Bondamanjak

Intervention de Claude LISE lors de la Plénière du Conseil général du 28 Juin 2011

              Si elles sont si évidentes, pourquoi la cour des Comptes, statuant en appel, a-t-elle rendu un arrêt dans lequel elle ne se prononce pas sur le caractère légal ou non de l’octroi, par le Conseil général, d’une employée de maison (Madame GAMBIE) à Mme FANON-ALEXANDRE ?

              En effet, rompant de façon étonnante avec sa jurisprudence antérieure, la Cour des Comptes dissocie, dans son arrêt du 9 juin 2011, la reconnaissance de l’existence d’une gestion de fait  de la question de la légalité de l’action incriminée.

              Ce changement de jurisprudence sera évidemment apprécié par le Conseil d’Etat en cassation. Mais, ce qui est encore plus étonnant, c’est que la Cour a mis en avant un autre grief que celui de la Chambre régionale, à savoir, tenez-vous bien, que l’emploi de la personne affectée au logement de fonction de Madame FANON-ALEXANDRE aurait été dissimulé !

              Pour ma part, ce matin, je ne souhaite pas que s’engage un débat essentiellement juridique. J’ai voulu simplement bien faire comprendre que rien n’est évident dans cette affaire, et que rien n’est définitivement tranché puisqu’il y a des procédures en cours, notamment au Conseil d’Etat.

              Je ne vais pas non plus évoquer l’opération politicienne sordide et odieuse qui est à l’origine de l’affaire avec, comme élément déclenchant, en 2008, une lettre anonyme – en réalité pas si anonyme que ça – adressée au Procureur de la République et à la Ministre de la Justice de l’époque. (Madame RACHIDA DATI).

              Ce sur quoi je veux d’abord attirer l’attention de tous les collègues, c’est d’abord sur le fait qu’au-delà des aspects administratifs, juridiques, judiciaires et politiques, il y a une personne humaine, qui, depuis quatre ans, vit un véritable drame.

              De qui s’agit-il ? D’une Martiniquaise, jusque-là honorablement connue. Dont la probité n’avait jamais été mise en cause jusque-là. Dont la compétence est unanimement reconnue. Une femme qui a occupé des fonctions importantes successivement à la Ville de Fort de France et au Conseil Général de la Martinique.

              S’agissant de la Ville, je me contenterai de vous lire un extrait du courrier adressé le 24 septembre 1998 par Aimé CESAIRE à l’intéressée et dont j’ai été également destinataire : « Je tiens par la présente à vous remercier pour le travail, le dévouement et la loyauté que vous avez manifestés tout au long de ces 16 années passées à mes coté. Sachez que la contribution qui fut la votre pour la ville fut très appréciée de tous. Cet engagement, vous le poursuivez en donnant le meilleur de vous-même auprès de mes collègues et camarade du Conseil Général.

Par ailleurs, la collaboratrice de haut niveau que vous êtes, n’ignore pas qu’elle peut à tout moment, offrir, de nouveau, ses services à la Ville, même sous un statut autre que celui de fonctionnaire, si d’aventure les circonstances devaient vous amener à l’envisager. ». Voilà ce qu’écrivait Aimé CESAIRE.

              S’agissant du Conseil général, après avoir été cinq ans Directrice de Cabinet du Président, elle est nommée Directrice Générale des Services Départementaux en juin 1997- elle est alors l’une des quatre femmes nommées à un tel poste en France -. Et je pourrais reprendre à mon compte, concernant sa façon de servir le Département, les appréciations d’Aimé CESAIRE.

              D’ailleurs, en 1999, l’Etat considère qu’elle mérite de recevoir une décoration en reconnaissance, comme on dit, de ses «bons et loyaux services » : elle est faite Chevalier dans l’Ordre National du Mérite.

              Voilà donc la femme qui va connaitre, en 2008, les affres d’une garde à vue humiliante (c’était avant la loi qui a fort heureusement mis fin aux abus dans ce domaine), qui va être poursuivie pour gestion de fait par la C.R.C. et par la Cour des Comptes, puis – alors que cela n’avait rien d’automatiquement lié aux procédures précédentes – qui va être poursuivie au pénal par le Procureur de la République pour, tenez-vous bien : détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêt !

              Et, comme si cela ne suffisait pas, elle va être, en août 2011, sans ménagement, licenciée pour faute grave !

              Mais quel crime a-t-elle donc commis qui justifie un tel acharnement ? Un acharnement que tant de nos concitoyens voudraient voir appliquer à certaines catégories de grands délinquants qui se comportent comme des intouchables !

              Eh bien, le crime qu’elle a commis c’est, en fait, d’avoir accepté que le Conseil général lui fasse, le 4 juin 1997, un contrat de DGSD stipulant qu’elle disposerait des mêmes avantages en nature, dans son logement de fonction, que son prédécesseur (Monsieur George FOUSSE). Et ce qu’il faut savoir, c’est que ce contrat a été rédigé conformément à une délibération d’une plénière du 3 juin 1997, prise à l’unanimité. J’ai là à votre disposition copie de la délibération. Et je tiens à vous lire le nom des élus qui ont voté la délibération :

«ALMONT Alfred – CAYOL Claude – CELMA Pierre – CHARPENTIER André – CRUSOL Louis – DELBOIS Olga – DELEPINE Edouard – DESIRE Rodophe – DULYS Jenny – Duverger Jean-Claude – ERICHOT George – GRANDIN Victor – JEAN-BAPTISTE Moléon – JEAN-ELIE Edouard – JEANNE Roger – LARCHER Serge – LAVENTURE Miguel – LETCHIMY Serge – LISE Claude- LISE Roger – MALSA Garcin – MANSCOUR Louis–Joseph – MARIE-JEANNE Alfred – NABETI Emile – PAIN Serge – PIVATY Albert – PRUFER Gérald – RENARD Guy – SALPETRIER Siméon – SUEDILE Pierre – TURINAY Anicet – WAN-AJOUHU Ernest – ZAMI Léon ».

              Et quels étaient ces avantages en nature ?

              Premièrement, du personnel de service, au nombre de 4 :

–          1 femme de ménage,

–          1 cuisinier,

–          1 repasseuse (!),

–          1 jardinier.

Deuxièmement , des frais de représentation (736 euros par mois), la prise en charge à 100 % de la redevance de télévision, des frais de téléphone, d’électricité, d’eau et de gaz, des impôts locaux et des produits d’entretien.

Ces avantages en nature, qui apparemment n’avaient jamais choqué personne (ni contrôle de légalité, ni Chambre Régionale des comptes – laquelle avait pourtant eu l’occasion d’examiner les comptes du Département depuis l’année 1991) avaient été accordés par le Conseil général, sous la présidence de mon prédécesseur (le Président Emile MAURICE), par une délibération d’Assemblée Plénière en date du 9 juin 1982.

Monsieur FOUSSE a gardé ses fonctions de Directeur Général des Services Départementaux après mon élection à la présidence en 1992 pendant 5 ans. Je suis, en effet, de ceux qui pensent qu’il faut réfléchir à deux fois avant de couper la tête d’un cadre supérieur martiniquais que l’on ne peut recaser dans un poste équivalent au pays. Evidemment, lorsqu’il a accepté un poste important à Paris – que j’ai contribué à lui faire proposer – et que je l’ai remplacé par Madame FANON-ALEXANDRE, j’ai considéré qu’il fallait profiter de ce changement pour revoir tous les avantages en nature à la baisse.

Ainsi, quelques mois après le renouvellement de 1998 de l’Assemblée Départementale, j’ai présenté en Commission Permanente (en février 1999) un rapport tendant à réduire le personnel de maison à 2 au lieu de 4. Je dis bien personnel de maison car c’est le terme que j’ai utilisé dans le rapport que je tiens là à votre disposition. Il date précisément du 11 février 1999.

C’est un rapport que j’ai remis à la Chambre Régionale des Comptes pour bien montrer que la volonté des élus avait bien été d’octroyer à la DGSD deux personnels de maison. En vain ! On a préféré faire du pointillisme sémantique en opposant le terme personnel d’entretien, utilisé par l’administratif qui a rédigé la délibération, au terme personnel de maison utilisé dans le rapport voté par les élus. C’est le terme d’entretien qui a été retenu par la Chambre ;  à partir de quoi, semble-t-il, chaque fois que l’employée en question, cessant d’astiquer une casserole allumait un feu sous la dite casserole pour faire cuire un aliment, – pendant bien sûr les heures de travail – on était en présence d’un épouvantable détournement de bien public !

La fiche de poste que j’ai là, et que je tiens à votre disposition, prouve également que les choses étaient très claires dès la décision du 11 février 1999, puisqu’elle mentionne bien « employée de maison ». Et si je ne vous montre qu’une fiche de poste, c’est que Madame FANON ALEXANDRE n’a, en fait, souhaité disposer que d’une seule employée dans son logement de fonction.

Autrement dit, on est passé de 4 employés à 1 seule employée réalisant ainsi d’importantes économies pour le Département.

Je précise par ailleurs que tous les autres avantages dont disposait le prédécesseur ont été supprimés sauf les frais de représentation mais que Madame FANON-ALEXANDRE n’a jamais réclamés. A simplement été accordée la prise en charge de la fraction d’eau et d’électricité nécessaire à l’entretien et à la sécurité des abords de la Villa Côte de Grâce, qui, je tiens à le rappeler, est un patrimoine départemental.

Dans ces conditions, comment, en toute bonne foi, considérer que Madame FANON-ALEXANDRE se serait octroyée, dans son intérêt personnel, des avantages indus ?

De tout évidence, c’est bien le Conseil général qui lui a octroyé des avantages en nature qu’elle n’a utilisé que partiellement (notamment 1 employée de maison au lieu de 2).

Le Conseil général l’a fait, on l’a vu, en tenant compte des dispositions légales en la matière. Et il l’a fait, en considérant, bien entendu, que ces avantages avaient un caractère d’utilité publique.

Ils ont un caractère d’utilité publique :

–          d’une part, car non destinés à Madame FANON-ALEXANDRE à titre personnel mais à la Directrice Générale des Services Départementaux,

–          D’autre part, car relative à l’entretien d’une Villa propriété du Département.

L’employée de maison devait, en effet, je cite : «assister la Directrice Générale dans l’organisation de déjeuners, dîners et de réceptions organisés à des fins professionnelles. ». Compte tenu de l’état de vétusté de la villa, vieille de plus d’un demi-siècle (comportant des murs dégradés, des canalisations et circuits électriques défectueux, etc.), elle devait, je cite : «signaler tout dysfonctionnement, programmer les rendez-vous d’intervention avec les services du Conseil général et les entreprises, accueillir les agents techniques du Conseil général et assurer l’accueil et la surveillance des entreprises chargées d’intervenir pour les fréquentes et importantes réparations nécessaires. ». Autrement dit, la majorité du temps de travail et des missions de madame GAMBIE étaient dédiés à l’entretien de la villa et des meubles, biens immobilier et mobiliers du Département.

              Les dépenses engagées dans ce cadre ont été, sans conteste, d’utilité publique.

              Et j’ai envie d’ajouter, Collègues : ne soyons pas hypocrites ! Tout le monde sait que nombreux sont les hauts fonctionnaires de l’Etat ou de la Fonction Publique Territoriale qui bénéficient de tels avantages partout en France hexagonale et outre-mer.

              J’ai consulté l’Association des Départements de France à ce sujet et je pourrais évoquer bien des exemples…

              Je veux insister, par ailleurs, sur le fait qu’une loi votée en juillet 1999 stipule bien que les Collectivité territoriales peuvent accorder aux Directeurs Généraux de Services logement et voiture de fonction mais également différents autres avantages en nature. Le principe à observer étant celui de la comparabilité entre fonction publique territoriale et fonction publique d’Etat. Parmi ces avantages, il y a notamment d’expressément prévu le droit au versement de frais de représentation, et je rappelle à ce sujet que Madame Frédérique FANON-ALEXANDRE n’en a jamais réclamé et donc n’en a jamais bénéficié.

              En conclusion, Chers Collègues, nous avons une décision à prendre dont nous mesurons tous, évidemment les conséquences.

Il faut que nous la prenions, cette décision, en étant conscients que toute réponse négative signifiera un grave désaveu des décisions prises à l’unanimité par les élus qui siégeaient ici en 1997 et 1999. Des élus parmi lesquels certains d’entre nous se trouvaient. Des élus parmi lesquels, en tout cas, nous avons tous des amis politiques.

              Il faut que nous la prenions, cette décision, en élus responsables, qui n’acceptent pas de contrôles d’opportunité imposés sous couvert de contrôles de légalité.

              Il faut que nous la prenions, chacun face à sa conscience, en sachant dominer rancœurs, reflexes passionnels et partisans, et en ayant le courage de refuser de cautionner une criante injustice.