Bondamanjak

Les sociétés post esclavagistes entre déni, honte, résistance et résilience

Cette multiplicité  et cette complexité dans l’expressivité du traumatisme, se retrouve aussi à l’intérieur d’une même société.

Tout d’abord le Déni qui se traduit par le refus de prendre en compte ce passé. Il respecte l’ordre établi depuis des siècles : celui d’une domination racialisée de l’homme qui incite les protagonistes à prendre le blanc comme référence, au niveau de la couleur de la peau, mais                                                                                                                                                                                                                                                                                                                également aussi comme symbole de la pureté originelle, de l’immaculée conception…

Cette référence qui s’impose à l’autre, s’investit dans le langage, dans les images et dans le discours dominant. Il peut mener jusqu’à la négation de soi-même au profit d’un soi rêvé, idéalisé, impossible à réaliser …

Fanon dans « Peau noire et masque blanc » dissèque au scalpel le contexte psychique de cette négation irréelle de soi même qui enveloppe, stérilise, fige dans une insidieuse régression.

La Honte ressentie par d’autres est le fruit de la volonté d’oubli qui s’est instaurée tant de la volonté du maître, une fois l’esclavage aboli ou le temps des indépendances arrivé, que de la volonté des descendants d’esclaves. Elle se manifeste par un besoin irrépressible d’enfouissement de la souillure pour supporter leur propre regard et celui des générations futures. Ce sentiment humiliation, d’abaissement, d’atteinte à la dignité ou bien  la crainte d’avoir à subir le jugement défavorable d’autrui empêche l’expression de soi.

L’exemple explicatif le plus concret est celui du viol, qui fait taire le violeur et le violé, laissant chez ce dernier une souillure indélébile.

Souillure qu’il veut pouvoir faire disparaître en se construisant un oubli qu’il croit salutaire, mais comme disait le poète  Alfred de Musset « la mer y passerait sans laver la souillure, car l’abîme est immense et la tâche est au fond ! »

La Résistance manifestée par une opposition, par le refus d’admettre, tient d’un autre mécanisme. De celui qui sous tend la révolte. Elle passe souvent par une haine de l’autre, un racisme à rebours. Mais cette haine tapie, dont l’origine est parfois peu définie, qui sourd de façon indicible et qui s’accroche à toute aspérité de l’histoire ne trouve pas forcément écho dans la société martiniquaise d’aujourd’hui.

Une société  en souffrance d’elle-même, ayant perdu ces solidarités qui rendaient l’existence tolérable.

C’est donc une résistance solitaire, individuelle, qui se bat pied à pied, parfois contre soi  même, pour sortir de l’oubli les quelques symboles forts qui peuvent asseoir sa légitimité!

Les cartes sont actuellement brouillées, et nous portons en même temps les stigmates du maître et de l’esclave, du bourreau et de la victime.

C’est la résistance culturelle qui a pris la tête du cortège, car c’est ma culture qui définit qui je suis ou qui je ne suis pas! Et c’est à travers elle que je pourrais sortir de ma blessure solitaire, et trouver en écho d’autres résistances!

Résistance contre qui, contre quoi, car là aussi les cartes se sont brouillées et l’oppresseur a aujourd’hui mille visages: il a même parfois le nôtre dans ses compromissions ultimes !

La Résilience, c’est une autre étape vers la réalisation de soi, qui permet de surmonter le choc et de s’en affranchir. C’est la capacité de se refaire une vie et de s’épanouir en surmontant un choc traumatique grave. En réalité, il s’agit d’un processus de transmutation qui permet de survivre aux épreuves majeures de la vie, d’en sortir grandi en faisant du traumatisme  subi ou vécu l’énergie même de dépassement.

Elle est positive la Résilience, elle est exprimée en particulier par nos artistes dans leur créativité, nos visionnaires quand ils touchent à l’universel, ou la mère quand elle lutte pour l’avenir de son fils.

Cette attitude part du fait que le malheur passé n’est pas une fatalité, que des cicatrices,  fussent elles profondes, ne sont pas la mort et permet  de changer de paradigme, de s’arque bouter sur la seule chose qui mérite intérêt: ce génie humain que nous possédons tous, pour recréer l’indispensable dignité.

Ces descendants d’esclaves qui sont dans la Résilience n’ignorent ni ne méprisent le passé et l’histoire, mais puisent dans cette mémoire de sang et d’injustice, toute la force nécessaire à la réhabilitation de l’opprimé d’aujourd’hui!

Ils ne se positionnent pas contre l’autre (qui s’est déjà dilué) mais pour eux mêmes (qu’ils sont en train de reconstruire).

Cette démarche de résilience témoigne de notre survie et de notre génie, mais il ne s’agit là que de trajectoires individuelles.

Cette hétérogénéité  de nos peuples ne les place pas au centre d’eux-mêmes, mais à la périphérie des autres. C’est notre plus grand handicap dans le monde d’aujourd’hui.

Mais ne désespérons pas de combler ce handicap  par une volonté consciente de prise en charge de nous même autour d’une «utopie refondatrice» qui redéfinirait les mythes, les symboles et le centre!  

Pour le Comité  Devoir de Mémoire Martinique,

Serge Châlons