Bondamanjak

HOMOPHOBIE ET SOCIETE ANTILLAISE…

  Les facteurs géographiques sont l'insularité et le contexte
latino-américain. Les îles des Petites Antilles précisément, parce qu'elles
sont des îles et parce qu'elles sont petites, forment autant de sociétés
closes où tout le monde connaît tout le monde, comme en Corse par exemple,
ce qui rend le regard collectif singulièrement oppressant pour les personnes
LGBT (lesbiennes, gaies, bi & trans). Et ces îles font partie intégrante du
contexte latino-américain avec son cortège de violence rhétorique ou
physique, violence qui va de la «murder music» interprétée par Krys ou
Admiral T, décalque des appels au meurtre de certains chanteurs jamaïcains,
jusqu'aux meurtres homophobes commis chaque année par dizaines au Mexique,
au Brésil, en Jamaïque et ailleurs ;

Les facteurs historiques relèvent du passé colonial et esclavagiste. Le
passé colonial, qui a laissé de nombreuses lois homophobes dans les Antilles
anglophones, participe encore aujourd'hui d'un contexte social figé, rétif
aux avancées des droits des minorités sexuelles, perçus comme un «cadeau
empoisonné» de l'ancien colonisateur destiné à empêcher les descendants
d'esclaves d'affirmer voire de redécouvrir leurs supposées valeurs
originelles et, par là même, leur liberté. Le passé esclavagiste, plus
particulièrement, toujours présent dans les mentalités et souvent
déterminant dans la répartition des richesses, voyait le corps des esclaves
réduit au rang d'objet de jouissance pour les maîtres, et amène certains de
leurs descendants à voir dans l'homosexualité une volonté «du» Blanc de
reprendre possession du corps «du» Noir (l'homosexualité entre Noirs étant
alors déniée ou ramenée au statut de pratique sournoisement répandue par
«le» Blanc) ;

Les facteurs institutionnels sont la religion et, pour ce qui relève des
Antilles françaises, la loi française. L'église catholique et les
différentes confessions et sectes protestantes, particulièrement vivaces aux
Antilles, assimilent ouvertement l'homosexualité à la pédophilie et ramènent
sans cesse leurs nombreux fidèles à la littéralité des passages homophobes
de la Bible (Lévitique, XVIII, 22 et XX, 13 notamment). La législation
française, en réprimant les actes et les propos homophobes, place finalement
les Antilles françaises dans une contradiction permanente : coincée entre
une norme sociale et une norme légale de plus en plus divergentes, la
population martiniquaise et guadeloupéenne a jusqu'à présent plus ou moins
troqué son homophobie, ramenée à une certaine discrétion, en échange du
confinement de la vie homosexuelle dans un non-dit permanent, facteur
d'étouffement psychologique et de défaut de prévention VIH/sida.

La culture de la famille antillaise se forme au creuset de ces facteurs :
insularité, contexte latino-américain, passé colonial et esclavagiste,
religion, influence métropolitaine… La notion de famille élargie est alors
primordiale à la Martinique et à la Guadeloupe (qui comptent respectivement
un peu moins de 400.000 et un peu plus de 450.000 habitants, soit en moyenne
la population de l'aire urbaine de Metz) : où qu'il soit, chacun est
toujours sous le regard d'un cousin, d'un oncle ou de quelqu'un qui en
connaît un. Dès lors, la famille, soucieuse de protéger sa réputation,
exercera une pression renforcée sur ceux de ses membres qui seraient
homosexuels. Plus facilement qu'ailleurs, cette pression pourra aller de
l'humiliation permanente à la violence physique en passant par la
séquestration. Et si la famille élargie n'exerçait pas cette pression, c'est
elle qui serait stigmatisée : il n'est qu'à voir les attaques que subit
apparemment en Martinique la famille de Cyril, candidat supposé homosexuel
de l'émission «Star Academy» diffusée par TF1 (cf. le magazine Baby Boy de
novembre 2006, page 8). L'exil apparaît dès lors comme la plus vivable des
solutions : la mère pourra renoncer à demander des petits-enfants à son fils
sous réserve que ce fils soit loin, en France hexagonale, au prix d'une
rupture familiale de fait qui expose les plus jeunes à une précarité sociale
et économique ne restant pas sans conséquences à un âge où le futur
professionnel se joue.

3°/ Quelle est l'audience de la «murder music» aux Antilles ? Pensez-vous
que les médias sont trop complaisants à l'égard de ses représentants ?

L'audience du dancehall, du reggae et du ragga est considérable aux
Antilles. Les jeunes reprennent des refrains d'une violence sidérante, dont
les interprètes sont complaisamment diffusés par les radios et les télés
locales : Trace FM, Canal + et Canal Sat Caraïbes ont ainsi récemment
retransmis un concert d'Admiral T. À cette occasion, France-Antilles a même
publié une interview de ce dernier où il se disait «attaqué» et «agressé»
par les associations LGBT ! Toutefois, ce même quotidien reprend
régulièrement les informations émises par An Nou Allé, comme d'autres radios
ou télévisions locales, notamment RFO. Le paysage audiovisuel antillais se
partage donc entre le pire et le meilleur, semblable en cela au reste du
paysage audiovisuel français.

4°/ Les socialistes ayant dérapé sur la question de l'homosexualité sont-ils
revenus sur leurs propos ?

Les trois membres antillais du Parti socialiste qui ont récemment tenu des
propos homophobes, Marlène Lanoix, Raymond Occolier et Jules Otto, ne sont
pas revenus sur leurs propos, si ce n'est pour les aggraver ! Seul Jules
Otto aurait écrit une lettre pour expliquer que ses propos avaient été mal
compris ou mal rapportés… mais sa lettre d'explication serait introuvable
au siège du Parti socialiste et l'intéressé, injoignable, refuse d'en
fournir une copie !

5°/ Quelles solutions à l'homophobie aux Antilles ? Le recours à la loi
contre les injures homophobes ? L'éducation ?

La loi contre les propos homophobes promulguée le 30 décembre 2004 est utile
pour faire peur aux homophobes et pour faire que la honte change de camp…
mais elle semble être une fausse bonne solution à l'homophobie aux
Antilles : qui osera l'invoquer devant la Justice ? Récemment, dans un
procès consécutif à un meurtre ayant suivi une injure homophobe, même le
ministère public a légitimé la violence physique comme réponse à l'injure
homophobe ! Seule la pédagogie paraît en mesure de faire bouger les
mentalités, qu'elle soit menée sur la place publique par An Nou Allé ou
qu'elle soit, enfin, assumée à l'école par l'Éducation nationale. Faire
tomber les frilosités de cette dernière sera précisément le but de la
prochaine Journée mondiale de lutte contre l'homophobie, le 17 mai prochain.
Son thème sera : «Non à l'homophobie, oui à l'éducation !»

Pour AN NOU ALLÉ ! CGL Antilles & Guyane,
Association des NoirEs lesbiennes, gais, bi & trans en France,
Le Secrétaire général,
David Auerbach Chiffrin
+33 (0)612 951 621

Pour tout renseignement : http://www.annoualle.org
Antenne Paris Île-de-France : c/o David Auerbach Chiffrin
113 bd Voltaire – 75011 Paris – +33 (0) 612 951 621 (t.l.j. 19h30/21h30)
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