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Discours de Nicolas Sarkosy président de la République Française le 26 juin 2009 en Martinique

Descendant d’esclave, né sur cette terre,Aimé CESAIRE a été l’un des grands poètes et écrivains de la langue française. Au cours de sa carrière parlementaire-de 1945 à 1993, l’une des plus longues de la Vème République–
il a défendu avec passion les Outre-mers, rappelant toujours qu’ils n’étaient pas des « confettis de l’Empire », des « danseuses » de la République, mais des terres de créativité et de diversité.
L’oeuvre de CESAIRE est un manuel de dignité, un bréviaire de sagesse. Il a puisé sa force dans le combat qui a réuni femmes et hommes à travers le monde contre l’injustice, la violation des droits humains et pour la fraternité.

Aimé CESAIRE tenait le « principe de fraternité » pour le plus important de tous car il signifiait une vraie égalité
entre les hommes . Pour CESAIRE, la liberté et l’égalité n’étaient pas complètes sans la fraternité. La fraternité
enfin réalisée ferait mentir les divisions raciales, le mépris envers l' »Autre », celui qui est différent, et rétablirait le principe
d’humanité partagée. Il a maintenu ce principe très haut, au-dessus de tout marchandage et de tout compromis.
La vie d’Aimé CESAIRE contient une leçon qui résonne toujours pour notre temps : il a toujours opposé la patience au
fanatisme, l’entêtement du raisonnement à l’entêtement du préjugé. Il n’a jamais transigé, jamais renoncé à ses principes.
Il a fait preuve de cette valeur, trop souvent négligée : le courage. Courage de ses idées, courage de ses actes. Porter haut cette valeur, ne pas se courber devant les puissants, et faire preuve toujours d’empathie envers les faibles, c’est
la leçon de CESAIRE. C’est en tout cascelle que je retiens de mes conversations avec cet homme d’exception. Cet homme qui, dans un contexte troublé politiquement , m’avait reçu avec sérénité et amitié. Il nous faudra de ce courage pour surmonter
ensemble les défis qui nous attendent.

Longtemps la France a ignoré ce que l’homme noir avait apporté au monde. Longtemps la France a ignoré ce que les asclaves et les habitants de ses colonies lui avaient apporté. Les relations entre le pays natal de CESAIRE, la Martinique et la République
ont été marquées par les héritages de l’esclavage et du statut colonial, statut qui a perduré jusqu’en 1946.
CESAIRE a cherché à mette fin à la méfiance, conséquence inévitable des relations ambivalentes entre métropole et colonie.
Il disait qu' »il y a deux manières de se perdre : par ségrégation muée dans le particulier ou par la dilution dans l’universel ». Il a voulu forger une ralation basée sur le respect des différences et de l’universel.
En 1945, à l’Assemblée Nationale Constituante, CESAIRE défend le statut de départementalisation avec les députés Gaston MONNERVILLE, Léopold BISSOL, Léon de LEPERVANCHE et Raymond VERGES. Il sollicite l’histoire pour rappeler qu’à chaque fois que
« la France a été fidèle à sa vocation universaiste, elle a rejeté le régime d’exception coloniale et l’arbitraire des décrets ». Aimé CESAIRE lance cependant un avertissement : la République devra reconnaître l’identité singulière des territoires d’Outre-mer,
leurs mémoires, leur histoire et leur culture, pour établir des relations apaisées.
La relation entre l’Etat et les Outre-mersa toujours buté sur cette question : quel lien construire entre la République et des territoires géographiquement éloignés, aux héritages complexes issus de l’esclavage et du statut colonial ? Quel lien construire
avec ces territoires aux histoires et cultures singilières mais qui, cependant, ne rejettent pas la citoyenneté républicaine et souhaitent très majoritairement, continuer de vivre dans la France ?
Cette « singularité culturelle », pour reprendre l’expression d’Aimé CESAIRE qui englobe l’histoire et la vie sociale, doit être prise en compte. Je veux la prendre en compte.

La crise que la Martinique a récemment traversée repose cette difficile équation unité/singularité.
Comment faire en sorte que la Martinique, ce territoire à l’identité si affirmée, trouve une place apaisée, une place librement voulue dans notre République ?
La semaine dernière, vos élus, vos représentants légitimes, ont confirmé leur volonté que soit posée la question institutionnelle. Ils ont confirmé leur volonté de voir la Martinique accéder à un statut d’autonomie défini par l’article 74 de notre constitution.
Je sais que cette question de l’évolution institutionnelle interpelle beaucoup d’entre vous et en inquiète certains. Je vais, comme à mon habitude, vous dire les choses tel que je le pense, de la façon la plus claire et la plus franche

Durant la campagne présidentielle, j’ai toujours affirmé que j’étais ouvert à la question de l’évolution institutionnelle, sans en faire toute fois une priorité. Je ne vais pas aujourd’hui me contredire, alors même que j’ai lancé, à l’échelle de la France entière, d’importants chantiers :
celui de la profonde rénovation de nos institutions constitutionnelles et celui de la réorganisation de nos territoires.
Je vous annonce donc clairement que je consulterai les Martiniquais sur l’évolution institutionnelle de leur territoire, comme la Constitution m’y autorise.

Les Martiniquais seront libres de choisir, en leur âme et conscience, le chemin qu’ils souhaitent emprunter.
Il faut qu’un large débat se poursuive et que chacun puisse y participer. Les Etats-Généraux fournissent un cadre naturel à ce débat et je sais que vous y avez des échanges passionnés.
Le débat dont nous parlons est un débat sérieux, un débat fondamental, qui pose des questions majeurs comme celle de l’exercice du pouvoir local dans une démocratie. ce débat ne souffre pas la caricature et les fausses informations
destinées à provoquer des peurs irrationnelles dans la population.

Il est par exemple, inexact de prétendre qu’une collectivité qui ferait le choix de l’article 74 de la Constitution sortirait des frontières de la République ! Wallis -et-Futuna et la Polynésie française,
Sain-Barthélémy, Saint-Martin et Saint-Pierre et Miquelon ne sont-elles pas française ?
Il est aussi inexact de prétendre qu’une collectivité qui ferait le choix de l’article 74 de la Constitution perdrait sa qualité de « Région Ultra Périphérique » d’Europe et les avantages qui lui sont associés. Le champ d’application territorial du droit communautaireest fixé par
 les Traités eux-mêmes et ne dépend nullement des décisions internes des Etats-membres.

En revanche, je le dis avec la même clarté et la même franchise : plus une collectivité devient autonome, moins l’Etat a de prise sur les affaires qui la concernent. Plus une collectivité est autonome, plus elle doit s’assumer. Plus les élus ont de compétence, plus ils doivent répondre,
devant leurs électeurs, des choixqu’ils ont fait en leur nom.

Le débat dont nous parlons n’est donc pas celui de l’indépendance. Il ne s’agit pas d’organiser subrepticement, un je ne sais quel « largage de la République ».
Le débat qui est ouvert est celui du juste degré d’autonomie. Celui de la responsabilité. Celui de l’équation unité/singularité.

La Martinique est française et le restera, d’abord parce qu’elle le veut, et aussi parce que la France le souhaite. Je prends aujourd’hui à témoin tous les Martiniquais qui nous écoutent mais aussi tous les Français d’Outre-mer et de Métropole qui se sentent concernés.
La France a une identité plurielle. Elle s’est construite par enrichissements mutuels. La France sans la Martinique ne serait pas la France. C’est aussi l’enseignement que nous a légué Aimé CESAIRE.
Et je vous le dis : tant que je serai Président de la République, la question de l’indépendance de la Martinique, c’est-à-dire de sa séparation d’avec la France ne sera pas posée.
Je ne conçois une éventuelle évolution institutionnelle de la Martinique que dans le cadre de la Constitution existante. Les articles 73 et 74 de notre Loi fondamentale  sont très souples et autorisent des dégrés variables d’autonomie. Il suffit pour s’en convaincre, de comparer le statut de Saint-Pierre-et-Miquelon, proche*d’un modèle départemental,
 à celui de la Polynésie française, le plus autonome des territoires de la République. Pourtant ces deux collectivités sont régies par le même article 74 de la Constitution.
Pour ma part, je n’ai, à ce stade, pas de préférence à faire valor entre tel ou tel modèle d’évolution institutionnelle. Ce que je souhaite, c’est que les Martiniquais aient le choix; un vrai choix.

 
Différents scénarios sont possibles et parfaitement respectables : le statu quo; la création d’une collectivité unique dans le cadre de l’actuel article 73 ou le statut autonome de l’article 74. Toutes ces hypothèses présentent des avantages et des inconvénients que le débat public doit contribuer à clarifier.

J’ajoute que l’évolution institutionnelle peut aussi se concevoir comme un processu, une démarche comportant plusieurs étapes. Par exemple, on pourrait imaginer dans un premier temps, la création d’une collectivité unique de l’article 73, assortie d’un pouvoir normatif renforcé. Après plusieurs années, et à l’issue d’une évaluation
du fonctionnement de cette collectivité unique, une seconde étape, vers plus d’autonomie, pourrait être engagée.
Le tout, c’est que les Martiniquais soient amenés à se prononcer librement à chacune de ces étapes, et que rien ne fasse sans leur consentement éclairé .
C’est une obligation constitutionnelle, mais c’est d’abord un devoir démocratique, le simple respect dû électeurs d’un pays libre.

Vos élus et moi-même n’avons pas oublié, qu’en décembre 2003, les Martiniquais ont repoussé-d’une courte majorité il est vrai-
un projet de création d’une collectivité unique de l’article 73. Depuis, les esprits ont évolué. Le débat a mûri et la récente crise nous a rappelé à quel point le statu quo n’était pas nécessairement la meilleure voie, sur ce sujet comme sur d’autres…
Il nous faut, aujourd’hui, trouver de nouveaux équilibres. Il nous faut nous rapprocher des Martiniquais, ceux qui prennent des décisions qui concernent la Martinique au quotidien.

On peut d’ailleurs parfaitement concevoir de confier d’avantage de responsbilités et de capacités d’initiative à vos élus et, parallèlement de renforcer les pouvoirs de l’Etat localement. La décentralisation peut aller de pair avec la déconcentration du pouvoir. L’une et l’autre ne sont pas incompatibles, bien au contraire.
J’ai d’ailleurs la conviction que la crise sociale, en Martinique, n’a pas traduit ce que l’on pourrait appeler « un rejet de l’Etat ».
  Bien au contraire, cette crise est à mon sens, et paradoxalement, l’expression d’une demande d’Etat, mais d’un Etat plus juste et plus efficace.

L’Etat arrogant, l’Etat qui impose, ce n’est pas celui que nous voulons. Nous voulons un Etat qui assume son rôle mais qui écoute et qui respecte. CESAIRE le rappelait, aucun programme politique ne sera viable sans que chacun ne prenne ses responsabilités et reconnaisse ses devoirs. L’exercice, requiert courage et effort, esprit de responsabilité,
et capacité d’imagination. Ce n’est rien d’autre, qu’avant l’heure, l’esprit des Etats-Généraux…

Mes chers amis,
Le programme d’aimé CESAIRE pourrait se résumer dans cette formule : « Le passé réparé, l’avenir préparé ». Le passé réparé, c’est la réconnaissance de la singularité martiniquaise, de la singularité antillaise, de la singularité des Outre-mers. En ce début du 21 ème siècle, la République veut construire, avec les Outre-mers des relations émancipéesdes scories
de l’époque coloniale et post-coloniale. Elle veut construire des relations fondées sur le respect, la responsabilité et la fraternité.

Au moment où nous devons ensemble résoudre de grands problèmes comme le réchauffement climatique, l’inégalité des échanges, où nous devons développer les énergies renouvelables, inventer des solutions de développements durables,
nous devons tous réussir cette « décolonisation des esprits » à laquelle nous invitait déjà CESAIRE, il y a soixante ans !

Aimé CESAIRe parlait de la nécessité de construire un nouvel humanisme, un « humanisme vrai, un humanisme à la mesure du monde » qui mette fin aux impasses et aux limites d’un assimilationisme qui efface les singularité et les différences, qui libère de la victimisation.
Un humanisme qui affirme l’égalité entre les peuples, entre les cultures, entre les civilisations sans diluer la singularité,le particulier.
La France saura s’engager dans la voie de cet humanisme. C’est le programme même d’une République qui s’est affranchie de l’uniformité d’une République qui accepte les différences tout en affirmant l’universalité d’un destin commun
à tous les êtres humains.
« Aucun de nous n’est en marge dela civilisation universelle » écrivait Aimé CESAIRE. Soyons alors, comme il nous y invite « Debout et Libres! »