Bondamanjak

C’est une question de survie

J’ai traversé Port-au-Prince en voiture, 16 heures seulement après le séisme , rencontrant des regards hébétés et un insondable chagrin , tandis que des parents essayaient de sortir leurs bébés des décombres et que des enfants plus âgés en faisaient autant pour leurs parents. C’était déchirant.Et tandis que nous nous dépêchions avec nos premiers kits de secours, il nous semblait que nous ne pourrions jamais faire diminuer la souffrance . Il y avait ceux qui étaient morts dans le séisme et ceux qui étaient vivants – mais il y avait aussi un grand nombre de personnes prises entre les deux situations . Ils étaient vivants , mais gravement blessés et mourants. C’est sur eux que nous avons focalisé notre attention. Des écrasements terribles des bras et des jambes. Des blessures où la peau des bras et des jambes avaient été arrachées. Et des gens si déshydratés, et victimes de malnutrition, qu’ils pouvaient à peine marcher.

Je m’attendais à ce que ces regards hébétés se transforment en désespoir, et que le désespoir évolue en brutalité. Il n’en a rien été. En fait, je me souviens du moment où je suis passé près d’une station d’eau potable, finalement ouverte le 18 janvier , 5 jours après le séisme. L’image est resté dans ma tête pour deux raisons. D’abord, 5 jours ; c’est long lorsque l’on n’a pas d’eau , notamment dans la chaleur d’ Haïti . Deuxièmement, il n’y avait ni bousculade ni bagarre ou comportement agressif. Il n’y avait pas de gardes armés, mais les gens faisaient la queue patiemment. Certains chantaient, même, tandis qu’ils pelaient sous le soleil. J’en ai presque pleuré. Une partie de ma foi en l’humanité, qui a été abimée par trop d’images terribles, s’est lentement reconstruite…

Quelques jours plus tard, je visitais des patients dans l’un des hôpitaux de la ville. En réalité, davantage une tente à l’extérieur de l’hôpital, où les soins étaient rares et la misère abondante. Tandis que nous aidions à soigner les blessures, évaluions les situations et même pratiquions des chirurgies, chaque patient sans exception nous remerciait. En Créole, Français ou Anglais : merci. Lorsque j’ai raconté ça à un collègue neurochirurgien, il m’a rappelé qu’aux Etats Unis, nous pouvions travailler des mois sans entendre ce mot une seule fois.

Durant les deux semaines que j’ai passé là bas, je n’ai pas vu la violence pour laquelle Haïti s’est fait connaître dans les années passées. Dans cette période où l’absence de loi a été testée, les gens de Port au Prince se sont tenus debout, dignes, dans le respect les uns des autres. Oui, il y a eu des « pillages » dans les boutiques et les entrepôts. Mais, peut-on parler de « pillage » lorsque les gens prennent le nécessaire absolu pour eux même et leur famille ? Au contraire, c’est une question de survie, et dans la même situation, je serai probablement là avec eux, voulant sauver la vie de ma femme et de mes enfants.

Considérez ceci comme un blog allant au delà de l’ informations, et le témoignage d’un reporter sur le terrain sur ce sujet très important. Je ne vais pas prétendre que cela représente plus qu’une « tranche de vie » après cette terrible catastrophe naturelle, mais c’est ma tranche, et je voulais la partager avec vous. Merci de m’avoir lu.

Sanjay Gupta – CNN Medical Chief Correspondant
Traduction Cecile Marre