Bondamanjak

Le bon et le mauvais colonialisme à la française.

Après le bon et le mauvais cholestérol, le bon et le mauvais stress, y aurait-il maintenant le bon et le mauvais colonialisme ? Grand débat à l'assemblée nationale de Paris et dans l'opinion publique sur la proposition des socialo-communistes soutenus par les communistes, les Verts et l'UDF, visant à supprimer de la loi du 23 février 2005 la mention du "rôle positif de la présence française", notamment "en Afrique du Nord". Évidemment, on a entendu de hauts cris venant surtout des dirigeants et « penseurs » des anciennes colonies françaises. Québécois, c'est un débat qui me touche à plus d'un point. N'oublions que nous sommes une ancienne colonie française. Et que nos ancêtres, pourtant Français ou fils et filles de Français, ont dû subir, eux aussi, la soumission de leur économie et de leur avenir aux besoins marchands et politiques de la Métropole. L?intendant Jean Talon, un homme remarquable, avait bien voulu développer la colonie et la rendre moins dépendante de la Métropole. Mais il a été rappelé à Paris parce que la colonie ne devait exister que pour servir la France et non devenir une « Nouvelle-France ». C'est une bataille que nous avons perdue. Si nous avions suivi le même chemin que nos voisins États-uniens, la France pourrait, aujourd'hui, compter sur l'alliance et, dans les crises, sur le soutien d'une Amérique francophone ! Ah, si Richelieu et le Père Joseph avaient pu réaliser leurs rêves ! Hélas, les ennemis européens de la France ne leur ont pas laissé la possibilité d'y donner suite. Il fallait d?abord défendre ses intérêts « à la maison » avant de s?occuper de « la maison secondaire ». Ah si Louis XV, acceptant les propos de l'égocentrique et prétentieux Voltaire (« ces quelques arpents de neige ») avait choisi de conserver la Nouvelle-France plutôt que la Martinique ! Mais on ne refait pas l'histoire des stupidités de nos ancêtres. (Nous avons notre propre lot !) Nous avons aussi un autre intérêt dans ce débat. Nous restons les petits-fils et petites filles de France (par le sang ou par le choix)… tant que la culture et la langue française seront à la base de notre identité. (Je ne peux comprendre les souverainistes qui, pour tenter de séduire les « allophones », prétendent que leur option repose sur la défense de notre économie et non de notre culture franco-américaine… je n'ai pas dit « franco-états-unienne.) L'histoire de France est aussi, un peu, la nôtre. Lors de la dernière grande guerre, la majorité de Québécois se sont opposés à la conscription voulue pour aller défendre la Grande-Bretagne. Mais quand les stratèges du gouvernement fédéral ont eu « la bonne idée » de dire qu'il s'agissait d'aller défendre la France, ce fut une toute autre histoire. Certes la colonisation est remplie de sales « histoires ». Certes les envoyés de France n'étaient pas nécessairement les éléments les plus « remarquables » de l'Hexagone. MAIS il faut aller dans les anciennes colonies pour découvrir que ce qui tient, c'est souvent ce qui a été hérité de l'époque coloniale française : de la route à travers l'Atlas du Maroc à la salle d'opéra d'Hanoi au Vietnam. Comment se fait-il que c'est toujours le Nord qui « occupe » le Sud ? Non seulement dans l'épopée coloniale, mais aussi dans les grandes unifications européennes : Paris en France, la Prusse en Allemagne, les Nordistes aux États-Unis, la Savoie en Italie ? Les conditions climatiques ? L'obligation de prévoir ? Mais aussi, comment se fait-il que c'est toujours le Sud qui finit par occuper l'âme du Nord qui l'a conquis et occupé économiquement et militairement ? La musique des États-Unis vient du Sud, celle de France, de plus en plus, d'Afrique du Nord. Deux autres remarques : les ténors d'Afrique du Nord sont très mal placés pour dénoncer les « horreurs » du colonialisme et de l'esclavage. Ce sont les pharaons égyptiens qui ont, les premiers, « colonisé » la Nubie. Ce sont les marchands arabes qui allaient kidnapper les habitants d'Afrique sub-saharienne pour les vendre aux marchands d'esclaves français. L'histoire des peuples est comme l'histoire des individus : de grandes choses côtoient les pires mesquineries. Si on ne peut refaire l'histoire, on la réécrit constamment. Car elle doit répondre aux préoccupations et aux questionnements du moment de ceux qui la lisent. (J'ai bien écrit « aux préoccupations » et non « aux besoins » !) Les p'tits cousins sont confrontés à une co-habitation « à construire » avec les descendants de ceux qu'ils ont « colonisés », un peu comme nous, Québécois, devons revoir notre relation avec un monde anglophone qui nous a, à son tour, colonisés. Cela implique une « réexplication » des événements passés. Disons, une « re-contextualisation » pour miser sur les personnes qui les ont vécus et non sur les interprétations qui se sont construites pour répondre aux préoccupations d'une autre époque. Cela va de la colonisation française aux événements, chez nous, de 1837. Deuxième de mes « dernières » remarques. L'Express cite le maire de Fort-de-France et président du Parti progressiste, Serge Letchimy : « C'est une provocation pour les enfants de ces humanités bafouées, de ces hommes qui ont remonté lentement la pente hideuse et macabre de l'humiliation, de la déshumanisation, construite par la colonisation au seul profit mercantile des conquérants européens qui ont édifié une grande part de leurs richesses au mépris de l'homme". « Leurs richesses au mépris de l'homme » ? A-t-il regardé ce que font les dirigeants locaux actuels des anciennes colonies ? De Haïti au Togo, de Madagascar à la Côte d'Ivoire ? Évidemment, ils nous répondront que c'est un héritage du colonialisme. Comme les enfants qui blâment leur lâcheté et leur paresse sur l'éducation qu'ils ont reçue de leurs parents ! Désolé ! Mais je crois que les peuples, comme les individus, jouissent d'un libre-arbitre (même quand ils sont sous la domination des armes ou des marchés). C'est ce qui me permet d'être Québécois !

Par André.A.Lafrance – Professeur, Département de communication de l?Université de Montréal ;