Bondamanjak

QUELLE AGRICULTURE POUR LA MARTINIQUE ?

Aujourd’hui la société martiniquaise se trouve dans un cruel dilemme face à l’agriculture.

         La question se pose sans nuance : Les contingences économiques doivent-elles avoir la priorité sur la préservation de la santé des habitants et la protection écologique d’un petit pays dont les Martiniquais ont la responsabilité morale devant les générations à venir ?

          Certes, les agriculteurs, et notamment les producteurs de banane, ont notablement amélioré les méthodes et les techniques de production, diminuant de manière sensible la pollution chimique des sols.

         Mais les résultats restent décevants : 40% de pollution sur des sols déjà empoisonnés depuis plus d’un siècle de culture intensive avec le chlordéchone puis le paraquat.

         Les cultures qui relèvent du patrimoine amérindien et de l’élaboration de la société créole : manioc, patates douces, ignames, dachines … ne sont plus cultivables sans danger dans les sols antillais et les analyses de la nappe phréatique présentent des résultats alarmants.

         La modification des habitudes alimentaires n’est pas sans conséquence sur l’identité ; il suffit de regarder les sociétés contaminées par les fast food et leurs modifications tant sur le plan de la santé que sur la structure même et l’organisation sociale et familiale.

         Il ne s’agit pas d’ostraciser les planteurs qui consacrent aujourd’hui d’importants moyens financiers à la recherche en vue d’améliorer constamment les pesticides et les rendre moins agressifs pour la nature et l’homme (objectif : 20% de pollution dans cinq ans) même si la responsabilité de la pollution est sans conteste le résultat de leur choix d’une culture intensive et d’une utilisation de produits chimiques controversés, voire interdits, jusqu’à la fin du XXe siècle.

         La question est de se demander quels choix socio-économiques, en termes de respect de la vie et de développement durable, les Martiniquais doivent faire aujourd’hui.

Argumentaire

 

         C’est sans doute en comparant les arguments contradictoires que sera prise la décision qui engagera la responsabilité des acteurs économiques et politiques.

         La responsabilité et l’éthique seront-elles plus persuasives que le profit immédiat (via les subventions) et les habitudes mentales ?

         L’objectif d’un développement durable sera-t-il un moteur assez puissant pour donner corps à d’autres économies agricoles capable d’assurer une autonomie alimentaire de qualité aux Martiniquais ?

         Aux planteurs qui opposent la recherche d’une banane propre (la banane biologique étant, selon leurs dires, impossible en milieu tropical mais c’est surtout la rentabilité qui est le frein à une culture bio) et le rôle social de l’économie de la culture de la banane (environ 10 000 emplois), les économistes prédisent un effondrement à terme de la banane antillaise déboutée par la banane africaine et celle d’Amérique latine.

         En constant progrès, grâce à l’utilisation des progrès de la science sur les pesticides (Cf. INIBAP), l’Afrique et l’Amérique latine seront bientôt capable de produire une banane biologique tenant compte des normes européennes à des prix impossibles à concurrencer aux Antilles, compte tenu du coût élevé de la main d’œuvre française.

         D’ailleurs certains gros planteurs martiniquais ont déjà investi au Cameroun et au Costa Rica.

         Rien ne pourra obliger l’Europe à refuser des produits de qualité en provenance de pays en voie de développement.

         A charge contre la culture de la banane, la pollution, et la non-industrialisation qui est perçu comme un recul par rapport à la fabrication historique du sucre sur le plan de la formation technique,

         De plus, les bananiers servent aussi (à moindre coût en fret)à ramener en Martinique les produits de consommation qui submergent aujourd’hui la Martinique au point de provoquer le surendettement et de participer à la brisure des structures sociales, voire familiales. L’exemple du parc automobile trop important qui contribue à la pollution et au stress intensif est particulièrement significatif.

         De nombreuses voix s’élèvent en faveur d’une mise en jachère des zones polluées de l’île avec une intensification de la recherche pour trouver les moyens d’une dépollution intensive.

         De même, la diversification agricole et l’utilisation des méthodes hors sol, aujourd’hui strictement contrôlées, sont perçues comme des alternatives intéressantes.

         Enfin, la recherche en termes de transformation des produits agricoles à vertu médicales et pharmaceutiques (produits à haute valeur ajoutée) devient un impératif en liaison avec la réforme de l’université.

         Dès lors, deux stratégies peuvent être envisagées :

         La jachère, la formation des agriculteurs aux techniques modernes de l’agriculture propre, raisonnée et biologique (formation universitaire diplômante) et la réorganisation d’une agriculture écologique et durable.

 

Dans les deux cas, le partenariat Europe/Etat /Région reste incontournable.

Perspectives de l'Agriculture en Martinique

 

         DEAN a ravagé l'agriculture traditionnelle et en particulier les plantations de banane. Or celles-ci vivent déjà une crise structurelle qui condamne irrémédiablement sa production telle qu'elle est aujourd'hui conçue.

         Il convient de réfléchir à un autre avenir pour l'Agriculture martiniquaise.

         Cependant, il est exclu d'imaginer pouvoir réinventer ex-nihilo d'autres circuits commerciaux, d'autres formes de production, et encore moins une autre agriculture, car les esprits, les habitudes et les compétences n'y sont pas préparés.

         Dès lors qu'elle restera encore la première production il faut lui trouver un développement plus en conformité avec les marchés et l'environnement et préparer progressivement l'espace à une nécessaire diversification.

  1. Quelle banane pour demain ?

 

         Les cours de la banane traditionnelle ne se redressent pas de manière significative, compte tenu des contraintes européennes et des concurrences étrangères sur ce marché.

         Les planteurs, petits et gros, doivent donc réfléchir aux produits qu'ils vont replanter dans une perspective de développement durable. 

    1. Se positionner uniquement sur des produits à haute valeur ajoutée.

         La Qualité peut se vendre et c'est le crédo actuel des groupements que de se démarquer sur ce point.

         Cela suppose de créer une demande sur un produit original, labellisé, et pourquoi pas AOC et vendu par tous les circuits commerciaux, y compris ceux des produits de luxe.

         Le marché actuel, essentiellement européen, pourra s’élargir vers la Caraïbe et les Amériques.

         A l’évidence, c’est l’objectif des planteurs regroupés au sein de l’UGPBAN (CF. Plaquette) 

    1. Une culture raisonnée de la banane.

         Contrairement à toutes les idées reçues, la production de banane en Afrique est beaucoup plus soucieuse de la conservation des sols que la culture martiniquaise.

         Ce point peut être confirmé par l’INIBAP et les CIRAD.

         Par conséquent il faut repenser les modalités habituelles de traitement des plantations, terribles pour les sols, et les cultures maraîchères qui les jouxtent.

         Il faut donc intensifier les efforts pour revitaliser sainement les sols en augmentant les surfaces en jachère (actuellement 15%) et chercher les conditions d’un marché pour la banane bio, dont l’expérimentation a été concluante dans le sud de l’île.

  1. La diversification.

         L'agriculture maraîchère et fruitière martiniquaise souffre d'aléas très forts en quantité et en prix ; c'est qu'elle est peu organisée et peu professionnalisée.

         Or la demande de produits de qualité est forte et il n'est pas normal d'importer ce que le consommateur attend en prix et en qualité.

         Le maraîchage et ses filières devraient faire l'objet d'une forte promotion en réactivant le secteur coopératif (SOCOPRA) – c'est dire aussi l'importance de l'effort pédagogique auprès de tous les acteurs.

         Le même raisonnement vaut pour les fruits.

         La culture hors sol suppose un investissement de départ élevé et un savoir-faire.

         Mais il faut encourager cette filière pour des produits de qualité (tomates, pourtant à faible valeur ajoutée) pour trouver un marché local, un marché européen à contre saison, un marché caribéen – car, faut-il le rappeler, les îles de la Caraïbe ont des couches de population à fort pouvoir d'achat (y compris Haïti). 

  1. Conditions de mise en œuvre.

 

         Que ce soit la "nouvelle banane" ou la diversification plusieurs conditions préalables ou concomitantes sont à mettre en œuvre : 

         Préparer les esprits

         Former les acteurs

         Commercialiser avec de nouveaux circuits

         Le droit du sol

         Protéger une culture émergente 

    3.1 Préparer les esprits 

         L'ensemble des acteurs, planteurs, ouvriers agricoles, agriculteurs sont trop habitués à leurs circuits, leurs mode de cultures et à leurs difficultés pour en changer. L'agriculteur martiniquais n'est pas différent mentalement des autres.

         Il faut entreprendre un cycle de conférences, avec les chambres d'agriculture, pour préparer à la reconversion.

         Cela sera d'autant plus facile que des aides pourront être débloquées dans le cadre de la reconstruction de la culture suite à DEAN. 
 
 
 

    3.2 La formation 

         Le projet, plus vaste encore, plus ambitieux – se doit irriguer toutes les filières de l'enseignement agricole ; celui de la Martinique fonctionne bien, il doit maintenant se prolonger jusqu'à l'université (licence et masters professionnels).

         Les écoles supérieures sont en France mais des accords sont sûrement possibles avec des établissements réputés – grandes écoles et autres, pour faciliter ou la scolarisation des Martiniquais vers elles, ou la venue de professeurs, spécialisés dans l'agriculture tropicale, (accord avec Montpellier) au sein de l'université.

         Cela créerait un pôle caribéen francophone d'excellence dans ce secteur stratégique. 

    3.3 La commercialisation

         De nouveaux produits, y compris dans la banane, supposent de nouvelles filières.

         L'Europe a aidé en son temps, par une injection massive de crédits, la banane martiniquaise, à trouver des voies de commercialisation.

         Aujourd'hui l'aide française doit revenir dans ce secteur et sur toute l'agriculture par une mutualisation des moyens (coopératives et autres) et rayonner, en plus de l’Europe, dans la Caraïbe et l’Amérique latine. 

    3.4 Le droit du sol 

         La spéculation et l'immobilier sont les écueils à éviter.

         Redonner du sens aux SAFER mais aussi multiplier les incitations à la passation de baux ruraux, ou de baux emphytéotiques (99 ans) est une possibilité plus sécurisante pour le locataire comme pour le bailleur, surtout si l'investissement est lourd (serres et plantations).

         Le Crédit Agricole doit jouer sa pleine fonction en facilitant l'accès des petits agriculteurs aux prêts bonifiés. 

    3.5 La protection du marché 

         Les barrières douanières sont proscrites.

         Il existe d'autres formes de limitation des importations : exigences de normes et de traçabilité des produits importés par exemple.

         Instaurer la T.V.A. sociale sur ces mêmes produits importés serait aussi une solution en renchérissant  le coût au profit de l'économie sociale agricole martiniquaise. 

 

Chantal Maignan