Bondamanjak

LAKOUZEMI 15 AOUT 2008

Après-midi-15 Août-Pitt Tomassin –  Sur la route du Cap Ferré- Sainte-Anne. J’assiste pour la première fois à  un « Lakouzemi ».   Etrange et fascinant cocktail d’interventions d’intellectuels martiniquais,  d’artistes, ambiance bèlè, slam antillais…ambiance très « natif natal ».

Un thème de réflexion charpente la manifestation. Il s’agissait de communiquer sur l’autosuffisance alimentaire à la Martinique. Le thème m’intéresse, depuis des années j’explique à mes élèves que nous devons cesser de nous comporter en consommateurs et réagir face au système en devenant des producteurs.

 

 Le sujet prêche donc dans le jardin (c’est le cas de dire) d’une militante . Planter un citronnier dans son jardin évite d’acheter des citrons, le maracudja fournit facilement du jus et porte abondamment. Un arbre à pain  aide la ménagère, un avocatier porte une quantité substantielle de fruits qui améliore les rations alimentaires quotidiennes. Pourquoi donc s’en priver si on a un  bout de terre ? Nonobstant l’inévitable remarque qu’ils emmènent des rats…   on oublie souvent que les chats sont là pour s’en charger.

 

Lorsque je réfléchissais au problème de l’autosuffisance,  avant de me rendre au Pitt, je me disais que le seul fait de se poser cette question présageait d’une évolution spirituelle aux Antilles. Pour moi, se poser cette question suppose que l’on ait dépassé la question des origines, et que l’on ait dépassé la question de l’esclavage dans la mesure où la terre n’est plus synonyme d’asservissement et d’avilissement mais source de libération. De terre meurtrière elle est devenue terre vivrière.

Nous  commençons donc à semer dans le ventre de notre terre, même si la pénétration est douloureuse car le passé rôde encore. Enfin cette question fait présager que notre pensée devient plus mature car tant que les martiniquais se nourrissaient sur le placenta européen le cordon n’était pas coupé et cette pratique  faisait perdurer un système colonial.  Cette question qui suggère un dépassement est une vraie bouffée d’air frais dans le bouillonnement intellectuel, car elle est loin d’être une question matérielle uniquement, qui ne réglerait que l’angoisse de l’anéantissement, elle suppose la volonté de se prendre en charge. Celle d’être indépendant, mais cette fois-ci de manière réelle.

Il ne s’agit donc pas seulement de la question de prise en charge de ses moyens de subsistance mais surtout d’une libération psychologique, d’une vraie « désalienation ». Cela n’est possible  que dans un processus de résilience pour emprunter le terme à Boris Cyrulnik.

Un voyage récent dans la réserve caraïbe de la Dominique m’a laissé une impression forte, précisément de par la relation que les amérindiens de cette réserve entretiennent avec leur terre. Leur territoire est pratiquement entièrement planté, des arbres fruitiers croulent de partout, des  plantes médicinales, ornementales jonchent leur sol. Il s’agit d’un véritable jardin. Des raisons politiques expliquent cette culture systématique, les parcelles étant  perdues si elles ne sont pas cultivées. Leur relation à la propriété est également différente : on peut traverser la case, le terrain,  prendre un fruit sans que cela pose de problèmes. Cela  a été pour moi une révélation.

Nous avons, nous aussi à la Martinique  afin de créer notre propre modèle de développement agricole, à réfléchir aux valeurs qui seront celles que nous souhaitons mettre en exergue avant de prendre une quelconque décision. Est-ce qu’il s’agira de solidarité ?  de valeurs écologiques ? De richesse générée ? De rayonnement mondial ?  Qu’importe mais certaines valeurs étant incompatibles la cohérence est une nécessité.

 

Dans le pitt, Les interventions se succèdent d’agriculteurs, d’intellectuels ,d’  hommes politiques comme Francis Carole, conteurs comme Legares.

Les exposés sont très différents mais un consensus  est réel sur l’essentiel : la nécessité d’accéder à cette autosuffisance alimentaire, celle pour ce faire, de se démarquer du cadre politique français et européen dans lequel le cahier des charges représente une contrainte, Zaïre propose la notion de « souveraineté alimentaire » pour souligner cet état de fait.

 

Le consensus également s’établit  concernant l’impératif de dépollution des terres agricoles souillées par les divers pesticides  utilisés depuis les années 60/70, le souci de préservation de la biodiversité antillaise source de richesse notamment pharmaceutique. La biodiversité est aussi garante de notre sécurité alimentaire. Cultiver oui mais pas n’importe comment, il s’agirait de limiter les intrants afin de ne pas créer ici une agriculture productiviste mais bien une agriculture respectueuse de son environnement. Kenjah propose de planter du chanvre (cannabis) pour dépolluer les terres en soulignant les nombreux usages textiles et les propriétés pharmaceutiques de la plante, mais aussi en insistant sur le fait que la plante a été l’objet d’une propagande de dénigrement,  ‘assassine’(c’est le cas de dire) qui n’a pas d’assise scientifique. Il précise également que le gouvernement jamaïcain a décidé de légaliser l’usage et la vente de la plante.

 

Le jardin créole est à l’ordre du jour. Il faut le cultiver dans tous les sens du terme et surtout littéral. Chaque martiniquais pouvant être un laboratoire de préservation des espèces végétales.

 Le martiniquais se trouve donc impliqué.. Action,  scande une conteuse, qui nous encourage à agir et de sortir des blabla aussi brillants soient-ils pour entrer dans une résolution d’initiative individuelle. Car il s’agit bien de prise en charge de soi, de nous, de responsabilisation.

 

Nous nous approvisionnons en semences provenant de l’extérieur, là aussi, le bât blesse car nous nous mettons encore une fois dans une situation de fragilité quand à notre capacité à produire. Il devient donc stratégique de créer une banque de semences locales, c’est la proposition de Zaïre qui suggère le caractère prioritaire de cette création.

 

Nous perdons chaque jour des terres agricoles

Dans notre île nous perdons 1,2 hectare par jour de surface agricole utile, la pression foncière  étant en effet forte à cause de la spéculation immobilière liée à la forte demande en logements et constructions à caractère commercial.

 

L’agriculture, nous dit Zaïre est un secteur créateur d’emplois, car elle entraîne dans son sillage des industries agro-alimentaires diverses.

 

La question du réchauffement climatique rend encore plus pressante la question agricole à la Martinique car elle soumet l’île à des catastrophes  de plus en plus violentes et de plus en plus nombreuses. La biodiversité étant une protection car elle évite la perte générale de toutes les productions.

Mais il ne faut pas s’y tromper, le problème de l’autosuffisance alimentaire s’insère dans un contexte mondial de crise non seulement à cause de la terre  qui est un enjeu alimentaire  mais aussi un enjeu énergétique  avec le développement des biocarburants. L’emprise des pays riches sur le foncier des pays pauvres  présage de conflits futurs car les pays riches et émergents utilisent ces terres pour acheminer les productions  non pas pour aider les pays en voie de développement mais bien pour répondre  à la demande des marchés occidentaux. Le problème de l’autosuffisance n’est donc pas à réduire à un espace régional mais bien à relier à un contexte mondialisé. Francis Carole cite l’exemple du Soudan qui a vendu 28 000 hectares  aux chinois. Mais les Etats-Unis achètent aussi de nombreuses terres  en Amérique du sud etc… c’est une pratique courante aujourd’hui.

Dans ce contexte de début de ‘guerre froide alimentaire’ (ndlr), les puissances occidentales et émergentes sont -responsables de la malnutrition des peuples-, souligne Francis Carole. L’esprit des interventions est donc au développement durable , respectueux des peuples, soucieux de l’égalité sur le plan alimentaire. Il s’agit bien d’une agriculture durable que proposent les différents intervenants.

 

Je repars de ce Lakouzemi pleine d’espoirs, car les vraies questions ont été posées, j’ai en tête des idées, les leurs qui se mixent aux miennes, c’est un véritable bouillonnement et stimulant intellectuel. Tout m’a plu : les personnes rencontrées, l’ambiance …azC’est certain, je reviendrai !

 

Marie-Line Mouriesse-Boulogne