Bondamanjak

D’un audit à l’autre…

De l’utilité des audits pour les gouvernanceurs.
Avant de poursuivre la passionnante lecture du rapport de la Chambre Régionale des Comptes, il est important de noter la chronologie des faits. Cette dernière a adressé le 20 Juin 2011, aux ordonnateurs Serge Letchimy et Raymond Saint-Louis –augustin son rapport d’observations provisoires sur la gestion de la commune de Fort-de-France à partir de 2004.
Le 19 Août 2011, une réponse commune des deux ordonnateurs est adressée à la Chambre et dans la foulée, au cours de ce même mois d’août, le président de Région recrute son DGA Finances.
Y aurait-il un lien entre le rapport de la Chambre Régionale des Comptes sur la gestion de la commune de Fort-de-France et l’audit de la gestion budgétaire et comptable de la Région, diligentée dans l’urgence, par l’actuel président de Région et préparé par le nouveau DGA Finances?
Quelles sont les conclusions du rapport de la Chambre sur la gestion de la ville ?
Les thèmes de contrôle de la CRC portent sur la transparence financière, la fiabilité des comptes de la ville, les éléments caractéristiques de la situation financière de la ville et le personnel communal.
La CRC conclut « qu’en matière de transparence budgétaire et financière, l’absence de communication de certaines annexes aux documents budgétaires constitue un défaut d’information des élus, des partenaires de la ville et des citoyens ».
Cette conclusion résulte, selon les termes de la Chambre, de ce que « l’examen des documents budgétaires a montré que la ville de Fort-de-France n’a pas toujours fait preuve, en ce domaine, d’une totale transparence. En effet, les annexes du bilan relatives à l’état de la dette et aux provisions, de même que celles relatives aux engagements donnés par la ville et celles qui précisent certains produits et charges, ne sont pas conformes aux prescriptions réglementaires de forme et de contenu. » Waoou ! En la circonstance, on peut parler de pratiques de gestion d’une extrême gravité…
Plus loin, dans le rapport, on lit : « Des écarts entre le compte administratif et le compte de gestion sont de nature à fausser les analyses financières… ». De plus en plus grave !!!
Et encore : « Quand aux provisions pour risques enregistrées au c/15 182, la différence entre le compte de gestion et l’état est de 250 000 €. » Rien que cela ! Et « sur ce point, la commune fait valoir qu’il s’agit d’une erreur au niveau des écritures comptables ».
Décidément la lecture de ce rapport est de plus en plus passionnante ! On y apprend :
Qu’« au cours de la période examinée, la ville de Fort-de-France n’a pas respectée l’obligation de transmission des comptes certifiés » au représentant de l’Etat.
Que « D’une part, les comptes de cinq organismes (sociétés et EPCI) bénéficiant d’une garantie d’emprunt de la ville à hauteur de 115 millions d’euros n’ont pas été communiqués. »
« Il en est de même pour les associations subventionnées, en ce qui concerne sept associations, pour un montant total de 295 593 €. »
Que « l’état du personnel communal ne respecte pas totalement les conditions de forme réglementaire ».
Des écarts et des incertitudes sur l’état des concours aux associations. « il existe de nombreuses discordances entre le montant total indiqué à chaque annexe budgétaire et le montant des subventions réellement versées ».

La CRC conclut que « l’examen de la fiabilité des comptes a mis en évidence un certain nombre de carences et d’anomalies, telles la non production de l’état de l’actif les années paires, en justification des soldes des comptes d’immobilisations, l’absence ou la non passation régulière des écritures comptables relatives aux transferts réglementaires et la non constitution de provisions obligatoires pour litiges et contentieux clairement identifiés ».
Il est précisé que « la vision patrimoniale de la ville de Fort-de- France ne peut être actuellement considérée comme sincère et complète. »
Des frais d’études demeurés en attente d’imputation s’élève à 5 736 425,00 au 31 Décembre 2009 !!
Ce rapport de la CRC met en évidence de nombreuses anomalies comptables dans l’élaboration des comptes de la ville. Concernant les provisions pour litige : « 2,4 Millions d’euro qui représente 32 % de l’excédent de fonctionnement » n’ont pas été comptabilisés. Les principes de comptabilisation des travaux en régies ne sont pas respectés…
Les désordres et aberrations relevés par la Chambre dans les comptes de la ville peuvent logiquement être considérés comme étant le reflet des désordres (néanmoins finalisés) de la gestion de l’ancien maire, actuel président de Région : ce sont les symptômes de la nouvelle gouvernance !
Page 18, le rapport note : « Des résultats comptables souvent négatifs entre 2004 et 2010. »
Rien à voir avec un déficit calculé de manière artificielle par retraitement des comptes de la ville ; il s’agit des conclusions des auditeurs de la CRC relevant des déficits bien réels assortis d’une « Trésorerie parfois tendue ».
Pourtant les recettes de fonctionnement de la ville, sur la période 2004 à 2009, ont connues une augmentation de 6,8%, supérieure à la moyenne nationale (5,25%), qui ne suffit pas à faire face à la croissance des charges.
Les charges de fonctionnement de la ville connaissent de 2004 à 2009, une augmentation de 11,1 3%, très nettement supérieure à la moyenne nationale qui est de 6,88%.
La nécessité ancienne d’une réduction des effectifs municipaux, demeure.
Alors, que le programme de la mandature du maire en 2001 avait clairement affiché un objectif de réduction les charges de personnel, que tous les audits effectués ont repris cette obligation, qu’un « plan d’incitation au départ à la retraite » qui a bénéficié pour son amorçage d’une subvention de l’Etat de 4,6 M€, en 2010, la Chambre constate que « les dépenses de personnel de la ville de Fort-de-France sont toujours nettement supérieures à la moyenne nationale ».
Entre 2004 et 2009, les dépenses de personnel augmentent de 136 € par habitant à Fort-de-France contre une moyenne de 80 € par habitant.
La Chambre note que « la masse salariale communale continue à augmenter ». Cette masse salariale qui représentait 50,6% des recettes de fonctionnement de ville, était de 55% en 2005 et atteignait 59% en 2010 !
Est noté également que, « le volume des journées d’absence du personnel pour maladie et longue maladie passe de 38 036 jours en 2003 à 46 977 jours en 2009, soit une augmentation de 8941 jours et de 23,5% ce qui est considérable».
On peut se demander pour quelles raisons, le personnel communal, en nombre plus que suffisant, bien sécurisé puisque titularisé, bénéficiant de régime indemnitaire de vie chère amélioré, ne se sent pas contraint de passer plus de temps au travail !! Aurait-il le sentiment de détenir un certain pouvoir de négociation, notamment lors de ses choix électoraux, ou ne serait-il pas heureux au sein des services municipaux?
L’autre caractéristique principale de la gouvernance municipale qui résulte de la tension permanente sur la trésorerie de la ville ou encore de l’insuffisance de trésorerie, outre les délais de paiement des entreprises et des fournisseurs anormalement long (105,3 jours, alors que le délai légal était de 45 jours), est son niveau d’endettement.
Un endettement croissant.
La charge de la dette par habitant qui était de 1747 € en 2004 est passé à 2363€ /habitant en 2010 soit une augmentation de 35,26% contre 5% pour la moyenne nationale, et une charge supplémentaire par habitant de 616 € (contre 54 € pour la moyenne).
La ville s’est endettée de manière très « moderne » auprès de la banque DEXIA. Elle détient trois emprunts indexés sur l’évolution du cours entre Euro et Franc Suisse avec un risque sur le Franc Suisse et un autre qui peut être réellement qualifié de « produit risqué ou toxique ». De plus, la faillite de DEXIA, plonge la ville dans une grande incertitude financière quand le discours de cette banque consiste à dire : « on a affaire à des gens qui, s’ils avaient été diligents étaient en mesure de pouvoir apprécier ce qu’on leur proposait, et de comparer face au marché, et s’ils ne l’ont pas fait c’est que ce sont de mauvais gestionnaires. » C’est DEXIA qui le dit !!
Le produit toxique détenu par la ville, est un prêt de refinancement contracté en avril 2006, pour 9, 214 millions d’euros, sur 25 ans et un mois. La ville de Fort-de-France a souhaité renégocier ce prêt, ou sortir de cet index, mais les pénalités proposées par le prêteur sont très dissuasives. Bel exemple de « nouvelles ingénieries financières » et de « gouvernance moderne » qui fera très mal au portefeuille des foyalais !!
La ville a déjà commencé à s’occuper d’eux en créant en avril 2000, un observatoire fiscal composé d’un chef de service et cinq agents enquêteurs qui ont pour mission d’améliorer les recettes fiscales directes.
Le nombre d’assujettis par taxe a moins augmenté que les bases d’imposition et sur la période 2000 à 2009, ce sont les bases foncières qui connaissent une augmentation de 40,02 %, si bien que le produit de la fiscalité directe revenant à la commune connaît une croissance significative, malgré l’effet de la diminution de la population.
On comprend que tous les contribuables qui en ont la possibilité, fuient Fort-de-France et que la population de la ville diminue!!
Le rapport de la Chambre contient bien d’autres informations sur la capacité d’autofinancement de la ville, sur ses relations avec la SEMAF, la Caisse des Ecoles dont un rapport de la CRC de Mai 2010 (accessible sur le même site) révèle de graves lacunes comptables et financières et une totale opacité de l’information…
L’ancien maire de Fort-de-France n’a eu de cesse de se lamenter que la ville était confrontée à « l’austérité fiscale et à la souffrance budgétaire » et qu’elle était victime de « l’absence de solidarité réelle et marquante des collectivités territoriales ». La Chambre n’a aucunement fait état de cela mais elle a mis en lumière la réalité de la « gouvernance » de la mairie.
Les audits réalisés pour la ville de Fort-de-France, n’ont pas été pris en compte, ils n’ont servi en réalité qu’à affiner les caractéristiques de sa « gouvernance » qui sont : 1) une augmentation de la masse salariale par titularisation, augmentation des salaires et embauches, 2) un endettement toujours en augmentation, sans hésitation de recours à des produits risqués, 3) des déficits comptables et 4) des difficultés de trésorerie.
Un audit de la Région en décembre 2011, pour quel usage ?
La date d’embauche d’un DGA Finance à la Région en août 2011 n’est pas fortuite. La mission de ce nouveau DGA est de préparer un audit de la Région.
Tandis que l’actuel maire de Fort-de-France, le 28 Novembre 2011, apportera seul des réponses aux observations de la Chambre, le président de Région s’active pour organiser une plénière au Conseil Régional le 13 décembre 2011, avant la publication obligatoire du rapport de la Chambre notifiée le 28 Octobre 2011.
Le professeur Etienne Douat communique sa note en date du 8 Décembre 2011. Le Cabinet Ressources Consultant Finances n’a le temps de réaliser qu’un document intitulé « Simulations financières rétrospectives » Décembre 2011, le reste est sous-traité par Kurt Salmon, qui en 15 jours produit un « Rapport d’audit Version révisée et confidentielle du 09 /12/2011 ».
Une plénière du Conseil Régional peut se dérouler le 13 Décembre 2011, sous forme de débat, sans vote, le seul but est de détourner l’attention de la situation particulièrement grave des comptes de la ville dont est responsable l’actuel président de Région. Il s’est agi pour ce dernier, d’organiser une opération de communication avec un objectif cynique : donner à voir les mêmes griefs qui lui sont reprochés par la CRC et les projeter sur l’Autre. A moins que ce cynisme ne fasse partie d’une catégorie psychologique…
La lecture de ces audits commandités, révèle que « la Région s’est dotée d’une équipe politique nouvelle et a notamment lancé une dynamique de projets d’audits organisationnels, financiers et de gestion». Il est même question de « première vague d’audits », l’audit financier est assorti d’un audit comptable et budgétaire. Quel sera l’objet de la deuxième « vague d’audits » et par curiosité de la troisième « vague d’audits »?
Malgré tous ces audits, le débat sur le vote du budget 2012 montre que les caractéristiques de la « nouvelle gouvernance » de la Région sont les mêmes qui ont été expérimentées à la ville de Fort-de-France.
La stratégie d’augmentation de la masse salariale (+ 22%), la stratégie de l’opacité organisée dans les comptes, la stratégie d’endettement (+70 millions d’euro pour 2012), la stratégie des déficits (dépenses supérieures aux recettes de 14,5 millions d’euro), après deux années à la Région, sont déjà lisibles dans ce qui caractérise la « nouvelle gouvernance ». Ces mêmes méthodes sont également mises en œuvre au Conseil Général.
Il convient de réfléchir et d’essayer de discerner ce que dissimule la « nouvelle gouvernance » au-delà de cette pratique effrénée d’audits, au-delà des affichages de changement, au-delà des annonces paradisiaques, au-delà des discours pleins d’injures et d’indignations simulées…
La réalité des objectifs poursuivis reste inavouable, mais ces objectifs sont très éloignés des véritables intérêts des Martiniquais. Les conclusions du rapport de la CRC pour la ville de Fort-de-France ne laissent pas entrevoir de perspectives réjouissantes pour l’ensemble de la population de notre pays. La mise en place de la collectivité unique en 2014, les incertitudes économiques, financières et politiques en France, en Europe et dans le Monde, exigerait une gestion morale et éthique des affaires de la Martinique en rupture totale avec les pratiques des gouvernanceurs.
Ces derniers devraient méditer cette citation d’André Malraux : « On ne fait pas de politique avec de la morale, mais on n’en fait pas davantage sans ».
Danielle BORIEL