement bas : 10,3 % en 2011 contre 14,7 % en 2011. Cela veut dire que quand la Martinique achète pour 10 euros en France et en Europe, ils n’achètent que pour 1 euro à la Martinique. Cela résulte pour l’essentiel du maintien sous des formes nouvelles du « Pacte de l’Exclusif » instauré depuis Colbert, ministre de Louis XIV, et poursuivi dans le cadre de ce qu’il faut bien appeler le « pacte départemental ». Selon ce principe la colonie doit se fournir dans sa « métropole ». « Ni un clou, ni un fer à cheval » ne devaient être produits dans la colonie.
Jean-Luc Mélenchon, le candidat du Front de Gauche, déclare à propos des DOM que l’Union européenne ne propose que le modèle de « l’économie de comptoir ». Pour lui, « Ce modèle assigne aux régions insulaires un rôle de hub de passage des marchandises européennes manufacturée vers des continents désarmés par les accords de libre-échange. A mesure que l’Europe exporte la règle de la libéralisation, ses produits manufacturés se déversent en transit par ses territoires « ultra-périphériques » conçus comme des postes avancés en territoire commercial à submerger. En contrepartie, on concède la liberté de circuler aux produits agricoles. Tout le monde y est perdant. Car les agricultures vivrières sont éradiquées au profit de produits de l’agriculture productiviste, à très bas prix et de mauvaise qualité. On a vu ça pour le cas de la banane, en écrasant toutes les productions locales. Tout ce qui a été construit dans les territoires insulaires de la Caraïbe, mais aussi dans les Océans Indien ou Pacifique, est menacé par cette ouverture généralisée. Elle tue net tout objectif de développement endogène ». La condamnation du système est claire.
Alors si on admet que la France, grande puissance industrielle, est écrasée par la « concurrence libre et non faussée » imposée par l’Europe et doit pouvoir protéger son marché, la Martinique et les autres pays dénommés DOM, pays dominés et exploités, doivent encore plus en avoir la capacité. Ils doivent être dotés des instruments pour protéger leur marché intérieur et ainsi créer des industries de substitution aux importations et progresser vers l’autosuffisance alimentaire. La création d’emplois durables est à ce prix.