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Le mutisme historique Paris, capitale bâtie sur le sucre et les chaînes

Paris, ville-lumière.
Ville-musée, ville-patrimoine, ville-proprette aux façades classées.
Mais quand on gratte un peu le plâtre doré, on retrouve l’odeur du sucre chaud, de la mélasse… et de la sueur. Celle des esclaves qui ont permis à la capitale du raffinement de devenir ce qu’elle est : une vitrine du pillage colonial.

Le Louvre : l’art sans contexte

Prenons le Louvre.
Palais royal devenu temple de la culture, il accueille des millions de visiteurs chaque année, éblouis par les couronnes, les sceptres, les bijoux de Joséphine.
Mais derrière les vitrines de la Galerie d’Apollon, pas une ligne, pas une phrase sur la fortune martiniquaise des Tascher de la Pagerie, la famille de Joséphine, riche de plantations d’esclaves.

Joséphine, fille d’un monde où la canne à sucre valait plus que les hommes.
Napoléon, époux et stratège, qui abolit l’esclavage pour mieux le rétablir.
Et leurs descendants ? Couronnés de diamants extraits des colonies, montés sur des ors issus de la misère tropicale.

Aujourd’hui, ces bijoux ont été volés.
L’ironie de l’histoire veut qu’ils l’aient été une deuxième fois :
après avoir été arrachés aux peuples colonisés, ils ont fini par disparaître dans un sac à dos, sous les yeux d’un cycliste médusé.

L’Élysée : palais du négrier

Un peu plus loin, rue du Faubourg-Saint-Honoré, trône un autre symbole : le Palais de l’Élysée.
Construit pour un comte, racheté par Antoine Crozat, négociant et premier propriétaire privé de la Louisiane française.
Crozat fit sa fortune dans le commerce colonial, c’est-à-dire la traite négrière.
Le bâtiment qui abrite aujourd’hui la présidence de la République fut donc littéralement financé par le trafic d’êtres humains.
Une maison de maître bâtie sur la servitude.

Mais chut.
On préfère parler d’architecture classique que de capitalisme esclavagiste.

Paris, décor de carte postale et mémoire sélective

Les hôtels du Marais, les façades du XVIIIᵉ, les places royales, les galeries de marbre : tout cela respire le bon goût.
Mais ce “bon goût” a souvent été acheté à coups de mauvais sang.
L’Hôtel de la Marine : Après la Révolution, en 1798, le bâtiment devient le siège du Ministère de la Marine et des Colonies.
• C’est là que furent administrées les flottes françaises, mais aussi les colonies — donc la traite négrière, la logistique de l’esclavage colonial et les politiques impériales.
• C’est dans ce bâtiment qu’a été signé le décret de rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte en 1802.

Autrement dit : l’Hôtel de la Marine fut l’un des centres nerveux du système colonial français pendant plus de 150 ans.

Les fortunes coloniales de Nantes et Bordeaux ont coulé jusqu’à la capitale, finançant les arts, les académies, les dîners, les bals, les tableaux.
L’argent du sucre, du café et du coton s’est mué en colonnes corinthiennes et en salons Louis XV.

Et aujourd’hui, les musées français, du Louvre à Orsay, exposent les fruits d’un monde qu’ils ne questionnent jamais : les chefs-d’œuvre sans leurs chaînes.

Le gag final

Alors, quand on apprend que des voleurs ont dérobé les bijoux de Joséphine, on pourrait presque parler de karma muséal.
Deux siècles après, la France se fait voler ce qu’elle avait, elle-même, volé au monde.

Les voleurs s’enfuient à scooter.
Le patrimoine colonial s’évapore.
Et Paris continue d’exposer sa gloire, sans jamais raconter son histoire.

Les bijoux concernés : d’où venaient-ils ?

Les bijoux volés au Louvre (19 octobre 2025- 9h30) provenaient principalement de :
• La parure d’émeraudes de l’impératrice Marie-Louise, seconde épouse de Napoléon Ier.
• La parure de saphirs de la reine Hortense (fille de Joséphine, mère de Napoléon III).
• La couronne de l’impératrice Eugénie (épouse de Napoléon III).

👉 Tous ces objets viennent donc de la lignée impériale issue de Joséphine :
• par Hortense de Beauharnais → Napoléon III → Eugénie,
• et indirectement de son fils Eugène, dont les descendants royaux se sont dispersés en Europe (Suède, Norvège, Belgique, Russie, Brésil…).

💬 “On ne bâtit pas un empire sans esclaves.”

Mais à Paris, on réussit encore à faire croire qu’on a bâti un empire sans mémoire.

@Mémoires Habitées – by Marie-Michèle Darsieres