Bondamanjak

#Exhibit B. La position du CRAN

La polémique enfle autour de l’exposition de Brett Bailey, « Exhibit B ».

Le spectacle qui a déjà été montré à Avignon et à Poitiers (où le président du #CRAN a pu le voir) arrive bientôt à Paris. Il dénonce le racisme dont les populations noires ont été victimes à travers les siècles, qu’il s’agisse de l’#esclavage, des massacres coloniaux, ou des zoos humains. Cette mise en scène bouleversante est faite de tableaux vivants morbides, avec des acteurs #noirs, immobiles. Ainsi les humiliés, les enchaînés, les écorchés, les étouffés…

L’intention de l’artiste est claire. Mettre en lumière pour mettre en cause les crimes de l’Histoire. Mais si cette exposition a suscité cet émoi, c’est qu’elle est en effet problématique. En montrant de la sorte les victimes du #racisme, des esclaves d’autrefois aux sans-papiers d’aujourd’hui en passant par les Africains dans les zoos humains, l’artiste donne l’impression que de tous temps, les Noirs n’ont jamais été que des êtres passifs, spectateurs endoloris de leur propre misère, endurant en silence, subissant sans murmure, attendant sans mot dire que le « grand blanc » vienne enfin les sortir de leur triste condition.

Ce serait faire litière de tous ces résistants, de la reine Zingha à Harriet Tubman en passant par Toussaint Louverture, Elisabeth #Freeman ou encore le commandant #Delgrès, qui montrent que, bien sûr, les Noirs ont été les premiers à se battre pour leur propre émancipation. Ainsi, malgré une intention clairement antiraciste, cette exposition risque paradoxalement de renforcer les stéréotypes paternalistes et colonialistes sur le Noir, accablé, chosifié, éternel assisté, digne objet de pitié pour les dames patronnesses.

Cette image longtemps véhiculée dans l’espace public, et encore aujourd’hui, a permis d’entretenir des millions de Français dans l’idée essentialisante que les Noirs n’étaient finalement que de pauvres hères, et de nombreux Noirs, privés de tout modèle, de toute référence positive, ont eux-mêmes cru à cette fatalité truquée et, victimes de cette domination intériorisée, ont reproduit dans leur vie le destin préfabriqué qui leur avait été assigné, ces prophéties auto-réalisatrices ne pouvant que conforter les préjugés dans le cercle vicieux de leur vérité falsifiée.

« Les manuels d’histoire d’autrefois donnaient l’impression que tous les Français étaient résistants en 1940 et, à l’inverse, qu’aucun Noir n’avait jamais résisté à l’esclavage et à la colonisation, a commenté Louis-Georges Tin. Ces deux images sont également fausses, a ajouté le président du CRAN, et doivent être corrigées. Nous avons nos héros, qui ont contribué à la liberté universelle, mais cela semble gêner l’opinion publique. Il faudrait se demander pourquoi… »

C’est pourquoi le CRAN demande au théâtre Gérard Philippe et au 104 de prévoir une programmation sur les résistances noires, afin que le public de ces lieux ne soit pas prisonnier des stéréotypes raciaux involontairement renforcés par Brett Bailey.
Par ailleurs, au-delà de cette circonstance particulière, le CRAN demande à être reçu par Fleur Pellerin, ministre de la culture, afin qu’un audit soit réalisé sur la représentation des Noirs dans le monde de la culture, qui n’est peut-être pas si ouvert qu’il prétend l’être. L’accès des Noirs par exemple à des postes de responsabilité dans le domaine ne semble pas très évident. Après la campagne du CRAN sur les statistiques de la diversité, un travail important a été fait par le CSA, avec son baromètre de la diversité, publié chaque année depuis 2009. Mais nul ne sait ce qu’il en est dans les autres domaines de la culture.

Enfin, le CRAN estime qu’on ne saurait avoir de position extrême sur le sujet. L’interdiction, il est vrai, n’est pas la bonne solution pour un spectacle qui, tout en renforçant les stéréotypes raciaux, part malgré tout d’une intention antiraciste (ou pour le dire autrement, Bailey n’est pas Zemmour). Mais en même temps, on ne saurait mépriser les personnes qui se sont senties légitimement choquées par cette exhibition, sauf à dire aux Noirs qu’on sait mieux qu’eux-mêmes ce qui est bon pour eux, ce qui est précisément le début du paternalisme colonial.