Bondamanjak

La Martinique au bon vieux temps du vivre ensemble…*

« Dans les premiers jours de Juillet dernier, la nommée Rosette, esclave des sieurs de Jaham frères, habitants propriétaires, commune du Parnasse, près Saint-Pierre, se présentait à M. Hardouin, juge d’instruction, pour porter plainte contre ses maîtres de châtiments excessifs dont elle était journellement l’objet. Le corps de Rosette, ainsi que l’a constaté plus tard le médecin aux rapports, était sillonné de coups ; des plaies profondes attestaient les violences. Cette femme révéla des faits d’une telle gravité que le magistrat ne dut pas les entendre sans beaucoup de circonspection.


Adressée au procureur du roi, Rosette confirma les déclarations, et le sieur Octave de Jaham fut, le 15 dudit mois, mis en prévention pour excès de châtiments envers cette femme
« L’instruction fut aussitôt commencée. Dans une descente de justice sur l’habitation des frères de  Jaham, M. le-juge d’instruction, Hardouin, constata que l’habitation des frères Jaham aurait été le théâtre de crimes atroces, incroyables même à notre époque. Ainsi, un jeune esclave nommé Jean-Baptiste, âgé de 13 ans, fils de Rosette, accouplé avec un autre esclave nommé Gustave, par une chaîne qui les enlaçait l’un et l’autre au cou, forcé d’aller ainsi au travail, chargé de chaînes, privé de nourriture, mourut en juin dernier, succombant sans aucun doute à ces traitements barbares et inhumains  «  ; des témoins attestaient une mutilation sur cet enfant avec des circonstances affreuses ; pour le punir d’un vol de légumes commis pour assouvir sa faim, l’un des frères Jaham, après lui avoir coupé le bout de l’oreille, le lui aurait fait manger ! L’exhumation de son cadavre a eu lieu devant les magistrats instructeurs ; on ne sait encore ce qui en est résulté. Lors de sa descente sur les lieux, Gustave, jeune mulâtre de 18 ans, attaché à la même chaîne que Jean-Baptiste, depuis la mort de celui-ci, avait été mis au cep et à la barre ; il fut trouvé par le juge instructeur dans un petit cabinet humide, fermé, gisant sans vêtement aucun, le corps couvert de plaies, sur « une
planche ensanglantée ! Gustave avait l’œil hagard, l’air hébété, le corps décharné, ressemblant à un véritable spectre, ne pouvant articuler que quelques monosyllabes sans liaison ; près de lui un amas de ses excréments. Arraché à ce véritable sépulcre par ordre du juge d’instruction, Gustave fut, par ses soins, déposé à l’hôpital, où, visité par les médecins, ceux-ci déclarèrent sa guérison impossible ; il vient en effet de succomber à l’horrible état de dépérissement constaté par le juge d’instruction, le 12 du mois de septembre. Ce n’étaient pas les seules victimes de la féroce administration des frères Jaham, appartenant cependant à l’une des premières familles de l’île. « Un jeune enfant, âgé de 5 ans, fils de cette même Rosette, a été porté au juge d’instruction, le corps couvert de plaies, ne pouvant se tenir debout, dans un tel état, qu’aussitôt déposé à l’hôpital, le médecin, dans un rapport, déclare ne pas compter sur sa guérison. Rosette fut aussi confiée aux sœurs de l’hôpital, où, ainsi qu’elle déclarait en avoir la crainte, elle vient d’avorter d’un enfant mort, par suite des coups qu’elle a reçus de ses maîtres. Il ne faudra rien moins que de telles horreurs, pour qu’on puisse ajouter foi à certains supplices infligés à ces malheureux esclaves. Gustave et Jean-Baptiste accouplés, leurs maîtres leur auraient fait manger des excréments de chien, de cochon et de Madame. Ce serait devant la dame de Jaham qu’on leur aurait fait manger de ses propres excréments, ainsi qu’au jeune Vincent !
L’instruction dirigée par M. Hardouin, qui a déjà donné tant de gages d’indépendance et de courage, apprendra si tous ces faits sont vrais.
On attend avec impatience les débats oraux, où apparaîtront, dit-on, avec Rosette, celle de ces victimes du despotisme des maîtres que la mort n’a pas atteinte, tous les instruments de supplices, chaînes, colliers « de fer, carcan, etc.

Nota. Un scandale plus grand que ces crimes, c’est que les prévenus sont acquittés. »

Extrait de 
La vérité et les faits ou l’Esclavage à nu
Joseph France