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La diversité ethnique s’impose lentement sur les écrans français

La Palme d'or du Festival de Cannes 2008, Entre les murs, de Laurent Cantet, qui sort mercredi 24 septembre, a été réalisée avec une classe d'un collège parisien. Les comédiens s'appellent Sandra, Khoumba, Driss ou Souleymane, de jeunes Français souvent d'origine arabe ou africaine. Passée dans les moeurs aux Etats-Unis, au Canada ou en Grande-Bretagne, l'apparition à l'écran d'acteurs de couleur reste encore rare en France. Au point que les pouvoirs publics s'en sont préoccupés avec la loi sur l'égalité des chances de 2006.

Cette loi a créé le fonds d'aide Images de la diversité, géré par le Centre national de la cinématographie (CNC) et l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSÉ). Il a pour mission de donner de l'argent à la production, la distribution de films, documentaires ou téléfilms qui permettent "la connaissance des réalités et expressions" des populations immigrées ou issues de l'immigration et des départements d'outre-mer ou qui mettent en valeur "la mémoire, l'histoire, le patrimoine culturel de ces populations et de leurs liens avec la France".

Parmi les critères d'attribution de ces aides – 4,5 millions d'euros par an (le prix moyen d'un film français) – figurent aussi "la lutte contre la discrimination" ou "la visibilité de l'ensemble des populations qui composent la société française d'aujourd'hui". Sur 175 oeuvres aidées en 2007, le jury a sélectionné 77 documentaires et 34 longs métrages, dont Entre les murs, qui a reçu 100 000 euros, Welcome de Philippe Lioret, La Trahison de Philippe Faucon, Sexe, gombo & atieke de Mahamat-Saleh Haroun, Les Bureaux de Dieu de Claire Simon ou Bled Number One de Rabah Ameur-Zaïmeche…

Toute la difficulté, selon les animateurs du fonds, est de ne pas aider des films qui véhiculent trop de clichés ou qui tomberaient dans les excès du politiquement correct. "On reçoit beaucoup de documentaires qui font pleurer Margot. La grande majorité concernent la banlieue. Depuis janvier, on a reçu une dizaine de propositions de documentaires sur les prisons", explique Samia Meskaldji à l'ACSÉ. "La population maghrébine est très forte dans l'univers carcéral, mais ce n'est pas une raison pour ne donner à voir que ce type de documentaire", ajoute Blanche Guillemot, directrice générale adjointe de l'ACSÉ. "On n'aiderait pas non plus un film simplement parce qu'un acteur est noir. Ce n'est pas le casting qui fait la diversité", précise Samia Meskaldji.

Aux yeux d'Alexandre Michelin, qui préside le fonds, "Images de la diversité doit tenter de dénouer certaines rigidités du système français". Sur l'histoire encore trop méconnue de la France mais aussi sur la petite place des acteurs blacks ou beurs à l'écran. "Le cinéma est plus en avance dans ce domaine que la télévision, où la diversité, dans la fiction, arrive d'ailleurs, par le biais des séries américaines, ajoute M. Michelin. Si bien qu'en regardant les séries à la télévision, on connaît mieux les acteurs noirs américains que les français." Au point que le Conseil supérieur de l'audiovisuel a créé en avril un Observatoire pour la diversité audiovisuelle.

Personne n'envisage pour autant d'imposer des quotas d'acteurs d'origine beur ou noire dans les films. D'autant que les choses vont dans le bon sens, selon Djourha, la première agente d'acteurs à Paris à s'être occupée de la carrière d'acteurs noirs, comme l'Ivoirien Isaach de Bankolé – parti aux Etats-Unis il y a une dizaine d'années -, le Burkinabé Sotigui Kouyate, le Malien Habib Dembélé…

"Il y a vingt ans, raconte Djourha, on ne proposait aux comédiens maghrébins que des rôles de voyou, de dealer, de méchant. Dans un scénario, un avocat ou un médecin ne pouvait être qu'un Blanc, jamais une femme, ni une noire ni une arabe. Et l'Africain se devait d'être grand et beau." Les mentalités ont changé, surtout depuis que Jamel Debbouze, Sami Bouajila, Roschdy Zem, Samy Naceri ou Gad Elmaleh sont devenus des acteurs qualifiés de "bankables" – des projets de films se bâtissent sur leur nom et des scénaristes leur écrivent des rôles sur mesure. Question de génération sans doute, Grégory Weill, l'agent de l'actrice Hafsia Herzi, 21 ans, révélée par La Graine et le Mulet d'Abdellatif Kechiche, se veut résolument optimiste : "Hafsia a reçu une multitude de propositions. Son statut de comédienne est reconnu au-delà de ses origines."

Djouhra aussi se veut confiante : "Il existe un potentiel d'excellents acteurs. On est sorti des clichés au cinéma." Mais Alexandre Michelin tempère : "La plupart du temps, il n'y a guère de rôles positifs, et ils restent plutôt marginaux. On ne sait pas encore vraiment comment représenter la diversité en France, on reste toujours sur un modèle jacobin. Le simple fait qu'on ait besoin d'une aide ad hoc témoigne que tout n'est pas réglé. Si Jamel Debbouze est considéré comme l'alibi parfait de la réussite des acteurs beurs au cinéma, c'est aussi l'arbre qui cache la forêt", rappelle-t-il.

Pour boucler la boucle, Images de la diversité devrait aider un documentaire sur la lutte qu'a menée Jenny Alpha, une des premières grandes comédiennes martiniquaises, pour conquérir sa place dans les théâtres parisiens.
Nicole Vulser/

http://www.lemonde.fr/cinema/article/2008/09/22/la-diversite-ethnique-s-impose-lentement-sur-les-ecrans-francais_1098107_3476.html