Bondamanjak

Affaire Canjet c. Agence Richard Fléchon Voyages Lettre d’une traductrice désabusée à ses compatriotes

Nous apprenons que le vol partira à 2 h du matin au lieu de 1 h 45. L’avion arrive donc. Les passagers de retour de leur séjour débarquent de l’avion. Quelques instants plus tard, deux membres du personnel de bord de Canjet s’approchent de nous et nous annoncent que selon les instructions qu’ils ont reçues du transporteur aérien, l’avion devait normalement repartir à vide vers Toronto, mais qu’après avoir atterri sur le sol martiniquais, ils ont appris, à leur grande surprise, que 29 passagers souhaitant se rendre à Montréal les attendaient!!!

 

Courtois comme savent l’être mes compatriotes québécois, ils nous expliquent calmement qu’ils acceptent de nous amener à Toronto ou nous pourrons alors prendre une correspondance vers Montréal dans la journée. Ils ajoutent que l’Agence de voyages Fléchon n’a toutefois pas prévu de ravitaillement pour le personnel de bord pour le retour vers le Canada, ce qui signifie donc que les passagers improvisés ne doivent pas non plus s’attendre à pouvoir boire ou manger pendant les heures de vol qui les mèneront au Canada, certes, mais pas encore à leur destination finale : Montréal.

Nous, voyageurs un peu perdus à la réception de cette nouvelle, apprenons que nous pouvons donc partir pour Toronto et voir sur place comment faire pour rentrer à Montréal.

L’Agence Fléchon prendra-t-elle en charge les frais pour les billets Toronto-Montréal?

Vous devrez pour cela communiquer avec l’Agence.

À quelle heure pourrons-nous partir de Toronto et à quelle heure arriverons-nous à Montréal?

Vous verrez sur place, plusieurs transporteurs offrent des vols à destination de Montréal, vous ne devriez pas avoir de problème pour rentrer dans la journée.

Le personnel de bord de Canjet répond au mieux aux questions des voyageurs endormis certes, mais bien dans l’embarras. Les étudiants ont du temps devant eux, une escale à Toronto, ce n’est pas bien grave, ça prolonge un peu les vacances peut-être. Les visiteurs qui se rendent à Montréal pour la première fois et qui ne maîtrisent pas l’anglais se demandent peut-être comment ils feront une fois arrivés à Toronto pour trouver leur chemin vers Montréal. Mais je veux croire que la solidarité existant encore chez nous, nos jeunes voyageurs qui parlent anglais sauront prêter secours aux visiteurs inquiets.

Pour ma part, tenue d’honorer un contrat de travail, il m’est impossible de prendre l’avion en direction de Toronto ne sachant pas à quelle heure je regagnerai mon domicile où je pourrai travailler et livrer une traduction à un client canadien dont je tairai le nom, conformément aux normes de déontologie liées à la confidentialité des clients, qui me sont imposées par l’Ordre de Traducteurs, Terminologues et Interprètes agréés dont je suis membre.

Je m’aventure donc à poser les questions suivantes au personnel de l’aéroport qui se trouve en salle d’embarquement :

Existe-t-il une alternative?

Vous pouvez si vous le souhaitez ne pas partir.

Qu’adviendra-t-il du remboursement d’un autre billet pour rentrer ultérieurement. (Il s’agira alors d’un aller simple d’Air Canada étant donné que le vol de Canjet de ce matin était le dernier de la saison estivale).

Vous devrez communiquer avec « Madame Fléchon à ce sujet »

Parfait!

Je me tourne ensuite vers le personnel de bord de Canjet et je remarque chez mes deux compatriotes québécois une expression que je connais : la déception et l’impression de s’être fait berner, mêlée d’une grande humanité et d’un professionnalisme hors pair!

Cherchant à comprendre je finis par apprendre que l’Agence Voyages Fléchon aurait demandé au personnel de bord de Canjet de laisser les passagers embarquer dans l’avion et une fois à bord de leur annoncer qu’ils partaient pour Toronto et qu’en outre ils n’auraient rien à boire ni à manger. La jeune femme qui m’explique cela, en contenant sa colère pourtant visible, ajoute qu’elle a trouvé ces instructions absolument irrecevables et qu’elle a tenu à venir elle-même informer les passagers de la situation et des options qui s’offraient à eux.

Je vous laisse imaginer la foule de sentiments plus intenses les uns que les autres que j’ai ressentis à ce moment précis!!!

Toutes ces données en main, je prends la décision de ne pas partir! Il me faut de toutes les façons travailler et il est hors de question que je n’honore pas mon contrat de traduction parce que le/la responsable d’une agence de voyages a décidé de changer les règles du jeu!

Je me retrouve seule à ne pas embarquer. Les, maintenant 28 passagers, commencent à passer le dernier poste de contrôle de sécurité pendant que j’attends qu’on débarque mon bagage.

Je m’estime très heureuse d’avoir pu prendre cette décision assez facilement parce qu’en Martinique j’habite chez ma famille et que je n’ai pas quitté mon hôtel; parce que je n’ai pas à appeler un taxi pour me rendre je ne sais où à 3 h du matin, mais que je peux simplement passer un coup de fil pour que l’on puisse venir me chercher; et enfin parce que j’ai la chance de pouvoir mener de front mes activités, d’ici ou de là-bas, grâce à un ordinateur et une connexion Internet et que fort heureusement je n’avais pas de rendez-vous professionnel auquel j’aurais dû me rendre en personne aujourd’hui à Montréal!

Je peux véritablement dire que j’avais le choix, mais qu’en est-il de mes 28 autres compagnons infortunés de voyage? Avaient-ils vraiment le choix? Pas Cydrick Féréole en tout cas! Guadeloupéen venu faire la promotion de son restaurant-traiteur dans les îles françaises, il avait un emploi du temps extrêmement serré dans les heures et les jours à venir. Ce « changement de programme » dicté par l’Agence Fléchon Voyages pourrait tout simplement anéantir ses activités des derniers jours, voire entraîner une succession d’événements qui nuiront de façon grave et permanente à son rêve et ses efforts des dernières années qui lui ont permis de devenir l’un des rares représentants de notre gastronomie à Montréal!

Maintenant, entre deux lignes traduites, je me questionne!

Était-ce vraiment une coïncidence que je trouve étrange qu’on nous fasse partir à 1 h 45 (que nous soyons les derniers voyageurs de la nuit dans un aéroport vide) et d’apprendre par la suite que le vol devait tout simplement repartir sans passager!

Était-ce une coïncidence que le personnel à terre de l’aéroport n’ait pas vraiment l’air paniqué, ni surpris quand il nous répondait en chœur, « il faudra appeler l’Agence Fléchon pour régler ça! » Un calme apparent assez déroutant à côté de la panique et du malaise palpables du personnel de bord de Canjet!

Non, la thèse de la coïncidence me convient peu! Après avoir dormi quelques heures et avoir retrouvé une certaine lucidité, j’aurais tendance à croire que l’Agence Fléchon Voyages avait tout simplement manigancé tout cela depuis le début, nous faisant miroiter de bas prix pour le premier et le dernier vols de sa saison estivale. Aujourd’hui je suis désabusée et j’ose à peine croire que mes pensées traduisent en effet ce qui s’est passé, pour tout vous dire j’espère très sincèrement être « complètement à côté de la plaque » et j’espère que les responsables de l’Agence feront taire ces doutes qui m’habitent :

Après avoir fidélisé sa clientèle en offrant, pendant au moins quatre années consécutives (j’ai moi-même profité de cette aubaine en 2008, 2010 et 2011…) des prix cassés aux passagers qui prenaient le premier vol au départ de Montréal en juillet et le dernier vol au départ de Fort-de-France en août, l’Agence Fléchon Voyages aurait-elle décidé de faire cette année une publicité mensongère, sachant pertinemment que le retour du 25 août vers Montréal, n’en était pas véritablement un? A-t-elle en toute connaissance de cause décidé de doubler de la sorte son partenaire Canjet et les 29 passagers à qui elle a vendu du rêve? Non, je me refuse à y croire, pourtant…

J’attends patiemment la suite des événements maintenant, l’Agence Fléchon Voyages va-t-elle nous prouver qu’il s’agissait bel et bien d’une simple erreur et rembourser les 28 voyageurs qui sont partis (pour le billet Toronto-Montréal et les dépenses connexes) et va-t-elle rembourser la voyageuse restée à terre (oui moi) pour l’aller simple qu’elle a dû se dépêcher d’acheter sur le site d’Air Canada à 3 h du matin afin de regagner son domicile et son lieu de travail à la fin de la semaine? Va-t-elle publier des excuses publiques officielles, sur son site Web et personnalisées, à chacun des passagers touchés. Va-t-elle présenter des excuses à Canjet et reconnaître officiellement son grand professionnalisme dans une telle situation? Je l’espère de tout cœur, car l’idéaliste qui se cache en moi ne veut pas croire qu’il s’agisse purement et simplement de malhonnêteté de la part des responsables d’une agence de voyages dont elle faisait encore les louanges il y a quelques mois de cela.

Je me sens personnellement visée par ce fâcheux événement. En effet, outre la publicité mensongère dont je me retrouve l’auteure à mon insu (je m’entends encore : « Oui oui, les amis allez-y, Fléchon a des offres vraiment géniales pendant l’été! »), une situation qui me contrarie déjà en elle-même, aujourd’hui, je partage la colère contenue du personnel de bord de Canjet qui, je n’en doute pas une seconde, s’est efforcé de trouver une solution en quelques minutes à peine pour ne pas léser les passagers et qui ne recevra certainement aucun remerciement de personne pour cela! Je suis outrée par le manque de respect que je crois percevoir dans un tel comportement à l’égard de mes compatriotes canadiens et québécois d’une part, mais également à l’égard de mes compatriotes antillais qui ont subi cette situation qui a sans nul doute généré un grand stress peut-être non exprimé chez certains! Et plus personnellement, je me sens attaquée par une telle audace de la part d’un représentant de l’industrie touristique de notre île. Sachez, chers responsables de l’Agence Richard Fléchon Voyages, que si cette situation a été pensée de bout en bout, VOUS, devrez assumer les conséquences de vos actions. Vous devrez prendre conscience que pour un acte irréfléchi ou peut-être au contraire finement calculé, en quelques minutes à peine vous venez de décrédibiliser de nombreux Antillais établis au Canada qui tentent depuis des années de prouver par leurs efforts, leurs talents divers et variés et leurs valeurs personnelles et professionnelles que ce n’est pas parce qu’ils sont issus d’une île qu’ils ont en eux une nonchalance innée. Je m’adresse au nom de tous les Jeunes Antillais fiers de leur origine qui depuis des années vivent et travaillent à l’étranger et font briller le nom de leurs îles sans faire trop de bruit! Sachez que nous sommes nombreux, répartis dans bien des pays, à essayer de bien faire les choses et à continuer de faire connaître nos îles sous leurs plus belles facettes. Lorsque VOUS, acteur du secteur touristique, vous permettez d’anéantir ainsi des années de travail de fourmis, vous ne faites pas honneur à nos îles! Sachez aussi que pour bon nombre d’entre nous, Jeunes expatriés, ce qui nous retient parfois à l’extérieur, c’est précisément le manque de rigueur et de respect de la part des personnes qui auraient dû nous montrer l’exemple avant tout! Lorsque nous découvrons à l’étranger que la liberté de l’un n’enfreint pas nécessairement celle de l’autre, grâce à de bonnes valeurs civiques, personnelles et professionnelles, il nous est bien difficile, malgré tout l’amour que nous portons à nos familles et nos amis qui vivent dans nos îles, de revenir nous y installer et de subir ce type de comportements en sachant qu’il nous sera presque impossible de changer les choses. Sachez que la fuite des cerveaux antillais, comme on entend souvent, ne vient pas simplement du fait que ces dits cerveaux ont simplement envie d’aller voir si le jardin des autres est plus vert, mais qu’il s’agit parfois simplement d’une fuite obligée qui relève tout simplement d’un sentiment de désarrois et d’impuissance face à des actions comme celle dont nous (mes compatriotes québécois/canadiens et mes 28 compagnons de voyage) avons été victimes il y a à peine quelques heures de cela! Sachez enfin que c’est les larmes aux yeux que j’ose croire que vous avez délibérément planifié tout cela, car il n’y a vraiment pas de quoi être fier de nous quand on voit ça. Quoi qu’il en soit, je ne perdrai pas courage malgré tout, car je sais qu’à côté de ces horribles faits, il existe des gens chez nous et de chez nous qui ont de vraies valeurs, qui savent faire preuve de professionnalisme et de respect envers autrui, qui ont bien compris que le comportement odieux et irrespectueux qu’ils osent imposer aux leurs, ils ne peuvent pas l’imposer à l’étranger. Alors, continuez si vous le souhaitez à profiter de la crédulité des personnes qui vous font confiance, si votre estime de vous-même n’en subit aucune conséquence, tant mieux pour vous. De mon côté, je continuerai de croire que c’est par le respect des miens et des autres et par mon professionnalisme que je pourrai faire briller la Martinique de l’extérieur en attendant de pouvoir peut-être le faire un jour de l’intérieur.

Comme vous l’aurez compris, je garde sincèrement espoir que tout ce qui précède n’est en fait que pure spéculation de ma part et, je le répète, qu’il s’agit véritablement d’une erreur que vous saurez réparer dans des délais extrêmement brefs, afin de ne pas ternir l’image de la Martinique et des Martiniquais au Québec, au Canada et dans le reste du monde!

Je compte sur nos journalistes pour suivre de près cette affaire, car je souhaite en connaître le dénouement (heureux je l’espère)! Et bien sûr à l’heure de la communication par Internet où il est difficilement possible de cacher quoi que ce soit, j’imagine que nous savons tous qu’un petit fait divers comme celui-ci pourrait aller très très loin!

 

Frédérique Laouchez