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Martinique : Septembre 1870…

En février 1870, un jeune martiniquais, Léopold LUBIN fut cravaché par DE MAINTENON accompagné d’un autre français à Grand Fonds au Marin en Martinique, au prétexte que lui le noir d’ascendance africaine ne se serait pas écarté et n’aurait pas salué au passage à cheval de ces deux blancs européens. Après avoir en vain cherché justice auprès des tribunaux français, en avril, LUBIN le marinois infligea une sévère correction à DE MAINTENON, en plein bourg du Marin à la sortie de la messe du dimanche.
LUBIN fût de suite incarcéré et le 19 août 1870 condamné à cinq ans de bagne en Guyane et une lourde amende par les tribunaux français constitués en Martinique de juges européens leucodermes, singulièrement de békés anciens propriétaires d’esclaves.
Dans tout le pays Martinique la condamnation attisa les passions et révoltes.
1870 : c’est toujours le Second Empire en France, il est question du rétablissement de l’esclavage comme ce fût le cas avec Napoléon 1er en 1802 ; l’esclavage des non blancs vient tout juste d’être aboli aux USA, il existe toujours à Cuba, au Brésil ; Les déportations massives de colonisés non blancs d’Inde, d’Afrique et de Chine, pour pallier au manque d’esclaves et travailler au service des békés, sont d’actualité.

Cette affaire est significative de l’arrogance raciste (antimélaniste) et colonialiste du pouvoir français, singulièrement des békés qui considèrent les non blancs (mélanodermes) encore comme leurs esclaves. Faut t-il rappeler l’existence des lois codifiées dans le Code Noir et ses ordonnances dont celle du 9 février 1779 qui « interdit formellement aux nègres de porter des vêtements identiques à ceux des blancs, exige respect et soumission pour tous les blancs en général ».

Gawoulé 1870 MatiniKarayib
Similitudes historiques cubano-martiniquaises :
« l’insurrection du Sud ! » et/ou « l’insurrection des Sud ! »

La défense de LUBIN, son soutien populaire semble avoir facilité l’organisation du soulèvement ; L’annonce de la chute du Second Empire et la proclamation en France de la République après sa défaite contre la Prusse, ont été perçues par des martiniquais de l’époque comme une occasion favorable pour revendiquer, Terre et Justice : mettre un terme à l’arrogance coloniale raciste franco-béké, confisquer et redistribuer certaines grandes propriétés ; certains rebelles allant même jusqu’à préconiser l’indépendance, la mise en place d’une République martiniquaise, à l’exemple d’Haïti. Mais encore en septembre 1870, cela fait bientôt trois années qu’au sud de Cuba, en Oriente, se déroule la première guerre contre l’Espagne pour mettre un terme à l’esclavage et réclamer l’indépendance de la plus grande île de la Caraïbe ; cela fait une année depuis 1869 que le choix du drapeau national cubain a été fait par des dirigeants anticolonialistes lors d’une assemblée rédactrice de la 1ère constitution cubaine. Cette première guerre cubaine contre l’esclavage et pour l’indépendance dura 10 ans (1868-1878), menée par des hommes tel Antonio MACEO qui en 1878, après avoir refusé à Baragua la paix avec les colons esclavagistes espagnols se replia en Jamaique pour en 1895 de nouveau rejoindre le sud de Cuba, retrouver Maximo GOMEZ (combattant de la première guerre) et cette fois ci José MARTI, venus de Saint Domingue et Haïti. Les premières batailles au sud de Cuba seront consacrées dans la région de Guantanamo, à la libération d’esclaves et à la destruction d’habitations propriétés de colons békés descendants de français ayant fuient Saint Domingue, installés à Cuba depuis les ultimes révoltes antiesclavagistes de 1791 (depuis Bwa KayMan), puis l’indépendance d’Haïti en 1804. Cette deuxième guerre s’achèvera au nord de Cuba par la prise de la capitale La Havane, et donc par la victoire cubaine contre le colonialisme espagnol.

C’est dans ce contexte historique et politique caribéen qu’il faut comprendre le soulèvement de milliers d’insurgés en Martinique en septembre 1870 dirigé par Louis TELGA(40 ans), Eugène LACAILLE (70 ans), Auguste VILLARD, Daniel BOLIVARD, … de très nombreuses femmes y sont actives, ROSALIE Soleil, Madeleine KLEM,Sophie LUMINA (dite Surprise), …
Entre le 19 et 27 septembre 1870, l’ensemble du sud de la Martinique est touché par l’action des insurgés. L’une des premières cibles parmi la cinquantaines d’habitations incendiées fût celle du béké Codé, raciste qui s’était vanté d’avoir fait condamner LUBIN et avait pendant plusieurs mois sur son habitation, fait flotter un drapeau blanc, symbole royaliste et esclavagiste d’avant le 22 mé 1848.
Les insurgés ont en projet l’incendie de Foyal et l’extension su soulèvement vers la capitale Saint Pierre et le Nord de la Martinique.
Devant l’étendue du soulèvement (15 communes du sud y compris Trinité, Gros Morne et Lamentin) de plusieurs milliers de martiniquais armés de coutelas, de piques, et du signal de ralliement rouge vert noir, le gouverneur de la colonie française demande des renforts aux colons Anglais à Sainte Lucie et mobilise toute ses troupes et milices qui se livrent à une répression féroce anti-martiniquaise sous l’autorité du Commandant Lambert. Des dizaines de rebelles sont massacrés dans les campagnes, 500 emprisonnés dans les forts de la ville base militaire française de Foyal, les principaux chefs de l’insurrection fusillés à Desclieux en décembre 1871, d’autres déportés aux bagnes après condamnations par un conseil de guerre (et non par un tribunal civil français). Certains rebelles dont TELGA, KLEM, … purent échapper à la répression coloniale française ; KLEM s’échappa du Fort Tartenson, la nuit à la veille du jour prévue pour son exécution et ne fut jamais reprise ; TELGA ne fut jamais arrêté et fut donc condamné en conseil de guerre par contumace ; il se réfugia à Sainte Lucie.
«Défaite» de l’insurrection martiniquaise !

«Défaite» cubaine de la guerre des 10 ans !
A l’instar de nombreux sang mêlés cubains en 1870, trop peu nombreux furent ceux martiniquais qui avaient fait leurs, l’adage de Victor SCHOELCHER : « Tout homme qui possède ne serait-ce qu’une seule goutte de sang noir dans les veines, a un devoir presque filial de défendre la race noire. »
Trop peu nombreux en Martinique furent les sangs mêlés rebelles, tel même le béké progressiste LAGRANGE de Saint Pierre qui fit circuler en 1871 un libelle dans lequel il prenait fait et cause pour la révolte des non blancs contre l’injustice ; il fut soutenu par des Noirs avant d’être condamné à cinq ans de prison, puis expulsé de la colonie Martinique.

A l’instar d’hommes d’expériences militaires tels Antonio MACEO et Maximo GOMEZ, revenus combattre les colons européens sur le sol cubain, Louis TELGA sans véritable expérience militaire, n’étant pas à la même échelle de dimensions géographiques que ces contemporains des grandes îles du Nord Caraïbe, isolé, âgé,…réfugié à Sainte Lucie ne revint jamais en Martinique combattre les français.
Après 1870, la revendication nationaliste martiniquaise a connu une longue nuit ; près d’un siècle plus tard en 1963, le signal de ralliement rouge vert noir des insurgés martiniquais resurgit à l’occasion de l’affaire de l’OJAM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste Martiniquaise) face au pouvoir colonialiste français qui impose assimilation et aliénation culturelle, anéantissement économique, apartheid post esclavage et dépendance ; faits criminels dont est aujourd’hui victime le peuple caribéen martiniquais.

Notre histoire martiniquaise est histoire caribéenne ; nos héros caribéens sont héros martiniquais ; car bien entendu naître en ces temps de génocide, spoliation des terres amérindiennes, de déportations massives d’africains et d’esclavagisme, naître en quelques lieux de l’univers concentrationnaire esclavagiste américain n’entraînait en rien son appartenance aux futurs peuples et nations de notre Caraïbe post-esclavage.
Ainsi depuis Hatuey, Anakaona, nos Karifunas de Martinique, Saint Vincent, ou de Dominique,… nos héros rebelles contre l’ordre colonial et esclavagiste s’inscrivent dans une même histoire amérikaribéenne.
Les esclaves d’ascendances africaines et amérindiennes (ni d’ailleurs les colons européens), n’étaient saint-luciens, guyanais , martiniquais, dominicains, guadeloupéens, grenadiens, dominiquais (de Saint Domingue), étasuniens, brésiliens, cubains … ils se trouvaient esclaves marchandises, propriétés de maîtres qui au gré des affaires et de la bonne marche de leurs trafics échangeaient, vendaient, transportaient, d’Habitations à Habitations, d’îles en îles leurs esclaves. Ainsi, des esclaves nés en Guadeloupe, Martinique, Jamaïque, Grenade, Louisiane, se sont ils retrouvés avant, puis après 1804 en Haïti ; esclaves nés en Martinique transférés vers Sainte Lucie, Trinidad ou Grenade, et vice et versa. Ou dans le « mawonaj », des esclaves nés en Martinique évadés vers la Dominique ; esclaves nés à Saint Domingue, transférés à Cuba, … …
Boukman le rebelle de la révolution haïtienne fût il né en Jamaïque ; L’ancien esclave Christophe chef militaire puis roi au nord d’Haïti fût il né à Grenade… Kina Jean, esclave en Haïti s’est il retrouvé rebelle antiesclavagiste en Martinique en 1801 ; Louis Delgres, héros de la guerre de Guadeloupe contre les armées Napoléoniennes en 1802 fût il né à Saint Pierre Martinique ; Le père de MACEO héros cubain vint t-il du pays de Bolivar, du Vénézuéla pour se marier à une femme noire esclave à Cuba ; Maximo GOMEZ héros des 1ère guerres cubaines d’indépendance fût t-il natif de Saint Domingue (République Dominicaine) ; Masoto en 1802 lors de la Guerre de Guadeloupe contre l'esclavagisme, impérialisme français, revendiquait son appartenance à la 'nation Caraïbe', faisant référence à une part de ses ascendants amérindiens … …


Des propriétaires d’esclaves possédaient pour les plus riches des Habitations dans plusieurs colonies ; Nombreux sont donc ces békés nés en Martinique, où ailleurs qui n’étaient pas plus martiniquais, guadeloupéens, que saint-lucien, grenadien, ou encore de Saint Domingue, … et mieux qui accordaient certainement plus d’importance à leurs privilèges de caste béké esclavagiste, qu’à la nationalité générée par leur métropole européenne.
C’est ainsi encore que les békés en Martinique, en 1792, livrèrent leur Martinique colonie française, au royaume de Grande Bretagne, afin d’y maintenir l’esclavage.

Nous autres caribéens américains, singulièrement martiniquais, ne saurions passer sous silence notre histoire commune ; les victoires haïtienne, cubaine, … caribéennes contre l’oppression esclavagiste sont notre. Nous devons nous remémorer notre histoire, notre « septembre 1870 » dans la dynamique du combat pour l’exigence de la réparation des crimes racistes esclavagistes commis contre l’Humanité.

Source : http://www.mkba.site.tc/