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La grande grève de la Martinique : la démocratie secouée par la question sociale

323 revendications dont 236 points d’accord (130 points avec accords immédiats et 106 font l’objet d’un accord à court terme) ont été traitées efficacement et avec détermination. Les 87 points restants font l’objet d’un examen complémentaire lors des réunions de travail qui sont programmées en préfecture du 16 au 27 mars 2009.  

La baisse des prix : une première dans l’histoire sociale de la Martinique  

La Grande Grève de la Martinique du mois de février et mars 2009, pour la première fois de l’histoire sociale de notre pays, a exigé la baisse des prix sur 100 familles de produits de première nécessité, soit près de 400 articles qui constituent en général le panier de la ménagère. Parce que l’insupportable a été dépassé notamment par l’explosion des prix de vente des produits alimentaires de base, des carburants, de la téléphonie, des transports aériens, de l’électricité, du gaz, des produits nécessaires à l’exploitation agricole, du minimum vital des populations… 

Sur la période 1998- 2008, l’Insee relève une augmentation de 22,4% de l’indice général des prix en Martinique. Sur cette même période, les produits alimentaires ont par exemple augmenté de 32%, le logement de 27,4 %,  alors que les salaires du privé et du semi public sont en moyenne inférieurs de 12% à ceux servis dans l’hexagone.

 

Le Collectif du 5 février 2009 ajoute que la faiblesse des salaires et des pensions de retraites sont nettement insuffisants : 1/3 des salariés soit environ 22000 martiniquais sont au Smic avec 1037,24 € net par mois. La montée de la précarité (interim, temps partiel imposé) : Un emploi sur 5 en Martinique est un emploi précaire ( + 40% en 10 ans).  

Dans un tel contexte de dépression sociale et économique, les Collectifs de la Guadeloupe et de la Martinique n’ont-ils pas eu raison de dénoncer « la surdité » de l’Etat à maintes reprises alerté par les parlementaires notamment le sénateur Claude Lise ?

N’ont-ils pas eu raison de s’adosser à la crise financière qui sévit encore aux Etats-Unis et en France, pour se faire entendre ?  Le seuil de pauvreté en dessous duquel vivent aujourd’hui plus de 60 000 martiniquais (660 €), avait-on le droit de le taire sous prétexte qu’il soit impensable qu’il y ait des pauvres en Martinique ? Pourquoi les exécutifs et parlementaires  Martiniquais et Guadeloupéens n’étaient ils pas écoutés par le pouvoir central notamment sur l’inadaptation des dispositifs en faveur de l’emploi, du logement, du transport, sur le contrôle des prix, sur le foncier, sur l’injustice sociale qui pénalisent les foyers martiniquais ?  

Aujourd’hui, la déflagration volcanique a été entendue à plus de 8000 km.  

Alors que les avertissements des élus Martiniquais n’étaient pas pris en compte par le Gouvernement, le sénateur Claude Lise, président du Conseil général l’atteste, la force du Collectif du 5 février 2009 a déclenché subitement de nombreuses réactions en chaîne.  

Le déplacement tardif d’Yves Jego, secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, vers la Guadeloupe et la Martinique, pour combler le curieux silence du Président de la République pourtant si réactif sur le continent français pour ce qui concerne les affaires sociales, n’a pas atteint ses objectifs malgré ses effets de clairon de s’installer « au coeur de la Guadeloupe pour un temps indéterminé, jusqu’à ce que les solutions soient trouvées ! »   

Au grand étonnement de tous, le secrétaire d’Etat est « rappelé d’urgence à Paris », vraisemblablement pour avoir dépassé les limites qui lui avaient été fixées par Bercy, et très certainement pour avoir été contraint de revoir sa copie des « 39 réponses » au Collectif du 5 février 2009. Le préfet Ange Mancini visiblement embarrassé devait bien évidemment tenter de reprendre la main avec toutes les précautions d’usage face à la grogne qui se levait dans la salle quand Yves Jego qui se qualifie lui même du «plus fidèle ami du peuple Martiniquais » se levait brusquement de la table pour disparaître avec son épouse et ses proches collaborateurs. Il revint quelques minutes plus tard sur les recommandations du préfet, expliquant son départ de la table par un appel urgent de Mme Michele Alliot-Marie. Personne n’a été dupe de cette surprenante désinvolture qui s’était déjà produite en Guadeloupe quelques jours auparavant.  

Nous avons parfaitement compris qu’il valait mieux pour tous que le secrétaire d’Etat laisse le préfet de la région Martinique mener les négociations. Il faut dire que M. Ange Mancini a donné toute sa place aux élus autour de la table des négociations même si à certains moments, la considération aux exécutifs n’était pas équitablement respectée.  

La détermination et le sang froid des membres du Collectif du 5 février 2009  

D’abord minimisées puis prises en considération grâce à la radicalité des syndicalistes Guadeloupéens et Martiniquais, les revendications sociales portées par l’intransigeant Collectif du 5 février 2009 de la Martinique, ont sérieusement secoué les représentants de l’Etat, le patronat, les socioprofessionnels et la grande distribution.  

Il faut préciser que le documentaire télévisé sur les pouvoirs absolus des « derniers maîtres de la Martinique » diffusé au mois de janvier 2009, a mis le feu aux poudres. Tout le monde s’est interrogé sur la concomitance des circonstances. Les Martiniquais découvraient à la télévision ce qui pour eux faisait parti du passé. L’inconcevable était bien réel et l’actualité était bien ce qu’ils vivent au quotidien: l’insupportable écrasement d’un peuple compacté dans sa surface vitale (pratiquement 600 km2 en Martinique sur 1100 km2), toujours dominé par une minorité blanche (1% de la population), assimilé à une économie et des cultures continentales inadaptées. Un peuple immobilisé par les incohérences et les affrontements de pouvoir savamment orchestrés pour mieux diviser comme sait le faire l’esprit colonisateur- bienfaiteur de ceux qui distribuent les avantages pour le bon sens, pour la clairvoyance et surtout pour l’infinie sagesse à démontrer que l’intérêt pour « ce petit peuple » est tout simplement de se situer du coté de la raison cartésienne et de la richesse bienveillante.  

Alors que grandissait le nombre d’inadaptés à la fortune, aux bonnes manières et à la connaissance planétaire, parce que l’accélération des moyens et des richesses ne s’embarrassent pas de « couillons » dont les seules chances de salut sont de demeurer sous domination par la consommation irraisonnée et par l’illusion de la réussite, l’ « insolente » exploitation et la « bienfaisante » distribution créaient de leurs cotés respectifs quand ils ne sont pas de fait associés, autant d’intérêts et d’accaparements subtilement mis à l’abri sur le dos de la force de travail populaire au nom de la légitimité du capital.  Tout était pourtant parfaitement maîtrisé par le ventre et avec les symboles de réussite initiatiquement dispensés aux plus méritants grâce à la bénédiction des plus hautes autorités ajoutée à la valorisation des anciens sacrifiés (twa ti tap an do), rien ne pouvait laisser penser qu’à partir de « quelques revendications alimentaires » tout basculerait dans la violence.  

Et c’est bien ce qui arriva. L’alimentaire fut le prétexte de l’explosion pour la dignité et le respect des règles d’égalité. Les privilèges face à la pauvreté, le pouvoir face à l’ignorance, le vénal face aux principes moraux et humains, génèrent à terme mécontentements, frustrations, dévalorisations et colères jusqu’à présent contenues. L’histoire nous l’a régulièrement démontré. 

L’exaspération de la masse, le tonnèdidié de ne pouvoir joindre les deux bouts de l’existence, à subir l’arrogance et la richesse égoïstement étalée des possédants, à se ceindre les reins pour mieux accepter la précarité, cette « petite misère » tenace et injuste que les prières et autres compassions savaient jusque là domestiquer, s’est dressée contre la profitation, contre l’injustice sociale, contre le mépris, contre le déni, contre l’asservissement. L’indignation populaire a déclenché le caractère volcanique de plusieurs milliers de Martiniquais qui se sont mis à marcher obsessionnellement sur à peine 3 ha (la ville basse de FdeF) et sur les routes de la Martinique, pendant plus de 30 jours, à parler, à se regarder, à se reconnaître, à se toucher, à se dégager de la peur de l’autre, à se décomplexer, à se dégager de l’ordre établi et des menaces suicidaires de rupture avec les possédants accusés pourtant de profitations.  

Trop absorbés par le profit à tout prix, et sans partage, au prétexte de libéralité de l’économie de marché, les possédants ont oublié l’histoire douloureuse qui nous constitue et qui a permis aux démocraties de 1789 et de1848 d’inventer une autre conception de l’intérêt général qui tient compte cette fois de la complexité sociale : la démocratie sociale. 

Le Collectif du 5 février 2009 a su canaliser cette montée en puissance de la rue en rendant compte quotidiennement des travaux qui se déroulaient en plénière dans la salle Félix Eboué, et en commission dans les salles Victor Schoelcher de la Préfecture, ainsi qu’en salle 240 du Conseil général. Le peuple était régulièrement informé aux grilles de la préfecture, en meeting à la Maison des Syndicats sur toute évolution ou point de blocage des négociations.

Le partage et les échanges ont été permanents entre les membres du Collectif du 5 février 2009, les élus Maires et représentants des collectivités, les parlementaires, les exécutifs et le peuple martiniquais amassé devant les grilles de la préfecture. Le préfet a également fait preuve d’une grande maîtrise pour consolider le lien entre les représentants de la grande distribution, les socioprofessionnels, le patronat et le Collectif Martiniquais.  

Les inévitables explosions de la rue 

Tout en mettant la pression dans l’enceinte de la préfecture face à l’incompréhension des possédants qui, avec beaucoup d’à priori, sous-estimaient l’unité et la détermination de l’organisation syndicale, le Collectif du 5 février 2009 organisait avec ses troupes extérieures la fermeture des grandes surfaces de distribution, les services et la distribution du carburant jusqu’à obtention d’un accord sur la baisse des prix.  

Difficile de faire admettre à un exploitant de baisser les prix de 100 familles de produits de première nécessité. Très difficile de faire comprendre à un distributeur de réduire sa marge bénéficiaire de 20%. Encore plus difficile de faire admettre à ces mêmes patrons ainsi qu’aux collectivités locales que le personnel sous contrat précaire de droit privé était aussi concerné par l’augmentation de 200 €. Encore plus impensable de faire comprendre à de nombreuses petites entreprises d’augmenter les indécents salaires de leur unique ou deux employés qui sont généralement des personnes payées nettement en dessous du Smic.  

Les résistances, les blocages et la victimisation ont déclenché la colère de la rue. Les déflagrations du 24 au 26 février en sont la preuve. Le blocage de la commission des prix s’est répandu provoquant durant deux jours des agressions de nombreuses enseignes de distribution.  

Alors que les élus, les partis politiques Martiniquais défilent en queue de cortège mené par le Collectif, alors que les parlementaires sont enfin reçus par le Président de la République qui annonce 580 millions d’euros pour les DOM, la  grande distribution  bloque les négociations sur la baisse des prix des 100 familles de produits du panier de la ménagère.  

Au moment où tout reprend sur des bases constructives tant pour la baisse des prix (20% de 400 produits) que pour l’augmentation des bas salaires (200 €), des émeutes éclatent le 6 mars dans l’après midi en réponse à la provocation d’une poignée de producteurs de banane mal inspirés de faire la démonstration de leur puissance à la tête d’un cortège de près de 200 engins agricoles en voulant parader devant la Maison des syndicats, le quartier général des travailleurs Martiniquais. La ville de Fort de France notamment ses quartiers populaires ont connu des affrontements d’une rare violence entre les forces de l’ordre et les manifestants qui mettent en fuite les producteurs de bananes inconscients. L’initiative malheureuse de ces derniers, traduit bien le déboussolement, la perte de sens des organisateurs du coup de force,  perdus dans la confusion entre pouvoir, autorité et démocratie.  

Mais au fait quelle démocratie ? Démocratie politique, démocratie locale, démocratie de circonstance à géométries variables ? Certainement pas la démocratie sociale qui se donne en effet pour ambition l’égalité que la liberté théorique acquise par chaque individu, n’assure pas concrètement. La démocratie sociale, préalable institutionnel dont la mise en place ouvre tout naturellement la voie à une amélioration de la condition humaine, avait bel et bien laissé la place à une triste « liberté de manifester son droit à travailler ». Les réfractaires à la grève,  auteurs du coup de force largement médiatisé, estimaient qu’ils avaient le droit d’exprimer leur désapprobation de la grève alors que leurs salariés bénéficieront des nouvelles dispositions sociales qu’étaient entrain d’obtenir les travailleurs martiniquais.   

En dernière heure, un protocole d’accord (de sortie de crise) sur les revendications du Collectif du 5 février 2009 vient d’être signé entre l’Etat, le Conseil régional, le Conseil général, les parlementaires de la Martinique, l’associations des maires, la CACEM, la CCNM, la CAESM, les socio professionnels et le Collectif du 5 février 2009. Les négociations se poursuivront en commission jusqu’au 27 mars 2009.
 

José ALPHA