Bondamanjak

Dans la série “Nos préfets ont la classe”.

Le 1er septembre dernier à 11 heures du matin, à Sainte-Rose, en Guadeloupe, un Haïtien qui achetait des chaussures à son fils de cinq ans, né en Guadeloupe et n'ayant jamais mis les pieds en Haïti, en vue de la rentrée des classes le lendemain (il allait effectuer sa troisième rentrée des classes, en maternelle grande section), a été contrôlé par la police. Sans titre de séjour, il a été aussitôt menotté sous les yeux de son fils, qui a été embarqué avec lui.

La mère, présente en Guadeloupe mais également en situation irrégulière, n'a pas osé aller chercher son fils, de peur d'être elle même arrêtée et reconduite à la frontière avec eux. Voilà ce qui arrive quand on fait des préfectures des souricières.

La procédure a été menée tambour battant puisque l'après midi même, à 16 heures, le père et le fils sont dans un avion, direction Port-Au-Prince. Pratique, comme ça, aucun juge n'aura eu à connaître de l'affaire. Cela semble révéler qu'un précédent arrêté de reconduite à la frontière avait déjà été pris il y a moins d'un an, et qu'il était définitif, car l'article L.512-3 du CESEDA interdit l'exécution d'un arrêté de reconduite à la frontière avant l'expiration du délai de recours de 48 heures.D'où ma déduction que le contrôle en question était tout sauf inopiné. Ça sent l'interpellation en urgence avant la rentrée. Mise à jour : ce délai suspensif est inapplicable en Guadeloupe, en Guyane et à Mayotte ; on comprend mieux que 80% des reconduites effectives à la frontière aient lieu dans ces trois territoires.

Mais il y a mieux.

Le 1er septembre, Haïti, déjà dévasté par les ouragans Fay et Gustav, était sous la menace directe de l'ouragan Hanna, qui a frappé l'île trois jours plus tard, faisant 529 morts. Le préfet le savait parfaitement. Et il les a lâché tous deux là bas, tels qu'ils étaient lors de leur arrestation, sans même un vêtement de rechange.

Le père et son fils ont survécu, car ils étaient dans le sud de l'île, et c'est le nord qui a été le plus durement touché ; mais la maison où ils avaient trouvé à se loger a été détruite, toit arraché.

Je vous laisse imaginer ce que c'est que pour ce petit garçon de cinq ans, né en France et qui y a toujours vécu, de passer brutalement à la préparation de la rentrée à l'école Viard-Sainte-Rose, où il allait retrouver ses copains, à l'arrestation de son père, à la séparation d'avec sa mère, puis, cinq heures plus tard, l'embarquement dans un avion pour un pays qu'il ne connaît pas et qui est dévasté par déjà deux cyclones, puis de subir l'impact d'un troisième, puis d'un quatrième (Ike a mis une deuxième couche après Hanna, faisant 74 morts de mieux), de voir le toit de cette maison qu'il ne connaît pas et qui est désormais la sienne s'envoler sous ses yeux. Qui a dit “traumatisme” ?

Cette affaire a créé une certaine émotion en Guadeloupe. Au point que le préfet de Région, Emmanuel Berthier, son nom mérite d'être cité, a cru devoir s'expliquer dans un communiqué extraordinaire.

    Pour [le préfet], la procédure a été respectée, dans le cadre de l'article 78.2.

La procédure a été respectée. L'absolution absolue du fonctionnaire. Au passage, quelqu'un sait ce que c'est que cet article 78.2 ?

    [Il] ajoute que la mère a immédiatement jointe afin qu'elle récupère son fils de 4 ans. Mais cette dernière, installée à Sainte-Rose, ne s'est pas déplacée.

On lui avait même réservé un siège à côté de son fils ! Quelle mauvaise mère !

    Dans ce communiqué, Emmanuel Berthier déclare également « que depuis 5 ans, la mère et le père de famille se maintenaient en situation irrégulière sur le territoire français, sans avoir engagé de procédure de régularisation » auprès de ses services.

Ce qui ne dispense pas le préfet de s'assurer que sa décision de reconduite ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du père et du fils à une vie privée et familiale normale garantie par la convention européenne des droits de l'homme, ni ne viole l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant qui stipule que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale». C'est pas moi qui le dis, c'est le Conseil d'État (arrêt CE, 2 juin 2003, n°236148, Préfet de police c/ Swieca).

J'aimerais donc que le préfet détaille en quoi envoyer un enfant de cinq ans dans un pays qu'il ne connaît pas, dévasté par deux ouragans et attendant le passage de deux autres est conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, considération primordiale dans sa décision. Juste par curiosité intellectuelle.

    La Préfecture conclut son communiqué en expliquant qu'afin de recomposer la cellule familiale, « une aide au retour et à la réinstallation a été proposée à la mère », en Haïti.

Dans sa grande largesse, la République lui offre le billet d'avion et environ 2000 euros pour participer à la reconstruction du pays. Elle est vraiment trop sympa, la République. On comprend que ses serviteurs soient aussi zélés.

PS : Je comprends l'émotion que peut susciter ce billet ; moi-même, je ne prétendrai pas l'avoir écrit dans un état d'esprit serein. Mais merci d'éviter dans les commentaires tout parallèle avec une période historique relativement récente. C'est idiot, ça déshonore celui qui utilise cet argument, et ça n'apporte rien, et je les supprimerai tous.

Et pendant que je vous tiens, faites moi aussi grâce du couplet “la loi, c'est la loi, être sans papier est un délit, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde”. C'est idiot, ça déshonore celui qui utilise cet argument, et ça n'apporte rien, et en l'espèce, la loi protégeait cet enfant ; le préfet a fait en sorte qu'aucun juge ne puisse être utilement saisi. Et s'il veut un droit de réponse, mon blog lui est ouvert, je le publierai ci-dessous.

 

Source  et plus d'infos :  http://www.maitre-eolas.fr/2008/09/15/1075-bon-vent