Bondamanjak

Le futur agricole d’Haïti selon l’américain Monsanto

Mais le ministre de l’Agriculture Joana Gué dément cette information lors d’une conférence de presse deux jours plus tard. Puis c’est au tour de Monsanto de réfuter sur son site une accusation « erronée ». Jean-Yves Urfié rectifie finalement sa dénonciation.

La seconde inquiétude de Jean-Yves Urfié porte sur la « fin de l’indépendance des agriculteurs » haïtiens :

« En Haïti, il n’y aura bientôt plus que des semences Monsanto. […]

La multinationale fait toute une publicité autour de ce don de semences qui serait un cadeau généreux. Mais les agriculteurs haïtiens qui voudront disposer du droit de resemer pour leurs récoltes futures devront payer des royalties à Monsanto. »

 

« Un cheval de Troie »

Beverly Bell, coordinatrice de l’association Other Worlds, qui travaille à la reconstruction d’un « Haïti plus juste », explique à Rue89 les enjeux cachés de ce don :

« Le don de Monsanto n’est pas destiné à aider les Haïtiens, c’est un cheval de Troie de la firme dans le but de contrôler le futur agricole d’Haiti.

 

Après le tremblement de terre, 500 000 personnes ont été déplacées vers la campagne. Des appels aux dons ont été faits pour combler le manque de nourriture.

Il n’est pas surprenant que Monsanto ait profité de l’espace libre pour exploiter les besoins des Haïtiens et exporter ses graines. »

 

Les paysans devront racheter les graines à replanter

Le tremblement de terre de janvier dernier avait mis en lumière les difficultés de production agricole d’Haïti, qui importe 80% de la nourriture qu’il consomme.

Le don de Monsanto risque de nuire aux projets haïtiens de « souveraineté alimentaire » : une forte production agricole locale pour une consommation locale.

En effet, les graines de maïs de Monsanto ne pouvant être resemées, les agriculteurs devront en racheter à Monsanto les années suivantes.

Une logique de marché inadéquate avec la culture paysanne d’Haïti, comme nous l’explique Ricot Jean Pierre, économiste à la PAPDA (Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif) :

« Les paysans haïtiens ont traditionnellement la capacité de produire et de reproduire leur propre semence, organique et créole, à destination de leur famille et du marché local.

Monsanto veut intégrer les agriculteurs sur un marché qu’ils ne contrôlent pas en matière de qualité de semence et de prix.

 

Les paysans devront racheter les graines à replanter, les pesticides et les engrais de Monsanto [nécessaires à la productivité de ces graines, ndlr], alors qu’ils n’ont pas de ressources. Monsanto veut faire du paysan haïtien un assisté plutôt qu’un producteur. »

 

Les agriculteurs n’ont d’ailleurs pas manqué de réagir à l’annonce du don. Le leader du Mouvement paysan papaye (MPP), Chavannes Jean-Baptiste, a qualifié le don de Monsanto de « nouveau tremblement de terre », enjoignant les agriculteurs à brûler toutes les graines de maïs provenant du ministère de l’Agriculture. Une marche de protestation est prévue pour le 4 juin.

Les OGM à suivre ?

Le geste de Monsanto s’inscrit dans une politique d’expansion agressive de la multinationale. La compagnie, qui a vu ses profits reculer de 19% pour le deuxième trimestre de l’exercice 2009-2010, tente d’ouvrir de nouveaux marchés.

Pour l’USAID, ce don ne conduira pas à une main mise de Monsanto sur l’agriculture locale, puisqu’il ne représente qu’une petite partie de l’aide internationale :

« D’autres organisations ont fait des dons de semences, comme Pioneer Hybrid ou le FAO des Nations unies, et le don de Monsanto ne représente qu’une petite portion du total des semences utilisées pendant la saison de croissance.

Le projet Winner s’assure que les graines soient équitablement distribuées aux paysans haïtiens. »

 

Monsanto pense distribuer ces graines à 10 000 paysans. Pour Beverly Bell, il y a un risque que ces graines hybrides laissent place à des OGM les années suivantes, « comme cela a été le cas dans d’autre pays » :

« Les paysans seront obligés de racheter des graines même si ce sont des OGM. »

 

Les soupçons sont d’autant plus forts que Monsanto, premier producteur mondial d’OGM, a un lourd passé de pratiques douteuses (agents oranges, pollution des pesticides, absences de tests sur les OGM), sur lesquelles Marie-Monique Robin avait enquêté dans son documentaire « Le monde selon Monsanto ».

En outre, les Haïtiens n’ont pas manqué de remarquer que le directeur général du projet Winne n’est autre que Jean-Robert Estimé, qui fut ministre des Affaires étrangères pendant 29 ans sous la dictature des Duvalier.

 

Par Jérôme Brisson | Rue89