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Haïti : la violence politique s’inscrit dans l’histoire du pays

Par Serge Bilé

Le président Jovenel Moïse a été assassiné dans la nuit de mardi à mercredi (6 au 7 juillet 2021) par des hommes armés dans sa résidence privée. Ce drame en rappelle d’autres dans ce pays. Avant lui, plusieurs dirigeants haïtiens ont été tués ou destitués. Rappel

Le 1er janvier 1804, lorsqu’Haïti accède à la souveraineté après avoir vaincu l’armée française à la bataille de Vertières, le vers de la violence est déjà dans le fruit de l’indépendance, proclamée par Jean-Jacques Dessalines sur la place d’armes de la ville des Gonaïves.

Le roi Christophe se suicide

Dessalines se désigne empereur mais son règne est de courte durée. Deux ans après son sacre, il est assassiné par ses anciens lieutenants. Les soldats lui coupent les doigts pour voler ses bagues de valeur et le dépouillent de ses riches vêtements, avant de l’abandonner à la foule qui lapide sa dépouille à coups de pierres.

La succession de Dessalines consacre la partition du pays. Le Sud est dirigé par le mulâtre Alexandre Pétion et le Nord par un président noir Henri Christophe qui se fait couronner roi. Ce dernier connaît lui aussi une fin tragique, lorsque ses hommes se soulèvent. Ne pouvant pas contenir la révolte, le roi Christophe se suicide en se tirant une balle dans la tête le 8 octobre 1820.

Le 12 mai 1902, une fusillade éclate au Parlement 

Le Nord et le Sud sont réunifiés dans la foulée par le président Jean-Pierre Boyer. Mais la violence continue. Boyer reste au pouvoir pendant plus de 20 ans, avant d’être renversé par une nouvelle révolution. Il s’exile en France où il meurt en 1850.

Son successeur Tirésias Simon Sam subit le même sort. Le 12 mai 1902, une fusillade éclate au Parlement situé à proximité du petit séminaire des Spiritains à Port-au-Prince. Un prêtre raconte.

Le petit séminaire a reçu pas mal de balles égarées. Il a même servi de refuge à plus de 400 personnes, parmi lesquelles des sénateurs et des députés avec leurs familles. Le président Sam lui-même a confié à nos pères trois de ses fils, députés du peuple, et quelques autres de ses amis.

Un prêtre

Tirésias Simon Sam s’exile à Paris. Ses successeurs ne sont pas mieux lotis. En 1908, le président Nord Alexis est renversé par un coup d’État. Avec son Premier ministre Cincinnatus Leconte, il s’exile à Kingston.

« De 1888 à 1913, parmi les huit présidents qui se sont succédé au pouvoir en Haïti, cinq ont été obligés de se réfugier à la Jamaïque », explique l’ancien ministre Jean Victor Généus, en pointant les ingérences étrangères. « Les institutions financières du pays étaient contrôlées par les Européens qui utilisaient toutes sortes de manœuvres pour renforcer leur position et s’assurer de juteux bénéfices« .

À Kingston, où ils prennent leurs quartiers, les exilés ne songent qu’à une chose : recruter des mercenaires pour repartir en Haïti et reprendre le pouvoir. Du coup, il n’est pas rare qu’en débarquant du bateau un président déchu croise son successeur qui s’embarque pour Port-au-Prince avec sa soldatesque.

Un journaliste du New-York Times, témoin d’une telle scène, s’en fait l’écho à l’époque.

Ceux retournant en Haïti occupent l’étage supérieur du bateau. Ils ont leurs moustaches bien taillées selon le style français. Les membres de l’équipage leur apportent sans discontinuer du café, du champagne, et du rhum.

En sens inverse il y a le débarquement des exilés qui est une scène pathétique. Ils arrivent à Kingston avec leurs bras en écharpe, la tête bandée, et les vêtements en lambeaux. Ils ne méritent aucune sympathie parce qu’ils vont passer leur temps en Jamaïque sans travailler et attendre leur tour. 

Un journaliste du New-York Times

Attentat au palais national

De retour d’exil, à la tête d’une armée, Cincinnatus Leconte s’empare du pouvoir le 10 août 1911. Mais un an plus tard, presque jour pour jour, le 8 août 1912, il connaît lui aussi une fin tragique dans l’enceinte même du palais présidentiel à Port-au-Prince.

« Ce matin vers 3 h 25, une horrible explosion réveillait toute la population. La formidable détonation était accompagnée de bruits de mitraille et de crépitements de balles. Le palais venait de sauter. On vit les flammes gigantesques promener leur lueur rouge sur toute une partie de la ville », écrit le quotidien Le Matin.

Le peuple se révolte et lynche le président Vilbrun Guillaume Sam

Accident ou attentat ? Le pays s’interroge. Le 27 juillet 1915, la violence ne faiblit pas à Port-au-Prince. Bien au contraire. Le président Vilbrun Guillaume Sam, fils de Tirésias Simon Sam, fait arrêter et exécuter près de cent-soixante opposants, dont son prédécesseur Oreste Zamor.

Mais le massacre se retourne contre son auteur. Le peuple se révolte et lynche le président Vilbrun Guillaume Sam. Résultat ? Les troupes américaines débarquent en Haïti, officiellement pour restaurer la stabilité et la sécurité. Elles resteront dans le pays pendant dix-neuf ans.

De Jean-Claude Duvalier à Jean-Bertrand Aristide…

En 1957, lorsque François Duvalier devient président, la violence est incarnée plus que jamais par les milices privées, les fameux tontons macoutes. Corruption, arrestations, tortures, assassinats, rythment le quotidien des Haïtiens.

À la mort de Papa Doc en 1964, son fils, Jean-Claude Duvalier, prend le relai. En 1986, confronté au mécontentement populaire et lâché par les États-Unis, Bébé Doc finit par quitter le pays. Même sort pour le président Jean-Bertrand Aristide, chassé du pouvoir à la suite d’un coup d’État en 2004.