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La généalogie de Michelle Obama dit beaucoup sur l’Amérique

Comme je l’ai constaté depuis que j’anime l’émission African American Lives, il n’y a jamais eu autant d’Afro-Américains résolus à retrouver le nom de leurs ancêtres esclaves. Et il n’y a jamais eu autant de ressources disponibles, notamment sur Internet, pour faciliter cette démarche. Mais avant de chercher à connaître ses ancêtres, il faut bien se préparer. Pour paraphraser la Bible: cherchez, mais attachez bien votre ceinture, car vous risquez d’être bien surpris.

Pour ceux d’entre nous qui avons suffisamment de chances et réussissons à lever le voile sur le passé esclavagiste de notre famille, ces recherches généalogiques donnent souvent des résultats ahurissants. Il y en a deux en particulier. Le premier choc: cette princesse cherokee dont la tradition familiale raconte qu’elle est votre arrière arrière grand-mère n’a très probablement jamais existé. La triste vérité, c’est que l’ADN d’une immense proportion d’Afro-Américains présente très peu de gènes de natifs américains.

Un de mes collègues de Harvard aime à dire que «l’ADN ne ment pas». Quant au révérend Eugene Rivers, il répète avec la même satisfaction que «l’ADN a libéré plus de noirs qu’Abraham Lincoln.» Mais les études généalogiques et les tests ADN «libèrent» aussi un grand nombre de nos ancêtres blancs et révèlent l’ampleur considérable de la présence des blancs dans la lignée des Noirs américains!

Les Afro-américains sont à majorité d’origine européenne

Voici les faits: seuls 5 % des Noirs américains ont au moins 12,5 % d’ancêtres natifs des Etats-Unis, soit l’équivalent d’au moins un arrière-grand parent. Ces «pommettes hautes» et ces «cheveux noirs raides» que les membres de votre famille arborent fièrement à chaque repas de famille depuis que vous avez deux ans, d’où croyez-vous que cela vient? Il faut chercher du côté de l’homme blanc.

Les Afro-Américains, tout comme la première dame des Etats-Unis, sont essentiellement des métis ou des mulâtres. Selon le généticien Mark Shriver, qui travaille à l’Université Morehouse, 58 % des Afro-Américains ont au moins 12,5 % d’ascendance européenne (ce qui correspond là encore à un arrière-grand parent). Du reste, si j’analysais l’ADN-Y (qu’un homme hérite de son père, et ce dernier du sien, etc.) de tous les joueurs noirs de la NBA, un bon tiers (entre 30 et 35 %) découvriraient — aussi incroyable que cela puisse leur paraître — qu’ils sont issus d’un blanc qui a mis enceinte une noire, très probablement une esclave. C’est exactement ce qui est arrivé à la troisième arrière grand-mère de Michelle Obama.

Dans les années 60, nous étions fiers d’affirmer notre origine «africaine». Depuis, notre ADN a parlé et il indique clairement que nous sommes d’origine européenne. Nous sommes un peuple multiculturel, un peuple noir, mais aussi un peuple blanc. En fait, vous pouvez nous concevoir comme un peuple «afro-mulâtre», nos gènes ont opéré une recombinaison dans ce tube à essais nommé esclavage.

Pour African American Lives, j’ai effectué des tests sur 21 Afro-Américains présentant divers phénotypes (des personnes qui peuvent «passer» pour des «blancs», et dont le père passait effectivement pour un blanc, à celles ayant le teint plus mat et des traits plus typiquement africains, comme Don Cheadle et Chris Rock. Il n’y a pas une fois où quelqu’un s’est avéré à 100 % africain. Chris Rock, par exemple, a 20 % d’origines européennes. Don Cheadle, lui, est à 19% européen. Quant aux «pommettes hautes» et aux «cheveux noirs raides» de votre grand-mère… Observez l’Europe sur Google Map, repérez l’Italie, puis cherchez du côté de l’Angleterre et de l’Irlande, de l’Allemagne et de la France. En toute probabilité, voilà d’où vos ancêtres tiennent leur texture capillaire et leur peau plus claire. Cela ne vient pas d’un rendez-vous amoureux entre une esclave fugitive et un compatriote natif de l’Amérique, unis par leur inimitié à l’égard d’un ennemi commun, assis autour d’un feu de camp, fumant un calumet de la paix et pestant contre l’homme blanc.

Les racines noires sont enchevêtrées – profondément et invraisemblablement. Elles sont inextricablement mêlées à l’histoire de l’esclavage et aux gènes des Euro-Américains qui ont réduit nos ancêtres à l’état d’esclave.

J’ai été abasourdi par ce que les généticiens m’ont appris à mon sujet: non seulement mes ancêtres paternels venaient d’Irlande (dans la famille, on s’en doutait), mais ceux du côté de ma mère aussi, chose très rare. (Seul 1 % de ma famille descend d’une blanche qui a eu des rapports sexuels avec un esclave [ou un ancien esclave] noir.) Mais ça va plus loin. Les mélanges dont je suis issu montrent que je suis à 49,4 % européen et à 50,6 % africain, même si personne ne me confondrait jamais avec un «mulâtre».

En matière de généalogie des familles américaines, l’histoire de la paternité des enfants de Melvinia Shields n’est que trop banale. Parmi les invités d’African American Lives, Quincy Jones (qui descend directement du roi Edouard Ier), Maya Angelou, Tom Joyner et Morgan Freeman ont tous découvert le nom du blanc qui avait fait un enfant à leur ancêtre noire, une esclave. Contrairement à Mme Obama, dont l’ancêtre blanc demeure anonyme. En 1988, mon arrière arrière grand-mère paternelle, Jane Gates, a emporté l’identité du père de ses enfants dans sa tombe. Mais grâce aux tests ADN, nous arrivons à remonter petit à petit jusqu’à l’identité de cet Irlandais, près d’un siècle un quart plus tard.

Le mélange entre Noirs et Blancs ne date pas d’hier

Tout cela signifie qu’au mépris de la loi, des conventions sociales et de ce que d’aucuns «croient», il y a longtemps que le «mélange des races» existe aux Etats-Unis. Et dans une large mesure qui plus est. En tant que société, nous avons pratiqué un déni radical de notre héritage en matière de sexualité interraciale depuis tout aussi longtemps.

Nous savons désormais que certains rapports sexuels étaient volontaires: par exemple, Morgan Freeman descend d’un dénommé Alfred Carr, un blanc, et de Celia Johnson, une noire. Ils sont non seulement restés ensemble après l’abolition de l’esclavage, mais ils vivaient ensemble et ne s’en cachaient pas. Alfred Carr et Celia Johnson sont, en outre, enterrés côte à côte dans le Mississippi.

Pourtant, derrière la plupart de ces relations, il y avait des histoires de pressions, de violences… Ou elles constituaient une sorte de viol, reflet ou résultat d’un profond déséquilibre de pouvoir. A cause d’un concours de circonstances — le caractère illégal du métissage, la fréquence des abus sexuels ou des viols qui étaient à la base de ces relations, l’infidélité, la culpabilité, la honte et la déshonneur d’avoir mis au monde un enfant sans être marié(e) —, les noirs comme les blancs avaient tout intérêt à ce que ces relations restent cachées.

L’arbre généalogique de la première dame des Etats-Unis — et la complexité sociale et sexuelle qu’il reflète — représente assez bien la filiation d’une majorité d’Afro-Américains. Nous devons tous nous féliciter qu’on ait retrouvé les ancêtres de Mme Obama — disparus depuis longtemps déjà. Il y a comme ça une espèce de sentiment de joie indescriptible lorsqu’on apprend d’où et de qui on est issu, qu’importe la couleur de peau ou la texture des cheveux de nos ancêtres.

Ces révélations concernant la généalogie de Michelle Obama permettent à tous les Américains de s’émerveiller devant la grande complexité des relations entre les races dans l’histoire des Etats-Unis. Et de commencer à reconnaître cette complexité qui est inscrite dans l’ADN collectif et qui se lit très clairement sur le visage de tous les noirs et mulâtres d’Amérique.

Henri Louis Gates Jr.

Traduit par Micha Cziffra

source : http://www.slate.fr/story/11515/michelle-obama-adn-afro-americains