Bondamanjak

L’art et la culture cela à un prix

Interview de Jean Clair, Académicien et ancien directeur du Musée
parisien Picasso,  conservateur général du patrimoine,  dans le JDD
Nicolas Sarkozy est-il tant en décalage avec le monde de la Culture?
Il
n’est pas inculte ou en décalage avec les professionnels des arts. Il
est simplement à côté de la Culture. Il ne nous comprend pas. Il ne
comprend pas un art, une oeuvre, une philosophie.
Le chef
de l’Etat a tranché le débat sur la gratuité des musées publics et
monuments nationaux, en l’offrant au moins de 25 ans. Partagez-vous
cette idée?
Tout d’abord, la gratuité est financièrement
inconcevable. Les musées ont déjà trop peu de moyens pour ouvrir leurs
salles tous les jours, pour payer leurs gardiens, pour s’entretenir. Où
trouver l’argent pour financer le gouffre budgétaire occasionné par
cette mesure? Un second problème, philosophique, vient s’ajouter à
cette réalité économique: la gratuité ne va pas plus attirer les jeunes
dans les établissements culturels, si ces derniers ne sont pas
"éduqués" à s’y rendre. Pour espérer voir, spontanément, des
adolescents dans des musées, l’école doit proposer des cours d’Histoire
de l’art, comme en Allemagne ou en Italie. Evidemment, créer des postes
de professeurs coûte beaucoup plus cher que d’ouvrir gratuitement les
musées. Nicolas Sarkozy fait de la démagogie pure.
Ne peut-il pas y avoir une culture gratuite?
Ce
serait de la folie furieuse, de la perversion absolue. En transformant
la culture en produit de consommation gratuit, on risque de la vider de
sa substance. Les gens payent 60 euros pour en voir d’autres taper dans
un ballon, pourquoi ne paieraient-ils pas quelques euros pour aller
voir un film ou de la peinture? Prenons l’exemple de la musique. Avec
le téléchargement, le consommateur évolue et considère aujourd’hui une
oeuvre musicale comme un produit gratuit. Résultat: les artistes sont
obligés de se produire dans des concerts de plus en plus chers,
fréquentés par de moins en moins de monde [par rapport aux précédentes
décennies]. Mais, nous, dans les musées, comment allons-nous compenser
la perte d’argent due à la gratuité?
L’idée d’une "culture de masse" est-elle possible?
Cette
notion, complètement antagoniste, ne peut pas exister. Comment peut-on
parler de "culture de masse", alors que les collégiens ou lycéens n’ont
pas accès, dans le cadre de leur cours, à la culture? Le jour où les
arts -l’Histoire de l’art, la musique, le cinéma, le théâtre…- seront
enseignés, le public sera "capable" de comprendre la Culture, il sera
"averti". Et alors, il pourra devenir, s’il le souhaite, "cultivé".
Parler de "culture de masse", c’est du populisme, de la démagogie, de
la rigolade.