Bondamanjak

Quand la police traque les personnes de couleur noire, place de l’Etoile, à Paris…

 

Les policiers n’en ont pas fini. Les voilà qui se mettent à scruter la foule des badauds, cherchant quelque chose ou quelqu’un. Au bout de quelques secondes, je finis par comprendre l’objet de cette traque visuelle : ils tentent de répérer les personnes de peau noire. Dès qu’un humain de couleur noire est repérée, ils lui foncent dessus et l’encerclent à trois ou quatre. Ils lui demandent ses papiers. Une fois, deux fois, trois fois, et encore et encore…

A côté de moi, un noir est victime du même procédé. Il s’étonne : « Mais vous me contrôlez juste parce que je suis noir ! », dit-il, indigné. Ce qui lui attire cette réponse d’un policier que je jure avoir entendu de mes propres oreilles : « Et alors ? Ils sont pas noirs les Ivoiriens ? » Le tout, assorti d’un sourire entendu adressé à ses collègues qui se bidonnent en encerclant à trois leur malheureuse victime, qui se fait embarquer comme les autres. Et la traque aux personnes noires, oui la traque, il faut bien appeler la chose par son nom, continue ainsi durant de longues minutes, place de l’Etoile à Paris.  
Mais j’ai vu encore mieux (ou pire, suivant les points de vue).

A quelques mètres de là, je vois deux policiers s’en prendre à un jeune homme noir qui a un casque audio sur les oreilles. L’échange m’a l’air un peu vif. Je m’approche. Le jeune homme noir, appuyé contre une grille, a l’air d’agacer les deux policiers. Il leur dit qu’il n’a rien fait et qu’en plus, il n’est pas ivoirien. Il se fait engueuler. Il dit aux policiers qu’il est citoyen français, et qu’à ce titre, il représente la France autant qu’eux. Le dialogue est surréaliste. Le policier répond : « Non, monsieur, vous êtes citoyen français, nous, nous sommes les représentants de l’Etat français, pas vous, ne confondez pas !
-N’empêche que je suis citoyen…
-Vous avez vu votre tenue monsieur ? Vous êtes appuyé contre la grille… Vous croyez que c’est une attitude civique pour nous parler comme ça monsieur ? Hein ? Vous savez ce que c’est monsieur le civisme ?
-Ben quoi, je suis bien là comme ça, je suis cool, ça vous dérange ?
-Vous avez vu votre tenue monsieur là ? (le ton du policier monte. Il gueule) Avec vos écouteurs sur les oreilles, vous croyez que c’est faire preuve de civisme monsieur de nous parler comme ça ? Vous croyez que c’est digne d’un Français, ça monsieur ?
-Ouais, bon…

D’autres policiers rappliquent. « Besoin de renforts ? » Le collègue du gueulard en mal de civisme répond : « On est tombé sur un lourd, un gros lourd ! » Les « collègues » s’éloignent de quelques pas. Le dialogue continue entre le jeune homme noir ciblé parce que noir et le policier gueulard.

-D’abord monsieur, vous me parlez mal, présentez moi vos papiers de citoyen français.
Le jeune homme s’éxécute. Le passeport est français. Mauvaise pioche pour le policier gueulard. Mais pas tout à fait. « Né en Angola, laisse-t-il tomber avec tout le mépris qu’il peut afficher, né en Angola… » Il soupire genre « tu parles d’un français », puis il rend le passeport au jeune homme et d’un coup se met à lui parler en portugais (pour ceux qui ne le savent pas, l’Angola a été une colonie portugaise, où les Portugais se sont conduits en colonisateurs sans pitié, alignant massacres sur massacres durant un siècle).

En portugais, donc, le policier dit au jeune homme : « En Angola, ça ne se serait pas passé comme ça… » Cette petite phrase, qui montre que le policier est vraisemblablement d’origine portugaise et connait bien le sort que ses compatriotes d’origine réservait aux noirs de leur colonie angolaise déclenche aussitôt une réaction du jeune homme, jusque là placide. Il se redresse, et interpelle le policier qui faisait mine de s’en aller. « Quoi ! Qu’est-ce que ça veut dire ! Tu veux dire quoi là ? Hein ? »

Evidemment, il est tombé dans le piège de la provoc’ insidieusement raciste du policier qui se retourne alors vers lui, l’air plus que farouche. « D’abord on ne me tutoie pas… » Il s’ensuit ensuite un petit laps de temps, une seconde où je sens que le policier évalue la situation. Il me jette un oeil, à moi et aux autres qui assistons à l’échange. Je sens d’instinct que dans un autre lieu, sans témoin, il se passerait quelque chose de violent. Mais là, il y a trop de monde. Il se contente de s’adresser de nouveau au jeune homme en portugais : « Tu sais bien ce que ça veut dire, en Angola, ça ne se serait pas passé comme, ça… » Le jeune homme comprend que c’est un piège et que s’il n’est pas passé loin du pire, il est encore possible au policier gueulard de lui causer des soucis. Il préfère hausser les épaules et s’éloigner tandis que l’autre continue de beugler en portugais.

Après cela, un couple de touristes, la soixantaine, s’approche de moi. La dame me demande dans un français teinté d’un accent étranger peu identifiable : « C’est la police française, monsieur ? » Et je réponds « Oui, c’est la police française… » La dame fait alors une drôle de grimace…

 

Source : www.lepost.fr

Bruno Roger-Petit