Bondamanjak

Le ministère de l’agriculture mis en cause dans un rapport sur le chlordécone

« JUGE ET PARTIE »

Avec les années 1980, « l’utilisation du chlordécone sera relancée, avec l’approbation des pouvoirs publics », rappelle Pierre-Benoît Joly. En 1981, une autorisation de vente est délivrée en France pour un insecticide à base de chlordécone. « Comment la Commission des toxiques a-t-elle pu ignorer les signaux d’alerte mentionnés précédemment : les données sur les risques avérés publiées dans de nombreux rapports aux Etats-Unis, le classement du chlordécone dans le groupe des cancérigènes potentiels, les données sur l’accumulation de cette molécule dans l’environnement aux Antilles françaises ? », s’étonne Pierre-Benoît Joly.

« Ce point est assez énigmatique », ajoute le sociologue, car « le procès-verbal de la Commission des toxiques est introuvable. » « Les risques non prouvés mais fortement plausibles ne permettent pas (à l’époque) de contrebalancer les intérêts agronomiques avérés », constate-t-il. Le témoignage rétrospectif d’un membre de la commission « confirme l’influence des intérêts économiques ».

Le rapport pointe le rôle joué par le ministère de l’agriculture, qui « exerce un monopole de compétences qu’il ne partage ni avec l’environnement ni avec la santé » et « se trouve en situation de juge et partie ». Le sociologue indique que la direction générale de l’alimentation (DGAL) et l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) traînaient les pieds pour transmettre les documents de l’époque à leur homologue de l’environnement et du travail (Afsset).

Qui plus est, « les archives concernant ce dossier n’ont pas été conservées par les directions départementales de l’agriculture à la Martinique et en Guadeloupe ».

Les circonstances dans lesquelles le dossier du chlordécone a ressurgi tiennent plus de « l’arrangement hétérogène  » que d’une surveillance maîtrisée : une étudiante stagiaire exhume, en 1996, des rapports de 1977 et 1978, un ingénieur connaît un laboratoire métropolitain capable de rechercher le chlordécone, ainsi que « des agents de l’administration qui ne se contentent pas d’appliquer les procédures standards mais qui sont attentifs aux signaux faibles »…

L’affaire du chlordécone éclate vraiment en 1999, des travaux scientifiques sont alors lancés pour évaluer l’exposition à l’insecticide, débouchant enfin sur des décisions politiques, avec un plan d’action pour la période 2008-2010. Trois décennies après les premiers signaux.

Paul Benkimoun /www.lemonde.fr

Article paru dans l’édition du 25.08.10