Bondamanjak

Lettre d’un Martiniquais à Bondamanjak : « Fort-de-France est abandonnée. Point. »**

Bondamanjak,

Je vous écris depuis Saint-Martin, encore sous le choc.
Je suis parti en 1985. Aujourd’hui, directeur financier aux États-Unis, ma femme ingénieure et mes enfants voyaient la Martinique pour la première fois.
Je voulais leur montrer ma ville.
J’ai dû leur montrer un naufrage.

Du bord de mer à la Croix-Mission :
huit SDF agressifs, dont un avec un couteau.
Ils réclamaient de l’argent comme s’ils tenaient le territoire.

Au Centre-ville :
un homme fumait sa pipe de crack en plein jour.
Deux agents municipaux ?
Indifférence totale.

Là, j’ai compris :
Fort-de-France n’est plus gérée. Elle est livrée.

À Dillon, où j’ai grandi :
regards vides, personnes âgées abandonnées, jeunes jouant aux gangs américains comme si la violence donnait une existence.
Plus d’âme.
Plus de fierté.
Rien.

Césaire a bâti.
Ses successeurs ont laissé pourrir.

Aux jeunes :
les dealers et les gangs ne sont pas un modèle.
Le seul chemin valable, c’est l’éducation, gratuite ici — contrairement aux États-Unis.

J’avais envie d’investir.
Des partenaires américains étaient prêts.
Aujourd’hui ?
Impossible.
Ils me demanderaient si Fort-de-France est une zone de non-droit.
Je ne saurais pas les contredire.

Je repars la semaine prochaine.
Avec une certitude :
on m’a volé ma ville.

— Un Martiniquais en transit, lucide et en colère.