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BOLLORE, MAITRE DU MONDE

Lors d'un épisode resté célèbre, en 1997, Vincent Bolloré lance un raid boursier inamical sur le groupe Bouygues voulant contraindre son jeune patron jugé inexpérimenté à céder ses activités dans la téléphonie mobile. Vincent Bolloré échoue mais sort tout de même du capital de Bouygues, l'année suivante, avec une plus-value de 210 millions d'euros. Les relations entre les deux patrons sont devenues sur-le-champ exécrables.

L'un des conseils et avocats de Martin Bouygues dans cette affaire était Nicolas Sarkozy. Un an auparavant, Martin Bouygues était témoin du mariage de Nicolas Sarkozy avec Cécilia et est devenu ensuite le parrain de son plus jeune fils Louis. Le groupe Bolloré est atypique et hétéroclite. Il réalise près de 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploie plus de 32 000 personnes dans le monde et célébrera en 2022 son bicentenaire. Il a longtemps été associé au célèbre papier bible et a connu au fil des années de nombreux avatars au gré des opérations financières menées et du mouvement permanent caractéristiques de la gestion de Vincent Bolloré. Il est présent aujourd'hui à la fois dans les transports et la logistique, la distribution d'énergie, l'industrie, les médias et la publicité.

PÔLE MÉDIAS

Contrairement au communiqué du groupe expliquant n'avoir "jamais eu aucune relation commerciale avec l'Etat français", il en existe au moins à la marge. Ainsi la filiale logistique du groupe, SDV, a obtenu en 2006 l'attribution du marché du "traitement de la valise diplomatique fret". La valeur de ce contrat est comprise entre 1,4 million et 5,6 millions d'euros. SDV s'est également vu attribuer en 2005 un marché de "transport de fret par voie aérienne commerciale à la demande et pour le compte du ministère de la défense" de 36 millions d'euros. On souligne chez Bolloré que ces contrats représentent à peine 1 % du chiffre d'affaires de SDV.

Après son "raid" sur Bouygues, Vincent Bolloré reproduit le même schéma avec Pathé et la maison Lazard. Il retirera de ces deux sociétés 290 millions d'euros de plus-value. Entré chez Vallourec, leader mondial du tube sans soudure, dont il détiendra jusqu'à 26 %, il s'en retire en 2006 avec un gain de 541 millions d'euros. C'est grâce à ce levier financier qu'il développe des nouveaux produits technologiques comme les surcapacités, les batteries et les voitures électriques, développées notamment en collaboration avec EDF… et se lance dans les médias.

La France représente maintenant 55 % de son chiffre d'affaires et l'Afrique 19 %. Le groupe Bolloré est sorti du transport maritime et a cédé en 2005 la Compagnie maritime Delmas-Vieljeux à la CMA-CGM. Mais il reste présent dans les terminaux portuaires de nombreux ports en Côte d'Ivoire, au Nigeria et au Gabon et détient également des plantations héritées du vieux groupe colonial Rivaud

RAFLÉ EN 1996

Conseillé par Philippe Labro et Alain Minc, M. Bolloré fait naître son pôle média. Son groupe détient 40,6 % de la Société française de production (SFP), ex-entreprise publique, à travers une participation dans Euro Média Télévision qui gère aussi plusieurs studios de tournage (cinéma et télévision). Le syndicat des journalistes SNJ-CGT souligne dans un communiqué la réalité des "flux de commandes publiques obligatoires qui la font fonctionner". Argument rejeté par le groupe, qui affirme n'avoir aucun pouvoir sur la gestion de la Société française de production "la majorité [du capital] étant entre les mains de la famille Bari".

Pour diriger et développer l'entité baptisée Bolloré Médias, Vincent Bolloré nomme en 2001 Jean-Christophe Thiery, qui était jusqu'alors chargé de mission à la comptabilité publique de Bercy. Ce pôle va se développer au gré des opportunités. M. Bolloré s'intéresse au secteur publicitaire et fait une entrée surprise au capital d'Havas en juillet 2004. Il en détient aujourd'hui 31 %, et un géant de cette taille compte mécaniquement parmi ses clients des groupes publics et semi-publics.

Le groupe Bolloré lance aussi la chaîne de télévision Direct 8 sur la télévision numérique terrestre (TNT) en mars 2005. L'homme d'affaires obtient ensuite une licence Wimax pour déployer un réseau de télécommunications sans fil dans 22 régions françaises. Il s'engage enfin dans l'aventure de la presse gratuite avec le quotidien Direct Soir, puis, en 2007, en lançant Matin Plus  avec Le Monde. Le groupe a aussi pris un ticket sur le marché des sondages en devenant actionnaire de l'institut CSA, dont il détient 44 %.

En l'espace de six ans, M. Bolloré a donné corps à son projet d'investissement dans les médias. Mais face à Bouygues et Lagardère, il ne pèse pas encore très lourd. Il attend une redistribution des cartes pour se placer. Certains évoquent l'intérêt qu'il pourrait avoir à acquérir une chaîne de télévision comme TF1 si le groupe Bouygues souhaitait s'en séparer. Des hypothèses qualifiées "d'élucubrations" par Vincent Bolloré dans un entretien au Parisien du 11 mai.

Dominique Buffier et Laurence Girard