Bondamanjak

Le coup de Jarnac de Serge Letchimy


Aujourd’hui, en plein débat sur l’évolution institutionnelle et statutaire du pays, Serge Letchimy semble vouloir sacrifier cette avancée tant attendue par les usagers et les automobilistes sur l’autel de ses intérêts personnels. Curieusement, c’est l’UMP local qui lui sert de caisse de résonnance, n’hésitant pas à recourir à des arguments fallacieux. Compte tenu des enjeux de la situation actuelle, il convient donc de démonter de telles allégations point par point :

Pas du tout ! Le motif évoqué pour soutenir une telle assertion est sans fondement juridique. L’avis de la CACEM et de son ex-président, Serge Letchimy, ne constituait pas une obligation légale. La demande d’Habilitation formulée par Claude Lise s’inscrit dans le cadre de l’Article 73, alinéa 3, de la Constitution et est consécutive à la Loi Organique du 21 février 2007 qui ne prévoit aucune consultation des Communautés d’agglomération en pareille circonstance. La procédure est tout à fait légale et en conformité avec cette Loi Organique. Il n’y a donc pas lieu de mettre en doute la rédaction d’un amendement qui n’a pas été retoqué par le Sénat.

La confusion est habilement entretenue par ceux qui tentent d’instrumentaliser l’opinion publique martiniquaise à travers des interprétations juridiques. La référence faite par l’UMP local à l’Article 72 nous renverrait au droit commun applicable à toutes les Collectivités de France et de Navarre. Or, les modalités de l’Art. 72 évoqué n’ont rien à voir avec notre Habilitation. L’amendement 683 du Sénateur Lise ne se situe pas dans le champ du droit commun mais bel et bien dans le cadre d’une habilitation prévue par l’Article 73.

C’est la crainte que l’on pourrait exprimer au regard des débats au Sénat. Dominique Bussereau, Secrétaire d’Etat aux transports, n’a-t-il pas argué «l’absence d’accord sur ce sujet entre l’agglomération de Fort de France et le Département » pour rejeter cet amendement ? A-t-il été destinataire d’une demande écrite de Serge Letchimy en ce sens ? N’a-t-il pas déclaré par la suite : « J’observerai avec beaucoup d’attention le vote sur cette question de M. Serge Letchimy et du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, mais ce sera une autre étape ! ». L’ombre de l’héritier d’Aimé Césaire semble planer sur le Sénat français où l’UMP est majoritaire !

A notre connaissance, il n’existerait aucune délibération de la CACEM  s’opposant à la constitution d’une AOT unique à l’intérieur d’un périmètre unique de transport. Nous sommes bien en face d’un déni de démocratie et d’une démarche tout à fait personnelle du Député Maire de Fort de France. Dans ce cas, il faudrait effectivement  craindre un rejet de l’amendement Lise par l’Assemblée Nationale ce qui constituerait un coup de Jarnac porté par le Député Letchimy à l’organisation des transports en Martinique. Les usagers tributaires de ce service public ainsi que les professionnels des Taxicos apprécieront !

C’est le reproche formulé ouvertement par les leaders de la Droite et relayé par le PPM. Certains allant jusqu’à évoquer l’incompétence des élus de Martinique puisqu’en Guadeloupe le Député Lurel aurait obtenu depuis belle lurette deux habilitations. Cet argument aurait fait mouche si son fondement juridique était avéré. En réalité, contrairement à ce qui est répandu à longueur de journée sur les ondes sans qu’aucun démenti ne soit porté, il n’en est rien.

La Constitution a fixé le cadre de l’Habilitation prévue pour les Collectivités relavant de l’Article 73.  Mais, c’est une Loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’Outre-mer qui en a fixé les modalités d’application.

En clair, il a fallu attendre février 2007 date de la promulgation de la Loi Organique  pour que les habilitations prévues par l’Article 73 soient enfin possibles. Pas besoin d’être juriste pour comprendre cela. Ceux qui prétendent le contraire et qui laissent croire que les élus de Martinique n’ont pas fait usage d’un dispositif  relevant de l’article 73, se discréditent eux-mêmes. Les habilitations accordées au Conseil Régional de Guadeloupe dans le cadre de la Loi n°2009-594 pour le développement économique datent du 27 mai…2009. Le feu vert accordé à Victorin Lurel ainsi que l’amendement  683 de Claude Lise adopté par le Sénat sont donc postérieurs à la Loi organique de février 2007.

  1. L’habilitation prévue dans le cadre de l’Article 73 est un véritable parcours du combattant. Il a fallu attendre l’opportunité d’un texte sur le Grenelle pour qu’un Amendement transport soit introduit à l’ordre du jour du Sénat pour qu’enfin, une demande d’Habilitation relative aux transports, une compétence vitale pour notre pays, soit mise en discussion… Il n’est toujours pas dit qu’il soit adopté par le Parlement ! Si c’est avec de telles procédures prévues par l’Article 73 que l’on compte aborder les grands défis du développement économique, nous n’avons pas fini de nous embourber.
  1. Dans le cadre actuel, le gouvernement peut toujours s’appuyer sur des arguments partisans pour nous refuser une demande d’Habilitation. En témoigne, la teneur des débats au Sénat la semaine dernière et les arguments avancés par Dominique Bussereau. Cette difficulté est contournée  avec l’adoption de l’Article 74 de la Constitution.
  2. Le mépris affiché par le Secrétaire d’Etat aux transports est très révélateur de l’état d’esprit de nos gouvernants et d’une inadmissible tendance à l’infantilisation des représentants du Peuple : « Débrouillez-vous entre vous, après quoi, le Gouvernement apportera son soutien à l’option collective retenue ! » …. S’il fallait attendre l’unanimité des politiques dans l’Hexagone pour voter des lois au parlement français, peu de politiques publiques verraient le jour en France.
  3. L’option de l’article 74 permet d’éviter de tels écueils. Nous appliquons les lois et règlements suivant le principe de l’identité législative (rien ne change donc) mais quand il faut tenir compte des intérêts propres de la Martinique ou de l’urgence d’une situation, nous gardons cette possibilité d’adapter ou de modifier les lois et règlements. C’est aussi cela l’Autonomie !
  4. Mais, plus grave encore, c’est l’attitude de Serge Letchimy. Au nom de quelle logique politique le Député Serge Letchimy se permet-il d’entraver au Sénat le vote d’un amendement visant à habiliter le Conseil Général à organiser convenablement les transports en Martinique ?

 

Letchimy n’est pas à son premier coup de Jarnac. On se souvient encore de « l’impôt Letchimy », cette taxe additionnelle à l’Octroi de Mer, proposée par le Maire de Fort de France pour faire face à ses dépenses de centralité. Serge Letchimy n’était pas encore député mais son lobbying auprès de François Baroin, des parlementaires de l’UMP et surtout de Christiane Taubira avait failli payer. Sans la vigilance du Député Alfred Marie-Jeanne, Letchimy s’apprêtait à faire la poche des contribuables martiniquais.

L’attitude du Maire de Fort de France n’était certainement pas dénuée de bonnes intentions. Il fallait bien trouver une ressource pour combler le déficit abyssal de la Ville de Fort-de-France ! Il est aussi vrai que Serge Letchimy est l’homme des déficits. Déficit à la Semaff (épinglé par un rapport de la Chambre Régionale des Comptes), déficit à la Ville de Fort de France épongé en partie par la CACEM, d’où le déficit de cette Communauté d’agglomération. Pas étonnant dès lors que l’inexpérimenté Letchimy demande une période d’expérimentation supplémentaire avant d’accéder à une Autonomie que le PPM réclame depuis … 1958 !

En réalité, nous ne sommes pas dupes. La posture affichée par le PPM au Congrès autour d’un fumeux « 74 Martinique »,  les déclarations et la stratégie de Serge Letchimy visant à constitutionnaliser l’Autonomie, ne trompent personne en Martinique. Face aux septuagénaires que sont Marie-Jeanne et Lise, Letchimy a décidé de jouer la carte de l’horloge biologique.  Il est prêt à tout, y compris à faire chuter un amendement  indispensable à l’organisation des transports publics. Oublié tout ce tapage médiatique fait autour de son amendement sur le Grenelle de l’environnement ? Le transport terrestre et maritime ne constitue-t-il plus un enjeu de développement durable pour notre pays ?

Pour se voir confier les clés de la future Collectivité Territoriale, il faudra mériter la confiance du Peuple. Or, en politique comme ailleurs, la confiance ne se donne pas, elle s’acquiert. Après  son coup de Jarnac et son renoncement à l’Autonomie prévue par l’Article 74,  ma génération n’est pas prête à accorder  une quelconque  confiance  à « l’Homme de Paris ».

Martinique, le 2 octobre 2009

Louis BOUTRIN

Porte-Parole d’OBJECTIF 74