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Patricia Braflan-Trobo : « Le grand n’importe quoi d’Henry Joseph »

La sociologue originaire de #Guadeloupe  Patricia Braflan-Trobo réagit à une déclaration  d’Henry Joseph, pharmacien et docteur en pharmacognosie. Antoine Crozat lui, s’interroge entre deux sourires…

Quand Henry Joseph dit dans une interview sur ETV « on ne travaille pas assez dans ce pays, on attend que la France nous mette la cuillère dans la bouche, qu’il y a 5000 personnes dans le mas maten et qu’il veut voir 5000 personnes dans les champs… » je me suis demandé si j’avais bien compris.

Bon dans un premier temps j’ai rigolé puis je me suis dit que là on est quand même dans un niveau de mépris que je ne comprends pas. Mais n’est-ce pas la grande mode, le mépris de ceux qui se croient éclairés à l’encontre du reste de la population ?

Donc allons-y gaiement cher Henry Joseph ! Qui ne travaille pas assez dans ce pays ?

Tous ces chefs d’entreprise et petits artisans qui travaillent plus de 70 heures par semaine en payant leurs salariés-ées et sans parfois pouvoir se verser un salaire à eux ?

Toutes ces marchandes et marchands de pistaches, de crêpes ou galettes de manioc postés au soleil dans la pollution pour se faire parfois à peine 20€ par jour ?

Toutes ces marchandes de sorbet qui triment pour vendre un sorbet ou un sinobol et qui parfois à la force de ce ti travay parviennent à développer une activité qui fait vivre plusieurs membres de la famille (j’en connais) ?

Tous ces gens, parfois à la retraite qui cumulent plusieurs jobs pour joindre les deux bouts ? A mon avis non. Pas de ce que je vois. Incontestablement, comme partout, il doit y avoir en Guadeloupe des gens qui ne travaillent pas assez. Assez pour qui ? Pour quoi ?

Le juge Henry Joseph nous le dira certainement. Il y aussi certainement des gens qui ne travaillent pas assez selon Henry Joseph mais qui pour autant n’attendent pas non plus que la France leur mette la cuillère dans la bouche.

Mais en même temps Henry Joseph c’est quoi le principe de la colonisation, de la colonie-départementalisée ? N’est-ce pas que la mère patrie par une politique féroce entrave toutes les initiatives qui pourraient mettre à mal ses productions et mettre la cuillère dans la bouche ?

Le combat acharné que les guadeloupéens ont du mener à vos côtés pour que les plantes de notre pharmacopée vous permettent avec Phytobòkaz de défier quelques-uns de leurs médicaments dans les pharmacies devrait vous le rappeler pourtant !

Vous voulez 5000 personnes dans les champs ? Avant ces 5000 aidez tous ces jeunes agriculteurs qui attendent depuis des années pour s’installer à avoir des champs pour travailler. Là ça ira plus vite que pour les 5000 qui vont dans le mas maten. Ma formation en économie me permet de vous rappeler que si ça se trouve vous bénéficiez aussi largement du mas maten car beaucoup de guadeloupéens prennent froid en période de mas et leur réflexe souvent c’est quoi ? Le Virapic produit par votre laboratoire et beaucoup aussi par militantisme, au lieu d’acheter du baume Vegebom achètent vos produits pour se masser les jambes après le mas ! En économie les acteurs sont interdépendants et si ça se trouve le mas maten (auquel je ne participe pas au passage) vous rapporte bien plus que vous ne le pensez. Sortir des phrases comme celle-là avec une telle facilité à la face des guadeloupéens c’est où vous ignorez le fonctionnement d’une économie coloniale comme celle de la Guadeloupe, ou les guadeloupéens vous ont déjà tellement enrichi que vous perdez le contact avec leur réalité, ou alors vous vous considérez comme « un premier de cordée » selon les principes de la macronie et que vous pouvez, sans filtre, laisser tout ce qui vous passe dans la tête vous sortir par la bouche. Je ne vous cache pas que l’adepte du Virapic que je suis ou que j’étais, je ne sais plus, n’accepte pas cette analyse pour moi méprisante et condescendante vis-à-vis des guadeloupéens. Je travaille et je n’ai strictement aucune envie d’aller dans les champs car ce n’est pas mon travail. Par contre la part de mon salaire consacrée à ceux dont c’est le travail d’aller dans les champs, les agriculteurs, en achetant leur production me rend parfaitement à l’aise pour vous envoyer balader avec votre histoire de tous dans les champs. Personnellement je n’ai pas de leçons à recevoir de vous et je pense que nous sommes de nombreux guadeloupéens comme ça.

Et comme vous le dites, si un jour le bateau ne rentre pas, je fais confiance à notre génie créateur guadeloupéen, comme tous les peuples en souffrance, pour faire face à la situation. Et ce ne sont pas vos petites phrases à analyses limitées qui feront émerger chez nous ce que beaucoup de guadeloupéens mettent déjà en œuvre au quotidien, le goumé, le pòté mannèv dans une économie coloniale hostile et vous le savez bien ! Maintenant en regardant vosproduits en pharmacie je ne pourrai m’empêcher d’avoir en tête ce discours tenu sur ETV.

Patricia Braflan-Trobo

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