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QUAND LE CINEMA FRANCAIS BLANCHIT ALEXANDRE DUMAS

En gommant ces traits, le film de Safy Nebbou occulte un aspect essentiel de la vie de l’auteur du Comte de Monte Cristo : le racisme. En 2002, lors du transfert des cendres de Dumas au Panthéon, Jacques Chirac, avait rappelé que ce « fils de mulâtre, sang mêlé de bleu et de noir » avait dû « affronter les regards d’une société française » qui « lui fera grief de tout : son teint bistre, ses cheveux crépus, à quoi trop de caricaturistes de l’époque voudront le réduire ». 

Le cinéma a pris, par le passé, la liberté de confier des rôles de Noirs à des acteurs blancs qu’on prenait soin de grimer. « L’Autre Dumas » s’inscrit dans cette veine négationniste qui, quand elle ne blanchit pas, occulte, de la mémoire collective, les grands hommes issus de l’Outre-Mer : le Chevalier de Saint Georges, Gaston Monnerville, Félix Eboué. Sans parler de ces grands oubliés que sont les Tirailleurs Sénégalais qui ont pourtant « sauvé » la France.

En blanchissant Dumas, le film de Safy Nebbou rate une occasion de combler une lacune chez ceux qui le verront et qui ignorent, pour la plupart, que l’auteur des « Trois Mousquetaires » était un « nègre ». Ce « détail » risquait-il de troubler les spectateurs voire d’affecter la commercialisation de l’œuvre quand on sait que, pour le cinéma tricolore, un acteur français, métis ou noir, n’est pas « bankable » ?

Safy Nebbou avait, avec ce film, l’opportunité également de donner un signal fort, à l’heure où ce pays s’embourbe dans un débat sur l’identité nationale, faisant sournoisement la part belle à tout ce qui est « blanc et catholique ». Une insulte à Dumas, dont le génie, tout français qu’il était, plongeait, profondément, ses racines Outre-Mer et en Afrique.

Là, où il repose, et où la couleur de la peau n’a, fort heureusement, plus beaucoup d’importance, Alexandre Dumas ne doit pas pour autant se retourner dans sa tombe. Il en a vu d’autres. Mais, il est regrettable, qu’aujourd’hui, sur cette terre de France, la couleur soit encore un problème au point qu’on préfère la… gommer.

 

Emmanuel Goujon et Serge Bilé / Journalistes et écrivains