Bondamanjak

LETTRE OUVERTE À DEUX FRERES D’ARMES …

Un bref rappel quant à la réalité d’une presse libre : Le journalisme d’investigation, le journalisme de la dénonciation, le journalisme de l’expression de l’âme martiniquaise, de l’identité martiniquaise, ne commence pas avec K.M.T. Cette télé  bénéficie des combats des aînés, vrais militants de l’information, qui intervenaient à visage découvert, notamment dans le journal Justice, à une époque où sévissait la funeste Cour de Sûreté de l’Etat. Entre une carrière de fonctionnaire et leurs convictions, Armand Nicolas, Guy Dufond, Walter Guitteau et Georges Mauvois ont choisi leurs convictions.

Lorsqu’en 1972, je sors Martinique-Hebdo, en demandant à Pierre Lucette, mon ancien prof de musique du lycée d’en être le rédacteur en chef, j’ai hérité  de ce combat-là. Alors j’ai toujours été très humble face au P.C à qui je rends hommage dans Lycée Schœlcher le tome trois de ma saga Le siècle. Mon combat pour l’identité martiniquaise dont l’expression graphique est officialisée par la première bande dessinée des Antilles Guyane M.G.G, continue avec la sortie d’un journal satyrique Colik Blag Bokay animé par des p’tits brailles tout simplement géniaux qui avaient nom Patrick Chamoiseau, Georges Puisy, Georges Almodar, Karlo Narayadou. Tout cela entre 1972 et 1974. L’expérience s’arrête, un peu par manque de culture d’entreprise mais, aussi et surtout, parce que mes jeunes collaborateurs devaient partir soit pour des études, soit pour trouver une activité plus rémunératrice. Alors c’est la rencontre avec Roland Laouchez et Henri Pied. Et, souviens-toi Roland, tu m’affirmas que tu avais été fasciné par ce que nous faisions, et que tu voulais créer un hebdomadaire. Le courant a passé entre nous. Très vite nous sommes rendus compte qu’il nous fallait des professionnels à temps plein. Toi et moi nous avons fait le pas en 1975. Mes différentes activités de l’époque : spectacles (mon premier métier à l’âge de quinze ans, bien qu’encore lycéen), et animations en tout genre m’assuraient bon an mal an une moyenne de cinq mille francs mensuels. J’ignore quels étaient tes revenus, entre ton auto-école, ton petit snack, tes cours à la Chambre de Commerce, mais nous avons accepté de travailler à temps plein pour 2500 francs par mois. Salaire que j’ai conservé jusqu’en 1981. Et puis intervient le clash entre Henri et toi. Nous avons continué seuls. Camille est-il arrivé avant ou après le départ d’Henri ? Je ne m’en souviens plus mais nous lui avons confié la rubrique : Monde du travail. Il s’en acquitta consciencieusement tout en fortifiant son entrée dans l’Education Nationale. Je ne me souviens pas de lui dans le combat que nous avons mené contre le Recteur François Doumange, ni contre les autres. Cela m’échappe sûrement. Ensuite Roland, toi et moi, nous nous séparons en conservant de bonnes relations. J’ai même servi de caution pour l’achat de ton imprimerie. Nous eûmes quelques frayeurs, ma femme et moi, quand  le Crédit Social nous  informait  qu’une traite n’était pas payée en nous rappelant que nous étions caution solidaire. Mais, ouf, tout se passa bien. Quant à moi, je m’étais délibérément lancé dans l’édition de mes romans. Toi, tu continuas ton combat avec les démêlés que nous savons, pour finalement te lancer dans le câble. Nous croisant un jour par hasard, tu m’en parles. Tu me dis que, si cela m’intéresse, pas de problème. Je réfléchis  à peine et te réponds. « Tu sais Roland, c’est bon ! Le bénévolat j’ai déjà donné et surtout j’ai beaucoup de romans à écrire ». A trois mois de ce jour, on se croise à R.F.O et je te dis. «  Je suis en avance sur mon programme, j’ai deux bouquins prêts, je suis libre » Tu me reçois sur ton plateau et  je découvre tes difficultés et la faiblesse de tes moyens. Alors, j’accepte de présenter le journal deux fois par semaine, plus le dialogue avec la presse. Ensuite, du câble tu passes à l’hertzien.  Arrive le moment où je ne peux plus suivre le rythme et surtout te confiai-je, chacun sait que j’ai un problème à l’oreille et elles sont mises à rude épreuve. Conclusion je ne garde que notre plateau du vendredi « Conversation avec la presse »

Depuis sans mollir je tiens le pari.

En résumé, Camille, K.M.T pour sa crédibilité doit être ce qu’elle prétend être ! C’est à dire la télé des Martiniquais. Car, si  dans les faits la ténacité, la détermination, le courage, le génie de Roland, sont certes matériaux indispensables, c’est également la sueur d’une équipe et…notre argent de citoyens qui fait vivre cette télé. En effet, outre la pub des Voyants, c’est tout de même l’espace acheté par les collectivités : Conseil Régional, Conseil Général, Municipalité etc., donc l’argent de nos impôts, qui assura le succès de notre télé. N’est-ce pas ? Alors K.M.T doit être un espace de débats, certes intransigeants, mais respectueux de la Martinique et des Martiniquais et encore plus des Martiniquais qui ont fait leur part dans l’éveil des consciences. Je suis de ceux-là.

Pourquoi est-ce une attaque contre ma famille : En en parlant j’en ai froid dans le dos. La première alerte est venue d’un indépendantiste affirmé. Comme toi cher Camille. Tu nous l’as assez martelé sur le plateau. Les téléspectateurs en sont témoins. Cet indépendantiste  est mort en accord avec ses convictions. Je respecte sa mémoire et ne le nomme point. A l’époque, il m’a fait des excuses et nous sommes devenus de vrais amis. Je résume : l’un des hauts faits d’arme de son  journal de l’époque a été de révéler que mon vrai nom était André Pétricien. Son journal non vendu dans les librairies, tirage limité, boudé par les décideurs, cette révélation n’eut aucune vraie conséquence, sauf à sceller notre amitié. Dans l’intervalle, il m’expliqua qu’il était certes le responsable devant la loi de ce journal, mais celui-ci était alimenté par des militants responsables et qu’il n’avait jusqu’alors, aucune raison particulière de les censurer. Par contre, alors que, journaliste au Naïf, j’enquêtais sur une spéculation immobilière plus que douteuse aux Trois Ilets, j’ai reçu un tuyau béton que nous publions. Souviens-t-en, Roland. Affolement à la Sodem maître d’œuvre de l’opération. Quelqu’un qui me voulait du bien avertit le président de l’époque que l’une des secrétaires était la sœur de Tony Delsham. La réaction a été immédiate. Elle fut soupçonnée et reléguée dans un bureau obscur, avant d’être purement et simplement licenciée. Une autre de mes sœurs était secrétaire à la direction de la police et une autre enfin à la direction de la sécurité Sociale. Elles eurent plus de chance. Or, je n’ai jamais eu besoin de mes sœurs ou de mes frères pour mener mes enquêtes. En clair, ma seconde identité n’a jamais été un rejet de ma famille, mais bien le souci de la protéger. Et, elle le sait.  Puis arrive l’époque où mon fils huit ans écolier à l’Ecole Normal me demande :

— Tu n’es pas mon papa ? Question qui m’alerta.

— Bien sûr, pourquoi cette question ?

— Mes copains disent que tu t’appelles Tony Delsham.

Problème. Inutile d’expliquer à un enfant de huit ans la férocité du monde adulte. J’avais un roman en cours qui devait sortir dans un mois. Alors, un coup de fil à mon imprimeur. Une photo de son papa en quatrième de couverture et une légende : Tony Delsham de son vrai nom André Pétricien. Un exemplaire, qu’il offrit à sa maîtresse. Et, devant sa classe, il fut rassuré. Cette précision de ma part intervient en…1985 dans Tracée sans Horizon. Roman qui, à l’évidence, inspira les concepteurs de la Créolité. Alors, aujourd’hui, cette révélation n’est pas un scoop. Vois-tu Camille, celui qui t’a rédigé ce…truc n’est qu’un…qu’un…nain furtif. Oui, c’est ça, un nain furtif qui n’ose pas signer. Maintenant que j’ai attiré ton attention, regarde-le donc lorsqu’il se déplace. Il a toujours l’air de fuir quelque chose. Oh ! Sans doute lui-même. Toi, tu n’es pas un nain furtif, mais tu es le directeur de la publication du Naïf, et tu assumes. Je comprends cela. 

Charabia et incohérence : « Pour certains békés et deux ou trois martiniquais, il faut effacer le passé pour construire l’avenir. Les négationnistes qui apparaissent au grand jour voudraient faire que ce qui a été n’ait pas été. Ou encore ils voudraient  oublier le passé pour ne plus le ressentir et le mettre à la merci de toutes les interprétations du présent. L’effacement du passé ne permet pas de construire l’avenir. » Voilà ce qu’écrit sentencieusement Nain Furtif. Vois-tu Camille tu as eu l’occasion d’être à mes côtés à la Foire de Paris, et je crois même que tu l’as dit sur le plateau de KMT, tu étais impressionné et ému de la ferveur des nôtres vivant à Paris pour mes romans. Pourquoi  ont-ils cette réaction envers moi ? Mais, Parce que, sans rien oublier, tous mes romans renseignent sur notre passé. Sur notre vécu. Quant à savoir mon impact à la Martinique et à la Guadeloupe interroge donc les libraires et les bibliothécaires municipaux.  Fanm Déwò est le plus dur réquisitoire fait aux békés, de même que Man Lèlène, par la simple description des faits d’une époque barbare.  De même que ma Justice. Rappelle-toi Roland en m’interviewant sur le plateau tu t’es écrié à propos de Ma justice : «  mais c’est l’Afrique du Sud que vous décrivez, là » L’histoire, je te le rappelle se passe dans les années 60. Mes romans sont nettement plus efficaces que n’importe quelle étude sociologique ou pamphlet de dénonciation politique. Non parce que je sois le génie du coin, mais parce que dans mes écrits je me tais et laisse la parole aux personnages créés et modelés en fonction de la réalité historique de l’époque concernée et en accompagnant dans le temps, l’évolution des choses. Je fais vivre des hommes et des femmes dans des situations reconstituées à partir de documents ou de récits de grandes personnes. J’ai interrogé, par exemple, une dame qui en 19 80  était âgée de cent ans. Si on enlève cent ans à 198O ans cela donne l’année 1880, date d’une naissance seulement trente deux ans après l’Abolition. Cette dame par moi interrogée citait souvent sa mère   morte elle, à l’âge de soixante dix ans. 1880 moins soixante dix années nous ramène à 181O. Une naissance en plein esclavage. C’est donc avec des  souvenirs d’esclaves ou d’ouvriers agricoles du début du vingtième siècle, que j’actionne mes personnages. Je ne retrace pas le profil des miens à travers le prisme déformé et aliénant des techniques de la pédagogie française que Franz Fanon dénonça à l’hôpital de Blida en Algérie et utilisées par Nain Furtif. Je ne dresse pas un catalogue détaillé des  différents sévices subis par nos ancêtres. Sous ma plume nos ancêtres subissent ces tortures. Le lecteur, descendant d’esclave ou descendant d’esclavagiste, comme un adulte du 21° siècle tire ses conclusions. Je mets en scènes des hommes et des femmes  dans le contexte socio-historique  révélé à la fois par nos historiens et par la mémoire transmise sur les ailes du vent. Celle-ci avec précision, nous a renseignés sur le comportement du béké, du mulâtre, du nègre, du kouli. J’en tiens compte rigoureusement. Mais le souffle du soir   nous parle également de belles histoires d’amour entraînant l’exil, parfois jusqu’à l’internement, du coupable qui avait osé aimer d’amour son esclave, ou une mulâtresse libre. J’en tiens compte également. C’est le petit rayon de soleil qui permet de s’accrocher à ce grand nom d’homme que nous revendiquons. Que nous soyons blancs, noirs ou métissés.

Quand Nain Furtif écrit : «  l’idée de métissage biologique qu’il y a au fond de cette pensée est une catastrophe pour notre pays. »  Je frémis. Il veut quoi Nain Furtif, le triomphe du Noirisme qui sépara Haïti de sa bourgeoisie ?  Piteusement il essaie de se rattraper en concluant : « car il est faux de croire que c’est la couleur qui divise les Martiniquais » Merci, Nain Furtif, nous aussi on est allé à l’école et on le savait déjà.    Vois-tu Camille, il y a deux semaines à la Foire de Paris sur quatre cents exemplaires de fanm Déwo j’ai gravé sur la première page, deux dédicaces.

La première : « Savoir le passé, pour comprendre le présent et…réussir le futur ».

La  deuxième : Se parler pour comprendre, comprendre pour agir. Ces deux dédicaces depuis vingt ans sont apposées à la première page de tous mes romans à Fort-de-France, à Pointe-à-Pitre, à Cayenne et à Paris. Peut-être que cette année vais-je ajouter une troisième, elle me vient spontanément après les élucubrations de Nain Furtif. C’est : Mort aux cons. «  Vaste programme » a déjà répondu le général De Gaulle. Mais, bon, je réfléchis encore. Nain Furtif va peut-être s’amender.  Pour l’heure, je constate qu’il fait référence à, je cite «  la fine analyse du psychanalyste Guillaume Suréna. Fine analyse ? Il est vrai que certains produits ont besoin d’une campagne pub pour influencer le client. Car, en fait de finesse, je ne vois que gros sabots et lieux communs. Pas besoin d’être psy pour cela. En réalité, j’avais déjà subi  les attaques de ce psy avec la même formule « le nègre domestique alias Tony Delsham » paru  sur le site Madin’ art, où on pouvait lire : …un manifeste nommé « Eloge de la créolité » a été édité comme on dresse un tribunal pour juger Césaire et la Négritude responsable de tous les maux du pays. Leur maître à penser le non-philosophe Edouard Glissant n’avait-il pas déclaré, dès 1975, que le cri césairien ne servait plus à rien. Messieurs J. Bernabé, P. Chamoiseau, R. Confiant ont proclamé les richesses de ce monde créole que Césaire aurait été incapable de percevoir pour cause d’aliénation africaniste. Incapables d’assumer leur désir de meurtre du père avec toute la culpabilité que cela génère, ils ont enseveli notre Vieux Nègre dans le sarcophage de l’Anté-Créole, tout en proclamant peureusement : « nous sommes fils à tout jamais d’Aimé Césaire ». Toute leur littérature consiste à faire le bilan de ce que les créoles ont fait dans ce pays. Ils se sont montrés livre après livre incapables de faire la critique de la notion de créole. Pour résumer : ils écrivent à la fin du XXème siècle et en ce début de XXIème siècle la littérature du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Et les éditeurs français soutiennent cette imposture qu’ils n’accepteraient pas d’un français. L’opacité qui nous enveloppe excite l’éternel exotisme des occidentaux. Mais c’est dans la presse que l’entreprise pro-békée a trouvé ses meilleurs représentants. Critiquer le béké est devenu suspect. L’hebdomadaire Antilla, qui est devenu le journal du Béké le plus riche des Antilles, s’est illustré dans la culpabilisation des nègres. Messieurs Henri Pied et   Tony Delsham, dans un mouvement d’identification à l’agresseur, n’ont eu de cesse de nous faire pleurer sur le triste sort réservé aux blancs créoles. Ceux-ci seraient victimes du racisme… des nègres. C’est d’ailleurs dans le numéro 1273 du 15 au 22 novembre 2007 que je trouve le premier éloge de cette nouvelle association « Tous créoles » initiée par le béké Roger De Jaham, connu pour sa susceptibilité à quelque critique formulée sur le blanc créole. Et comme tout béké qui se respecte, il souhaite faire « découvrir l’intégralité de l’œuvre de Bissette », celui qui appela les nègres, en 1848, à oublier l’esclavage. Dans son article monsieur Gérard Dorwling-Carter nous dresse un tableau surréaliste de cette réunion baptisée, d’ores et déjà, d’historique par des participants soucieux de leur autobiographie. Lisons-le : « Cela veut dire que publiquement –l’événement s’est déroulé le vendredi 9 novembre à 17 heures dans les salons de l’ancien aéroport- des chabins, mulâtres, nègres, békés, chinois, descendants d’indiens de syriens et de libanais- ont apposé leur signature sur un contrat social qui prend valeur historique. L’histoire en effet parlera de ce jour du mois de novembre où des hommes et femmes vivant sur ce bout de territoire d’accueil colonial ont décidé de renverser l’ordre du non-dit, celui qui veut que l’on mesure les qualités de l’homme à son degré de mélanine, au crépu de ses cheveux, en bref à son adéquation physico-morphologique au modèle de l’homme européen ».

Mon commentaire sur la forme : Que dire sur la forme ? Pas grand-chose, sinon à constater cette habituelle incapacité à parler de l’autre avec respect, cette volonté délibérée et finalement  puérile de faire mal, sans avoir l’air de se douter que les choses et les gens ont l’importance qu’on veut bien leur accorder et que, d’autre part, il n’est nul besoin de railler, de dénigrer de vouloir … tuer, lorsque l’on est dans un débat d’idées. Sans attaque personnelle, ce qui n’est pas le cas à mon endroit ni pour mes collaborateurs d’Antilla,  c’est courtoisement  que je voudrais faire remarquer que ce texte est un catalogue de  constats d’huissier déjà faits par tout le monde, en ce qui concerne l’accueil fait à la Négritude et du sort réservé dans son pays à l’un de ses concepteurs, Aimé Césaire. Finalement, nous sommes face à une non contribution, à un navrant  arrêt sur image. Je me flatte d’être le premier journaliste martiniquais, sauf à me démontrer le contraire,  indépendant de tout parti politique, bien sûr, à avoir en 1975, donné la parole au député maire Aimé Césaire qui tentait d’inclure dans sa gestion de la capitale ses propres théories, ses propres convictions. Rappelons qu’en 1975 Aimé Césaire n’était pas en odeur de Sainteté, n’apparaissait jamais dans  les médias officiels et que ceux qui, comme nous au Naïf de l’époque,  lui donnaient la parole avaient immédiatement droit à l’attention des Renseignements Généraux, traqueurs d’autonomistes et d’indépendantistes et de tous ceux qui ne réfléchissaient pas dans la bonne direction. Aujourd’hui, réjouissons-nous ensemble de  pouvoir  parler et écrire  en toute liberté, à une époque où les progrès de la technologie médiatique permettent à tout un chacun de prendre la parole. Disons également à ceux que Raphaël Confiant appelle les césairolâtres  que le maître ne partageait pas ce sectarisme et ce rejet de l’autre, voisin d’un racisme à rebours, comme en témoigne cette réponse qu’il  me fit lors   d’un entretien qui parut dans Antilla : « Mais bien entendu, je ne rejette pas les békés. Ils ont leur conception de la Martinique, ils sont martiniquais, moi aussi je suis martiniquais, et j’ai ma conception. Cela ne me gêne pas du tout. Je ne suis pas anti-béké. Je suis pour l’identité et pour l’épanouissement et j’ajoute que je suis pour l’ouverture de l’homme à l’universel, j’ajoute aussi que je suis un descendant de cette société qui, pendant si longtemps, a été humiliée et niée, mais je ne rejette aucune composante de cette identité martiniquaise. »

Mon commentaire sur le fond : Dans un pays aussi petit que la Martinique, pays où tout le monde se côtoie, où tout le monde se connaît, il y a eu une grande confusion entre les préoccupations humanistes et existentielles du poète  Aimé Césaire, de l’action sociale du maire Aimé Césaire, des prises de position du leader politique Aimé Césaire. Beaucoup, parmi les descendants des écrasés de l’histoire, par moi interviewés pendant une trentaine d’années, m’ont dit leur reconnaissance éternelle envers « Mémé », maire de Fort-de-France, havre providentiel pour les déchirés des inhumaines campagnes sucrières. Le plus illustre d’entre eux étant Serge Letchimy, s’affirmant « continuateur de la pensée de Césaire » désormais aux commandes de la capitale qui, lors d’un compte-rendu de mandat déclara à la presse : « si, aujourd’hui,  je suis ce que je suis c’est parce que Césaire a veillé à ce que dans chaque famille, il y ait un salaire » Pourtant, en dépit de cette reconnaissance éternelle,  c’est bien un refus sans appel que reçut le fils de Basse Pointe aux Présidentielles de 1981 lorsqu’il demanda de voter pour le candidat de la gauche française, François Mitterrand. En effet, Fort-de-France vota en masse pour Giscard d’Estaing, l’un des symboles du refus, du « Je » martiniquais, poussant le guide, le berger,  à un moratoire. C’est que, pendant les vingt trois années précédentes, la droite déchaînée, avec de puissants moyens financiers avait martelé que le moindre pas vers la responsabilité, quant à la gestion, que réclamait le député maire,  entraînerait inéluctablement la Martinique vers l’indépendance, surtout si cette responsabilité devait  s’exercer à travers l’autonomie.

Mais d’une façon plus large : C’est peut-être nombrilisme que de croire que l’histoire de la Martinique échappe à l’histoire d’un monde finalement cadencé par des débats d’idées, dont le plus fondamental est sans doute celui qui opposa Platon et son élève Aristote. Deux philosophes qui symbolisent les deux modes de pensée européens, et de tout le monde occidental. Oh, bien sûr, beaucoup   pesteront qu’ils ne sont ni de l’Europe et d’une façon plus large, ni du monde occidental. Soit !  Admettons-le, tout  en sachant qu’ils ne sont pas non plus de l’Afrique, ni de l’espace islamique et encore moins de l’espace oriental  de Lao-Tseu, ou de Confucius, ou de Sun Tsu. Par  contre, leur maître à penser Aimé Césaire, bijoutier talentueux  du surréalisme, incontestablement est de ce monde occidental avec qui il accepta de dialoguer, jusqu’à s’imposer. Je trouve pathétique l’incapacité de certains fils de Césaire à couper le cordon ombilical, l’incapacité à se servir de l’enseignement du maître comme tremplin et non comme fin en soi. Chaque pensée d’un maître  demande toilettage et modernisation au rythme des mutations inéluctables. Aristote, par exemple, dès l’âge de 19 ans, fut l’élève de Platon à l’Académie d’Athènes, enseignement qui dura vingt longues années durant lesquels l’élève fut un inconditionnel du maître. Mais, bien avant le décès de celui-ci, il marqua sa différence. Cette différence est soulignée de magistrale façon par le chef-d’œuvre de l’école d’Athènes, peint par   Raphaël. Dans ce tableau, l’index de Platon pointe le haut, monde des idées, alimenté par le ciel. Par contre, de toute sa main ouverte, Aristote couvre le sol,  monde terrestre et… du réel en devenir. Platon n’est donc préoccupé que par le monde intelligible des idées, le chaos. Aristote lui opposa le monde sensible, le réel du monde terrestre et du cosmos. Alors la planète entière s’est  enrichie de l’audace  et de la capacité de l’élève à, non pas renier le père, mais à prolonger la réflexion du père, quitte à s’opposer à lui. Ainsi   l’humanité naissante  fut sauvée du drame  de la pensée unique. La Martinique est pauvre de la soumission infantile de l’élève, de la servilité du fils. La France de l’après guerre avec la quatrième République était incapable de stabiliser un gouvernement. Celui-ci sautait régulièrement. Les Français décidèrent de faire appel au plus prestigieux d’entre eux : le héros de l’Appel du 18 juin. Le choix fut judicieux, le général de Gaulle dota son pays d’une constitution tellement solide qu’elle gère encore la France en s’adaptant aux besoins modernes. Or, dix ans après l’appel au secours lancé au grand Charles, sur les murs des grandes capitales de France étaient inscrits De GOL O POTO. Dix ans, plus tard le Général Président était remercié par une relève estimant qu’elle avait le devoir de faire progresser  les idées … Gaulliennes. Ce que firent Pompidou, Giscard d’Estaing et même Mitterrand.  A ce stade, il faut  regretter la disparition prématurée de Frantz Fanon qui à cheval, à la fois sur Platon et Aristote, avait sans renier la Négritude, mais sans  docilité non plus,  invité les colonisés de la planète entière dans le concert prétentieux du monde occidental, qui prétendait les asservir. Aucun des psychiatres, aucun des psychanalystes martiniquais ayant pris la parole dans ce domaine, n’a fait progresser le débat car, psittacidés  serviles, ils demeurent cantonnés dans le rôle facile du médecin légiste qui détermine les causes des décès et des souffrances. En ce qui me concerne, avec la dose de prétention, d’insolence, de courage aussi, indispensable dans les années soixante dix, et  à partir de l’existant, du déjà dit et du déjà fait, j’ai tenté de faire progresser ce débat. Cela en refusant toute soumission, toute allégeance à un maître, à un courant de pensée, à un système agitant ses hochets de la reconnaissance sociale. Donc, aux noirs, aux nègres, aux blancs, aux békés, aux chabins, aux mulâtres, aux Koulis de notre pays, traumatisés par leur propre image,  j’ai imposé la caricature de ce reflet que l’idéologie  blanche nous avait appris à détester en créant d’abord comme déjà signalé M.G.G, la première Bande Dessinée des Antilles-Guyane. J’ai écrit près d’une trentaine de romans, le nègre geignard traumatisé par sa nuit dans le cachot de l’habitation d’un béké n’existe pas sous ma plume. Mon personnage est toujours un révolté gagnant. Je ne parle jamais de l’esclave Romain, mais de l’insurgé Romain. Pas plus que je ne présente de factures d’outre-tombe aux descendants d’esclavagistes, en déclamant Césaire. Hélas, beaucoup trop d’entre nous en sont encore au stade de la recherche,  dans des archives jaunies par les siècles, de traces de la férocité des esclavagistes et des techniques de l’asservissement, comme le fait Dominique Monotuka, dans son ouvrage Ne m’appelez pas créole »  paru aux Editions Mwen en exhumant la  lettre d’un esclavagiste à un autre esclavagiste. Comme si le simple fait de mentionner l’esclavage des noirs aux Amériques et dans la Caraïbe, n’était pas suffisamment évocateur.  Chacun sait que les Africains, les Romains, et bien d’autres peuples avaient réduit en esclavage des hommes et des femmes. Aux Antilles, l’homme a été d’abord déshumanisé, néantisé, reformaté et ravalé au rang, même pas de l’animal, mais à celui d’un meuble animé, affirmé sans âme, mis sur terre pour servir le maître blanc. 

Quant aux nègres domestiques : Dans Fanm Déwo, sur 290 pages je décris le nègre et la négresse domestiques. Mes références sont martiniquaises et non américaines, comme pour Nain Furtif qui cite Malcom X.

Première observation. Puiser chez les autres est attitude que dénonçait déjà René Mesnil, idéologue du parti communiste martiniquais. À la page 52 de Tracée il écrit : «  Dans la crise actuelle de nos sociétés en mal de décolonisation, les Antillais sont en quête d’une haute ascendance, de grands héros du passé, de morts vénérables dont ils puissent emprunter le  déguisement  pour jouer sur la scène historique l’acte difficile et incertain d’une libération nationale ».

Deuxième observation : le président noir des Etats-Unis, n’est pas fils de Malcom X, mais bien celui de Martin Luther King et du rêve de ce dernier. Il en est de même pour l’Afrique du Sud. Certes, en 1961 le pacifiste Nelson Mandela abandonne sa stratégie de la main tendue en organisant un réseau pour l’action armée, le Umkhonto We Sizwe. Mais l’Afrique du Sud d’aujourd’hui n’est pas le résultat de cette lutte armée, même si elle y a contribué, mais bien le triomphe  de la formidable leçon de sagesse de Nelson Mandela croupissant pendant 27 ans dans sa cellule.

Alors, en Martinique, non plus, ce n’est pas le neg mawon castré et gesticulant, goinfré des victoires des autres, qui permettra d’atteindre à la seigneurie, mais bien la sagesse du neg mawon fort de ce qu’il a compris de sa réalité et de la réalité du monde dans lequel il entend évoluer, débarrassé des chaînes aux pieds, débarrassé des chaînes dans la tête.

Bonjour à  cette Martinique-là, et Adieu l’ancienne ! 

A « Tous Créoles » je suis dedans et dehors : En cela, je suis semblable à ces  80% de Martiniquais qui viennent de signifier à la France qu’ils veulent être dans l’ensemble français et Européen mais en dehors de tout mimétisme économique, culturel, car forts d’une identité propre. Pour moi, cela veut dire garder ma liberté d’esprit, mon indépendance critique, et contribuer de l’intérieur à l’évolution des choses au nom de la Martinique de demain. Surtout pas celle d’hier. Je me suis  expliqué à ce sujet dans Psittacisme et l’urgence d’être. M’auriez-vous fait l’insulte de ne pas l’avoir lu ?

Rappel par quelques extraits :   « Sollicité par Roger de Jaham, j’ai accepté d’être mentionné comme membre fondateur de Tous Créoles tout en étant  persuadé que la naissance même de pareille association, présidée par un béké, décoifferait plus d’un. Quelques années auparavant  j’avais déjà accepté de participer au groupe  de réflexion mis en place par Marie-Alice Jaccoulet composé de mulâtres, de békés, de noirs.    … La mémoire doit jouer son rôle de mémoire en sorte d’avoir en permanence  à l’esprit, ce dont  est capable l’homme, pour asservir un autre homme. Tous Créoles, créée avant la crise de février m’a paru être  d’abord et avant tout un lieu de débats digne d’intérêt, compte-tenu de son acceptation de toutes les composantes de l’identité martiniquaise. Qu’elle s’appelle  aujourd’hui  « Tous créoles »  ou « Tous Martiniquais », ou « Tous Français », ou « Tous Martiniquais dans la France », ou « Tous Français dans la Martinique », ou « Tous Martiniquais  libres  et Indépendants », ou « tous Caribéens »,  est en vérité, sans importance. La conclusion des débats imposera la dénomination définitive. Et, si l’association « Tous Créoles » ne répond pas aux espoirs qu’elle suscite,  elle sera reléguée au rang d’un énième machin, lieu de courbettes et de petits fours meublé d’opérations bonne conscience et tape à l’œil, en attendant que ceux qui jamais ne baissent les bras proposent autre chose, trouvent enfin la voie royale, sans se soucier des pétrifiés de l’histoire…  … journaliste, j’entends conserver mon rôle d’observateur critique et d’informateur honnête. Alors ma première observation critique est de trouver …saugrenue une coprésidence pour une association de ce type, quand l’un est martiniquais noir descendant d’esclaves, l’autre martiniquais blanc descendant d’esclavagistes. On ne  manquera pas d’affirmer que « Tous Créoles » qui se veut  être le porte-parole de la Martinique d’aujourd’hui et de demain, reproduit Békéland en son sein. « Tous Créoles » risque de passer son temps à démontrer qu’il n’en est rien et que dans les faits, il n’y a pas un Président chargé des affaires békées et  un Président pour les affaires non békées, mais un vrai partage des responsabilités. … Alors tout en continuant à dire bon vent et bravo à « Tous Créoles », je continuerai à m’inquiéter de ce que je crois être erreur  risquant d’être en contradiction avec l’objectif voulu et retardant cette difficile recherche de nous-mêmes dans un monde qui s’est emballé, en se riant des canards boiteux auto-bombardés gardiens de l’âme martiniquaise.  Je pense qu’agir ainsi est beaucoup plus efficace que les élucubrations de Nain Furtif, qui voudrait être un expert du konba djol, mais qui, finalement, n’est qu’un amateur dans l’art du décalage. Nous n’avons pas besoin de lui dans le grand débat de nous-mêmes. D’autant qu’aujourd’hui, Camille, tu es un élu, oui ! Des Martiniquais t’ont fait confiance  et attendent de toi, t‘appuyant  sur notre passé, avec lucidité, que tu déblaies le présent afin de réussir le futur. Je crois que ton leader Serge Letchimy a parfaitement  compris le message de ceux qui l’ont porté au pouvoir. Il travaille pour la Martinique du futur, pas pour une chapelle. Sa pratique de ces dernières semaines le démontrent amplement. Il est, sans nul doute, celui qui fera évoluer la pensée de Césaire en gardant, certes la philosophie de base mais en tenant compte du présent. Observons ensemble que même Jésus, fils de Dieu, dorénavant accepte le tambour dans son  Eglise.

Roland et Camille, je sais votre détermination. Vous connaissez la mienne. Si vous ne m’approuvez pas, bien évidemment je passe outre. Ce 22 Mai, invité a prononcer un discours au Diamant, par Tous Créoles, j’ai fait et dit ce que je croyais devoir faire et dire,  parce que s’est la Martinique d’aujourd’hui, ancrée dans le 21° qui s’exprimait au Diamant et non celle d’hier. Roger de Jaham, n’est que l’instrument du moment. Moi aussi. Vous aussi. La Martinique, notre pays, que vous n’aimez pas plus que moi, pas plus que je ne l’aime plus que vous, tranquillement à son rythme fait ses affaires.

Bien à vous, mes frères…

Tony DELSHAM.