Bondamanjak

Et si le créole était un atout pour l’apprentissage des autres langues ?

Inconsciemment, lorsque nous faisons l’apprentissage d’une langue étrangère, par immersion -cela s’entend une fois de plus- non point par le biais de méthodes scolaires aseptisées et dépourvues de l’essence même de la langue parlée : la nuance du ressenti, le poids du vécu, l’éloquence liée au degré d’éducation, la forme du palais et la position de la langue, le gonflement des joues et l’écarquillement des yeux du natif qui transmettent premièrement par les viscères et seulement, en second lieu, par la parole, l’essence du dialogue, l’esprit et l’objectif de la parole véhiculée…

…Tel le conteur créole qui dans la même phrase retransmet à la fois les émotions, le détail des tenues vestimentaires et l’objet du délit, nos sens auditif, visuel -cognitifs somme toute- créoles nous retransmettent tous les éléments nécessaires à une connexion directe avec le réel de l’autre : la communication viscérale laisse au second plan les fondements grammaticaux ou syntaxiques, ceux-ci s’érigeant tour à tour en alliés ou en ennemis selon la langue étrangère vers laquelle on tend et l’usage que l’on souhaite en faire ! Par exemple, le pont grammatical et syntaxique latin peut servir à fixer les différents éléments de phrases structurées de façon similaire dans les langues latines en général. En effet, dans la plupart des langues latines on retrouve une structure similaire : sujet + verbe + objets + compléments. Toutefois ces mêmes ponts peuvent nous desservir lorsque l’on cherche à introduire les prépositions introduisant objets et compléments ; on aura en effet tendance à faire un usage de prépositions semblable à celui de notre langue d’origine (à la fois dans l’usage et la ressemblance parfois traître des prépositions).  C’est la différence entre un « jusqu’à CE que » français et un « hasté que » espagnol par exemple.

Il semble alors presque plus judicieux de faire usage de ces bases linguistiques pour l’apprentissage académique de langues non-latines : on retient peut-être plus facilement ce qui ne ressemble pas à notre langue dans la structure et les déclinaisons des composantes de phrases germanophones ou polonaises ! (sujet inversé, déclinaison des compléments et des objets selon leur fonction dans la phrase, etc.)

Une approche plus viscérale (plus créole) de l’apprentissage nous met directement en contact avec les idiosyncrasies culturelles, cultuelles, rituelles, traditionnelles ou autres qui ont donné lieu à l’évolution de la langue depuis le latin ou d’autres langues ancestrales. 

La langue latine qui illustre certainement le mieux cela étant le catalan et ses différentes variantes ou parentes : l’occitan toulousain, le catalan perpignanais ou le valencien espagnol… Mon intime conviction, je vous la livre une fois de plus, est qu’il suffit à un(e) créole de séjourner brièvement dans chacun des berceaux géographiques correspondants pour comprendre les différences et les nuances entre les différents langages et cultures, sans nécessité d’apprendre le catalan ou aucun de ces langages par avance : la fierté du peuple catalan d’avoir guerroyé et préservé cette langue millénaire avec un accent volontairement fermé, une intonation montagnarde, un vocabulaire riche et recherché ainsi qu’un port altier (dé)marquant son ancestralité et sa distance hiérarchique vis-à-vis des autres langues latines… ; l’occitan toulousain aux intonations folkloriques d’un peuple qui le ressort une ou deux fois par an sur la place du Capitole, tels les collectionneurs d’art dépoussièrent et exposent dans une salle d’art moderne des antiquités et des vieilleries de famille : on ne s’en sert pas (hormis à des fins purement artistiques), on rappelle juste que cela servait autrefois et qu’on en a hérité ; le Catalan de Perpignan tâche de retrouver ces trésors de famille qui lui furent autrefois soustraits pour des raisons politiques et parle un catalan très français (accent, intonation, syntaxe et vocabulaire) mais avec une détermination et une volonté criantes ; enfin le citadin valencien d’Espagne parle un « catalan » très espagnol (accent, intonation, syntaxe et vocabulaire) eut égard là aussi à un certain passé politique et ne s’en sert guère qu’à la maison, au parti et dans certaines manifestations culturelles populaires…

L’oreille musicale créolophone aura par ailleurs plus de facilité à associer les terminaisons des déclinaisons germanophones ou polonaises aux fonctions syntaxiques (telle une sorte de reconnaissance musicale comme l’appliquaient autrefois les maîtres latins qui nous faisaient chanter « rosa, rosa, rosam, rosarum, rosis, rosis ! » sauf que cette fois mise en contexte direct), ou restituer les syllabes asiatiques sur des partitions musicales cérébrales, ou encore comprendre parfaitement et du premier coup un « vré acadié » de l’Ile du Prince Edouard.

L’oreille créolophone également rompue aux onomatopées et aux bruits divers de l’appareil communicatif (ronflements de gorge, tchiirps, casses vocales et sifflements divers…) saura aussi faire la différence entre des dizaines de sons fricatifs polonais très rapprochés, différents phonèmes asiatiques ou des subtilités de la langue arabe.

Faisons ici un bref arrêt sur image: l’emploi du mot créolophone ici se réfère à  un individu capable de parler, de réfléchir et de ressentir en créole !

Faisons donc un second arrêt sur image  pour rappeler la finalité de cet écrit qui n’est pas simplement de vanter les mérites de l’apprentissage linguistique par immersion. Il s’agit surtout de livrer une conviction profonde sur le fait que cette immersion est d’autant plus efficace (en termes de : temps, accent, juste choix de vocabulaire, conceptualisation et contextualisation, etc.) chez un créolophone. Il va sans dire qu’un polyglotte au berceau jouit d’une très grande aisance à apprendre de nouvelles langues (prenons l’exemple des luxembourgeois qui parlent au moins 4 langues germanophones, latine et anglo-saxonne dès l’enfance). Il n’en reste pas moins que peu de langues offrent un tel creuset de possibilités et de malléabilité que le créole (celui d’antan tel que décrit supra). 

Et permettez-moi encore d’emprunter au conteur créole sa liberté pour cette digression : je suis convaincue que les Polonais et les Russes (ne parlons même pas des Biélorusses !) disposent aussi d’une grande facilité pour l’apprentissage d’autres langues, parce que possédant une langue riche en phonèmes variés, presqu’aussi complexe à l’apprentissage que le mandarin et à la croisée de diverses influences linguistiques. Néanmoins, vu que le peuple polonais est relativement peu nombreux et qu’il n’existe pas de (ex)colonies polonaises, on est en droit de se demander pourquoi cette langue existe-t-elle encore avec ce degré de complexité et pourquoi le ministère de l’éducation nationale polonais ne semble pas rencontrer les mêmes difficultés que son homologue français avec le bac de français. A ce jour, une explication que j’envisage est le sens de l’humour et du travail des Polonais (et accessoirement le fait qu’ils apprennent cette langue au berceau).

Permettez-moi encore de poser cette autre question : pourquoi tous les créoles de la Caraïbe ne parlent-ils pas au moins quatre langues couramment dès l’enfance ? Nous ne manquons pas de sens de l’humour et les atouts évoqués précédemment devraient nous prémunir contre les apprentissages laborieux. A ce jour, une explication que j’envisage est la méconnaissance de nos propres capacités d’apprentissage linguistique, tout d’abord depuis le créole puis par les passerelles latines dont nous avons hérité – et non point le manque d’intérêt puisque nous semblons dotés d’une curiosité innée ! (Une preuve en étant que vous êtes parvenus jusqu’ici, Yé krak ?).

Une IDMartinique de Lucia ANGELO, parrainée par Contact-Entreprises.