Bondamanjak

LU DANS LE QUOTIDIEN LE MONDE…

Une nuée d'avocats entoure le maire de Ducos, l'une des quatre communes martiniquaises les plus touchées par la catastrophe aérienne qui a fait 160 morts, le 16 août, au Venezuela. Dimanche 21 août, juste après la messe à la mémoire des victimes de ce bourg, les proches avaient été conviés dans la cantine de l'école pour une "réunion d'information" . Très vite, l'assistance découvre que ces messieurs bien mis qui entourent le premier édile sont des professionnels. Professionnels des pompes funèbres, pour quelques-uns. Mais surtout professionnels… du droit. "Dans ce genre de circonstances, mieux vaut demander les informations aux spécialistes, parce que le pain est chez le boulanger" , justifie le maire à la tribune. Les "spécialistes" des obsèques expliquent donc qu'ils se vont se battre pour refuser le rapatriement des restes des corps dans des cercueils "américains" , trop longs pour les caveaux martiniquais. L'air de rien, on glisse son nom, on lâche son adresse. Puis Me Daniel Romain, bâtonnier de l'ordre des avocats de Fort-de-France, présente les "spécialistes du barreau, prêts à répondre dès aujourd'hui" à toutes les questions, avant même la cérémonie d'hommage national. "COMME DES VAUTOURS" La concurrence, en effet, est vive. Des avocats parisiens, comme Me Olivier Baratelli, conseil de nombreuses familles de victimes de l'accident de Charm el-Cheikh, en janvier 2004, ont déjà été mandatés par des Martiniquais. Vendredi 19 août, alors qu'une partie des familles touchées par la catastrophe se retrouvait à Maracaibo, la ville vénézuélienne la plus proche du lieu de l'accident, des hommes de loi sont venus proposer leurs services. "Borgès-Lawton, avocats, en partenariat avec une firme internationale (…) , est à votre disposition pour des rendez-vous et pour répondre à vos questions concernant vos faits dommageables", pouvait-on lire. Un cabinet installé en Floride, Silva & Silva, a également sollicité une avocate de Fort-de-France. Du coup, les conseils martiniquais cherchent à se signaler discrètement aux familles endeuillées. Au risque de les froisser. "J'ai mal vécu que des Américains viennent nous démarcher. Mais je reconnais aussi ici un avocat qui était du voyage au Venezuela et qui n'avait pas dit qu'il était avocat , lance à Ducos un homme dont la soeur est morte le 16 août. On ne peut pas faire sans vous, mais, pour le moment, laissez-nous enterrer nos morts. J'ai l'impression que tout le monde tourne autour de nous comme des vautours." Raymond Couffe, un professeur de français qui a perdu son frère dans la catastrophe, se désole à son tour. "Depuis le jour de l'accident, chacun tirait la couverture politique à lui, confie-t-il à l'issue de la réunion. Et voilà maintenant que la moitié du barreau se déplace dans les villages… C'est un carnaval de singes." "Il y a en Martinique beaucoup d'avocats talentueux, qui n'ont pas besoin de pseudo-spécialistes" , s'agace de son côté Me Georges-Emmanuel Germany, qui lancera le 26 août une association des victimes prête à mener des "actions collectives immédiates" . Financiers, les intérêts en jeu sont aussi politiques, et trouvent leurs prolongements en métropole. Le Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais, qui revendique 40 000 membres et qui s'est battu pour qu'une cérémonie se tienne aussi le 24 août à Paris, a mandaté son avocat, Gilbert Collard, afin qu'il étudie la possibilité de se constituer partie civile. "Nous voulons veiller à ce que l'ensemble des familles martiniquaises soient indemnisées de façon correcte par la compagnie West Caribbean, apparemment en difficultés financières" , explique le secrétaire général du collectif, Charles Dagnet. Une vigilance identitaire, de la part d'une association qui s'est battue pour obtenir la reconnaissance de l'esclavage comme "crime contre l'humanité" . "Attention, prévient Me Collard. Je ne défendrai aucune famille de victimes. Je ne veux pas mettre un pied dans le foutoir et les querelles qui se sont déjà engagées sur l'île à propos de leur défense." Ariane Chemin