Bondamanjak

Jeunes antillais : les oubliés du système français

L’aide, nouvellement baptisée « Passeport étudiant » sera à hauteur de 100% du prix du billet d’avion pour les étudiants boursiers et 50% pour les non-boursiers dont le foyer fiscal est non imposable ou imposé aux deux premières tranches du barème fiscal. Une famille martiniquaise de deux enfants, éligible à l’aide, pourra ainsi bénéficier d’un montant de 680 à 1.080 euros pour un voyage coûtant 2.330 euros. Cela signifie que 1250€ resteront, dans le meilleur des cas, à sa charge. 

Pour les étudiants dépassant ces deux premières tranches, pas de prise en charge. 

Il s’agit, selon Mme Penchard, d’aider ceux qui ont moins de moyens. L’initiative est a priori louable, mais pénaliserait tous ceux qui ne rentrent pas dans les critères sociaux fixés par le gouvernement, même s’ils réussissent leurs études. Et ce sont des milliers de familles qui ne pourraient assumer la dépense de billets en moyenne à 800€ pour un seul enfant.  

Les étudiants antillais se sentent donc lésés par des mesures gouvernementales qui ne prennent plus en compte leur réalité, et venant d’une ministre originaire de l’Outre-Mer, la mesure ne peut que faire grincer des dents. Un groupe a d’ores et déjà été créé sur le réseau social Facebook, intitulé « Pour le retour du passeport mobilité pour tous les étudiants ultramarins! », dans le but de dénoncer ce programme. Les étudiants qui ont bénéficié ou qui continuent de le faire du Passeport Mobilité, veulent que les générations futures d’antillais ne soient pas pénalisées, par ce qui est vécu comme une trahison de la part de Mme Penchard.

Certes, le dispositif du Passeport Mobilité  a un coût dont il faut être conscient : le rapport du Sénat souligne qu’en 2007, le passeport mobilité étudiants a coûté 17 millions d’euros et le passeport mobilité insertion formation 5 millions. C’est la conséquence à la fois de la notoriété du dispositif, mais également de l’incapacité à négocier les tarifs des compagnies aériennes. En effet, les familles qui bénéficient de l’achat direct, dont les enfants souhaitent se rendre vers la France hexagonale n’ont qu’un choix : la compagnie Air France. (cf. http://passeport-mobilite.cnous.fr/pieces_a_fournir.html).

Il ne reste alors plus aux instances chargées de ce dispositif qu’à payer. Il y a à fort à  parier qu’élargir le champ des compagnies partenaires pour cette destination, Air Caraïbes et Corsair, aurait des avantages économiques.

Cependant, le passeport mobilité  pour tous ceux qui pouvaient justifier de bons résultats scolaires n’était pas un privilège. Il permettait aux étudiants ultra-marins, qui pouvaient être handicapés par leur position géographique dans la poursuite de leurs études, d’être mis sur un pied d’égalité  avec ceux résidant sur le territoire hexagonal. Son maintien, basé  sur des critères de réussite et non sur des critères sociaux, est donc une nécessité pour des milliers de familles et d’étudiants.

Que cela soit dit : le passeport mobilité ne relève pas de l’aide sociale, mais de la continuité territoriale.

Il semble évident qu’un étudiant boursier a le droit d’en bénéficier si ses résultats le justifient, autant qu’un étudiant non-boursier quel que soit le niveau de ressources de ses parents. Le critère social, valable pour les bourses ou les prêts ne doit pas entrer ici en compte. Que Mme Penchard pense qu’au-delà  de l’échelon 2, les familles sont capables d’assumer financièrement les billets d’avion, c’est oublier le prix des billets à certaines périodes. Pour rappel : certaines familles vivant en France hexagonale, ont un budget de 800-1000 pour leurs vacances et pas uniquement pour un seul de leur enfant !

Loin de la famille, aller de l’avant
Il faut insister sur le fait que pouvoir bénéficier d’un aller-retour annuel entre les territoires ultramarins et la France hexagonale n’est pas un luxe pour ces étudiants.  
D’une part le passeport mobilité permettait aux étudiants d’aller poursuivre leurs études en France hexagonale ou dans un territoire d’Outre-Mer où existait la filière demandée, d’autre part il leur permettait de retourner profiter de leurs familles. C’est en effet souvent la seule fois où ces étudiants visitent leurs familles restées à des milliers de kilomètres. Loin de l’idée que le passeport mobilité permettrait d’aller se la couler douce plusieurs fois par an aux frais de la princesse. Les étudiants antillais n’ont pas la possibilité de se rendre, à chaque week-end prolongé, chaque période de vacances scolaires ou pour Noël dans leurs familles. Avec des études qui durent en moyenne 5 ans, il peut être difficile d’imaginer que certains ne voient leurs parents que 5 fois, mais c’est bel et bien la réalité. La résistance à l’éloignement se développe bon gré mal gré chez ces étudiants qui doivent de toutes les façons continuer à vivre.  

On peut imaginer l’impact psychologique qu’a cet éloignement, quand on doit préparer des examens ou assumer le quotidien.  

Bien sûr, la solidarité existe et permet de se regrouper pour partager de bons moments, mais elle ne fait pas oublier que les référents familiaux directs restent de l’autre côté. Malgré les moyens de communication qui permettent d’échanger avec eux via le téléphone ou Internet, beaucoup ne cachent pas que même si elle est acceptée, la situation n’est pas facile à vivre.  

Des succès mal reconnus
Plus largement, le sentiment d’être mal-aimés par la République règne chez ces étudiants. « On ne s’intéresse aux Antilles uniquement quand il y a des grèves ou des élections » confie l’un d’entre eux. Récemment encore, les Antilles ont été sous les feux des projecteurs avec la grève de 2009 contre la vie chère. Une grève légitime pour ces départements dont les prix des produits de première consommation explose régulièrement. Mais « quand il y a une grève en France hexagonale, elle reçoit du soutien. Dès qu’il s’agit des Antilles, on nous renvoie à notre position de fainéants ou de parasites pour la République. Cela n’est plus acceptable ». Car l’opinion publique oublie trop souvent que les Antilles ne sont pas uniquement le lieu de vacances, de grèves à répétition, de doudous et de rhum.  

Certains noms rappellent que les antillais sont dynamiques et ambitieux : Audrey Pulvar, Christine Kelly, Harry Roselmack en sont des exemples, mais ne sauraient faire oublier les moins connus entrepreneurs Jean-José Jacques-Gustave *, Régis Cornélie et Rony Guillaume* , mais aussi les Stéphane, Kelly, Nicolas, Elodie, cadres, employés, ingénieurs, techniciens, chanteurs, danseurs qui symbolisent ces territoires d’outre-mer qui souhaitent être reconnus à leur juste valeur. Ces étudiants souhaitent montrer qu’ils ne sont ni fainéants, ni seulement présents dans le domaine sportif. D’ailleurs, l’un d’eux affirme que « quand il s’agit de médailles, notre fainéantise semble disparaître. On est français à part entière, et plus du tout les originaires des Antilles qui sucent la République».

Il ne s’agit clairement pas pour ces ultramarins de profiter de la France, via le Passeport Mobilité ou d’un quelconque autre dispositif, comme on tend à le dire, mais de saisir des opportunités qui ne sont pas encore présentes dans leurs territoires. L’égalité ne consiste-t-elle pas à prendre en compte les particularismes qui peuvent être handicapants afin que tout le monde soit au final sur le même socle ?


* Jean-José Jacques-Gustave a grandi en Martinique et est fondateur de la société G2J, spécialiste de la vidéoconférence. Il est membre de la CCI Française en Chine depuis 2004 et membre de la Chambre de Commerce Américaine en Chine (Shanghai) 

* Régis Cornélie et Rony Guillaume ont créé La Fabrique des Douceurs, une société productrice de fruits confits exotiques de Guadeloupe. Régis Cornélie a suivi un cursus HEC, puis a poursuivi une prestigieuse carrière à New York et Paris. Rony Guillaume est ingénieur agronome.