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Martinique : Peut-il y avoir une résilience collective sans justice ?

 

Par Juliette Roméhaut

J’insiste sur le terme collectif, car je sais que la résilience individuelle, tout comme le pardon peut advenir sans que justice soit faite. J’ai eu l’occasion d’écouter cinq intervenants officiels, plus le public.

Mr de Jaham qui fut fort discret se contentant de livrer les résultats de l’enquête mise en ligne par le groupe « Résilience Martinique ». 674 réponses, autant dire une infime partie de la population, (moi-même je n’ai pas participé). 674 personnes, dont 7% de moins de trente ans et 65% ont des revenus entre 2000 et 5000 euros, on est d’accord on est bien loin de notre population. D’ailleurs dans l’amphi plein à craquer l’assemblée n’a rien de prolétaire, je n’y ai vu aucun de nos hommes politiques. Mais montée de la violence oblige, des rapports conflictuels croissants, du sentiment d’injustice qui, elle est bien réelle, on réfléchit, on s’interroge on a peur, alors cherchons des pistes, la Résilience peut en être une.

Je ne ferai pas de compte rendu des différents intervenants d’hier. La conférence a été filmée elle est visible sur internet.

Je retiendrai pour ma part, le rôle de l’école nécessaire à l’élévation de la conscience et son rôle dans l’humanisation. La mise en place d’une dialectique voulant faire croire qu’aujourd’hui être à la recherche de réparations est inconcevable et futile, que l’on accuse à tort les Békés d’être les seuls responsables, pas un mot sur la responsabilité de l’Etat Français et de sa nécessaire implication dans un processus de résilience collective.

 Merci au Professeur Charles-Nicolas pour son intervention, qui grâce à ses gravures sans équivoques, l’explication du code noir, a permis, j’espère, de remettre en mémoire pour les plus amnésiques, la réalité sans détour de ce que fut trois cent ans d’ignominie, un crime contre l’humanité reconnu comme tel, au même titre que la Shoah.

 Avant la prise de parole de Mr Cyrulnik, l’estrade est occupée par plusieurs hommes, banderoles en main. Une contre l’épandage, une contre « les génocidaires du peuple Martiniquais », une contre tous créoles où l’on pouvait voir des sigles nazis, ce qui n’a pas manqué de mettre les gens dans tous leur états. Un brin d’invective entre Mr de Jaham et un porteur de bannière, le ton monte comme souvent chacun dans ses haines, chacun dans ses vérités. Ils sortent sous les huées de la foule, au cri de dehors. Autour de moi, j’entends « c’est une honte », « encore ceux là qui rabâchent »

Mr Cyrulnik, je ne reviendrai pas sur les aspects techniques et les diverses solutions. Non, je ne retiendrai qu’une phrase de votre part, choquante tellement cela reflète une contre vérité historique.

« Les Allemands n’ont pas demandé pardon ».

Comment est-ce possible ? Une telle affirmation et personne pour relever.

En 1949, le Président de la RFA, Mr Adenauer a déclaré : « Le gouvernement de RFA et la grande majorité des Allemands sont conscients de la souffrance incommensurable infligée aux juifs en Allemagne et dans les territoires occupés pendant la période du National Socialisme. »

« Mais c’est au nom du peuple Allemand que furent commis ces crimes indicibles, qui exigent une réparation sur le plan moral et matériel…. »

En janvier 1951 le gouvernement Israélien demande aux puissances d’occupation d’imposer à l’Allemagne le paiement de 1,5 Milliards de dollar de réparation. Ceci pour Israël n’a jamais conditionné un quelconque pardon.

 

La démarche de la France face à ses responsabilités historiques est tout autre :

De l’exigence du Roi Charles X imposant à Haïti le paiement de 90 millions de franc or en échange de l’indépendance, au discours de Dakar, à la volonté de reconnaître des effets bénéfiques à la colonisation, pour arriver au bras d’honneur d’un Mr Longuet, qui n’a plus rien d’un ministre d’Etat responsable, il me semble que l’on est bien loin de la démarche de l’Allemagne.

Pour revenir à nous, on peut s’interroger sur l’injustice et la violence institutionnelle qui sévit dans nos îles. Sur les problématiques de la souffrance au travail, et dieu sait que tous les secteurs sont concernés.

En effet, lorsqu’un ministre des Dom Tom vient au frais de l’Etat expliquer en Guadeloupe que le juge s’est trompé sur un sujet aussi grave que le dossier de la santé des Martiniquais, je m’étonne de ne voir aucuns de nos élus éructer dans l’hémicycle national. Ah que n’aurions nous pas entendu, si ceci avait été fait sous l’ancienne présidence…

Quelle justice peut attendre le peuple, quand les grands groupes en situation de monopole trouvent raisonnable de continuer d’empoisonner, la terre, les rivières, les poissons, langoustes et autres…

J’ai aimé un intervenant du public qui s’interrogeait sur la nécessité de projet impliquant l’ensemble de la population pour le bien de la Martinique, dépollution, projet commun de développement, mais tant que l’équilibre des richesses continuera de reposer sur des injustices séculaires, je doute qu’il puisse y avoir un quelconque rebond.

Et énoncer des mensonges aussi préjudiciables que celle concernant l’Allemagne ne nous aidera pas dans une démarche de résilience collective.