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Chlordécone, un scandale sanitaire

 

Un éditorial vu dans Le Monde d’hier.

« La pollution au chlordécone est un scandale environnemental », a reconnu Emmanuel Macron, jeudi 27 septembre, lors du premier jour de son voyage aux Antilles. Il est le premier chef d’Etat français à mettre des mots sur une menace invisible qui plane sur la Martinique et la Guadeloupe. Pendant plus de vingt ans, ce pesticide ultratoxique a été utilisé dans les bananeraies afin de lutter contre le charançon. Entre 1972 et 1993, le chlordécone a été répandu massivement, alors même qu’il avait été classé « cancérogène possible » dès 1979 par l’Organisation mondiale de la santé. Aussi résistant que toxique, il contamine aujourd’hui les sols pour des siècles.

« L’Etat a sa part de responsabilité », a également admis M. Macron, mettant un terme à des décennies de déni. Pour le chef de l’Etat, cela passe par l’ouverture d’un processus de reconnaissance de l’exposition au chlordécone comme une maladie professionnelle. C’est un premier pas. Mais ce progrès a toutes les chances d’être jugé insuffisant, le président ayant, dans le « même temps », fermé la porte à une indemnisation élargie à l’ensemble de la population antillaise. « Si je disais qu’on va indemniser tout le monde, c’est impossible même budgétairement, et ce serait irresponsable », a martelé M. Macron. Pourtant, le chlordécone ne représente pas un danger pour les seuls travailleurs agricoles. Des taux plus ou moins importants ont été détectés chez la quasi-totalité des Guadeloupéens (95 %) et des Martiniquais (92 %).

Défiance envers les autorités

Sur un sujet aussi sensible, tous les mots ont leur importance. Or, le chef de l’Etat s’est bien gardé d’accoler le terme « sanitaire » à celui de « scandale ». A l’instar des dossiers du sang contaminé et de l’amiante, celui du chlordécone est pourtant bel et bien un scandale sanitaire et pas seulement environnemental. Les études scientifiques sont légion, qui démontrent les risques associés à l’exposition à ce perturbateur endocrinien. Il en est ainsi du cancer de la prostate, pour lequel la Martinique détient le triste record du monde, avec plus de 227 nouveaux cas pour 100 000 hommes chaque année.

Sur ce point, Emmanuel Macron a choisi de rester dans le flou, estimant qu’« il n’y a pas aujourd’hui de preuve scientifique établie ». Pas de quoi calmer la colère et les craintes des Antillais, dont la défiance envers les autorités et le sentiment d’abandon sont montés d’un cran après la publication, en décembre 2017, d’un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), contesté par d’autres experts, concluant que les limites maximales de résidus de chlordécone autorisés dans les aliments étaient suffisamment protectrices.

Le président de la République ne s’est pas davantage aventuré à évoquer un « scandale d’Etat ». Pourtant, là aussi, la question se pose. Pourquoi la France a-t-elle en effet attendu 1990 pour interdire un pesticide qui avait été classé « cancérogène possible » en 1979 et banni aux Etats-Unis dès 1976 ? Pourquoi le chlordécone a-t-il bénéficié de dérogations – signées par deux ministres de l’agriculture de François Mitterrand – pendant trois ans aux Antilles après son interdiction ? Une plainte contre X pour mise en danger d’autrui, déposée en 2006, vise à répondre à ces interrogations. Elle devrait permettre d’établir la « part de responsabilité » de l’Etat. Douze ans et trois juges d’instruction plus tard, l’enquête a été dépaysée au tribunal de grande instance de Paris. Elle est toujours au point mort.

© THOMAS SAMSON / AFP Discours du président Emmanuel Macron, le 27 septembre, à Fort-de-France.