Bondamanjak

LETTRE OUVERTE AUX PRESIDENTS DE FRANCE 2 ET DU CSA

L’idée d’envoyer des équipes de tournage et un groupe de candidats pour vivre la vie tribale de peuples autochtones d’Afrique, d’Asie et d’Océanie, ne peut représenter un jeu que pour ceux qui en maîtrisent les règles. Tel n?est évidemment pas le cas pour ces êtres humains dont l?image sera exploitée alors qu?ils n?ont aucun moyen de contrôler ce qui leur arrive. A titre d?exemple, l?une des « tribus » choisie, les Hadzadés, vit en Tanzanie sans habitat, par groupe d?une vingtaine de membres. Ce peuple de chasseurs cueilleurs est menacé. Il ne comprendrait plus qu?un millier d?individus. L?intrusion d?une filiale d?Endemol, dont on connaît le niveau de conscience et d?éthique télévisuelle, ne saurait dans ces conditions assurer le « respect constant de la personne humaine », obligation de France 2 selon son cahier des charges. Selon son cahier des charges, la principale chaîne publique doit « promouvoir les valeurs d’intégration, de solidarité et de civisme ». Nos organisations entendent rappeler à France 2 que l’attention qu’elle doit porter à son audience « exprime plus une exigence vis-à-vis du public qu’une volonté de performance commerciale ». Si France 2 désire offrir « une porte d’entrée gourmande, humaniste, joyeuse, au grand public, pour lui permettre de découvrir des cultures méconnues », comme l?affirme son directeur des programmes, il y a évidemment d?autres voies que le « cannibalisme » audiovisuel. Pour ce qui est de la nature du programme, nous dénonçons la revendication par le directeur de la chaîne de la qualité de « documentaire » pour qualifier cette émission. Un documentaire impliquerait une toute autre responsabilité de son auteur, une toute autre éthique vis-à-vis des personnes filmées et une toute autre relation au public que le format de télévision envisagée. Pour ce qui est enfin de la caution scientifique invoquée par la chaîne, France 2 a, dans le cadre de son cahier des charges, l?obligation de proposer des émissions à caractère culturel et scientifique. Ce n?est certainement pas en faisant appel, pour les candidats, à des guides « en général ethnologues de formation » que celle-ci sera remplie. Aucun ethnologue digne de ce nom ne se compromettrait dans une telle mascarade. L?accès à la culture est affirmé par la Déclaration universelle des droits de l?Homme. Il s?agit d?un accès égal pour tous, dans lequel le spectateur doit avoir la possibilité de se faire sa propre opinion sur ce qui lui est présenté, et dans lequel les personnes filmées ne doivent pas être traités comme des objets. Il en va de la responsabilité éthique et politique des diffuseurs comme de ceux qui produisent ou réalisent les images. La France a pris à juste titre une part active dans l?élaboration de la Convention de l’UNESCO du 20 octobre 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, qui implique « …la reconnaissance de l?égale dignité et du respect de toutes les cultures, y compris celles des personnes appartenant aux minorités et celles des peuples autochtones » (article 2 paragraphe 3). La diffusion des « Caméléons » par le service public signerait un double discours flagrant entre une priorité affichée comme essentielle par le Président de la République au niveau international, et une pratique interne contraire des autorités françaises. Nous attendons de France 2 qu?elle renonce à ce projet qui relève de l?exotisme colonial, comme les zoos humains dans lesquels on exhibait les peuples colonisés. Nous rappelons que le CSA a pour devoir de contrôler les dérives des sociétés de télévision et nous lui demandons d?intervenir auprès de France 2 pour obtenir le retrait de ce projet d?émission. Jean-Pierre Dubois Sidiki Kaba Président de la LDH Président de la FIDH