Bondamanjak

Quoi penser des violences actuelles en Martinique ?

En se faisant remarquer, il prend sa place, il occupe une place de cancre, de « caïd » au sein du groupe. Il est le bad boy. Il inspire la crainte. Il devient celui qui dérange mais il a réussi, il « est », il existe. Le pire pour un enfant en rupture, c’est l’invisibilité, c’est être nié, être « rien ».

Les jeunes qui sont dans les rues – cassent les magasins de sport, les magasins de moto, les magasins où il y a des écrans plats…– Il crient leurs désirs, le désir de posséder des objets qu’ils n’ont pas et qu’ils souhaiteraient avoir. Ils crient leur haine d’une société qui ne leur permet pas d’avoir l’objet de leur désir. En ce sens, ils sont totalement intégrés dans une société de consommation qui fait leur malheur. En ce sens aussi,  leur mouvement  va dans le sens du mouvement adulte actuel : chercher à améliorer un pouvoir d’achat qui se dégrade d’année en année. En ce sens, ils renvoient à la société une forme de violence, elle nous encourage à une consommation, en rendant cette même consommation inaccessible pour une majorité de foyers.

Mais dans un second sens, il n’y pas vraiment de rapport direct. Ces jeunes savaient parfaitement qu’ils risquent d’être arrêtés, entendus par les forces de police et qu’ils risquaient de perdre les objets dérobés. En réalité, ils cherchaient à attirer l’attention sur eux, même si ce processus ne se fait pas forcément de manière consciente. En quelque sorte, ils voulaient exister dans l’agitation sociale de ces jours-ci, dire un peu « On est là ». On comprend le mouvement, et nous on va y arriver par la violence, car les négociations n’aboutissent pas. Et ils disent en même temps, on est utile, on est là. Et on sait qu’on existe, dans l’action.

En ce sens ils sont totalement socialisés car ils entendent être les acteurs sociaux d’un changement par la violence.
Ce sont des cris adressés à la société parce qu’ils ont besoin d’être identifiés, dans tous les sens du terme,  exister de par une identification. Ils veulent se confronter aux règles sociales, pour rencontrer ses limites. Par cela même, ils se positionnent et apprennent qui ils sont.
Lorsque les jeunes interpellés se retrouvent généralement face à un gendarme blanc métropolitain qui généralement ne parle pas créole. Ils ne peuvent pas s’identifier à cet homme qui ne pourrait pas être leur père. On arrive là à la limite d’un système aux Antilles, car le jeune pourrait, confronté aux forces de l’ordre, se projeter sur un adulte sur lequel il pourrait s’identifier. Il pourrait se dire, cet homme est un modèle pour moi et je vais construire mon identité à partir de ce modèle. Je reconnais cet homme comme digne de respect, car il représente un rapport à la société qui est respactable.
Au lieu de cela la différence ethnique et linguistique interdit la projection. Elle réanime la rupture sociale, en se traduisant par une identité  qui prend son sens dans la séparation.
Je ne suis pas comme lui, je ne peux pas me projeter. Je ne peux m’identifier qu’en me positionnant comme étant  « contre ».
C’est pour cette raison que les forces de l’ordre devraient recruter de préférence à la Martinique et en Guadeloupe, des fonctionnaires représentatifs de la société antillaise.
C’est pour ces raisons, que je pense que les violences actuelles ont d’une part, une relation bien sûr avec le mouvement actuel, mais que ceux-ci sont un prétexte pour  ces jeunes de montrer qu’ils existent. Il ne faudrait pas que leur action passe « à la trappe » car justement, ce qui la rendrait utile, ce serait qu’ils soient considérés et que ce soit une occasion pour les forces de police de les reprendre en main, en leur indiquant le chemin d’une autre identité possible.
Cependant la violence ne doit pas être systématiquement dénigrée. Elle est même utile. Ces jeunes sont et ils ont été utiles, car le mouvement martiniquais n’existait pas en France métropolitaine avant ces événements de Fort-deFrance. Le journaliste Calvi dans une récente émission sur  Tempo semblait « découvrir » les problèmes en Martinique. On a commencé à parler de la Martinique en métropole sur LCI à partir du moment où il y a eu ces violences. Considérer la violence comme forcément négative est une imposture sociale. Car  certaines classes sociales  craignent les débordements collectifs en réalité et pour cette raison ils ont besoin des forces de police pour se faire respecter. Il  ne faut pas dévaloriser les jeunes qui se livrent à ce type d’actions mais leur expliquer qu’il  a des règles sociales, qu’elles ont été faites dans l’intérêt général,  et que la violence n’est recevable que lorsqu’elle  est une manière de se faire entendre lorsque les moyens démocratiques n’ont pas abouti.
 
Les grandes révolutions ont souvent été réalisées dans le sang. Cependant, on peut obtenir beaucoup en faisant  des actions sociales fortes, sans forcément casser. Le boycott de certains produits, la mise en place d’un autre modèle de société, la force d’inertie peut être aussi un puissant levier. Ne pas faire quelque chose que l’on attend de nous, par exemple. Quoiqu’il en soit, on a toujours tord quand on prend les gens pour des imbéciles, et lorsque l’on manipule pour obtenir d’eux des conduites « conformes » qui ne vont pas dans leur intérêt.  On doit respecter nos jeunes, même dans leurs erreurs et leurs imperfections. Je crois qu’une  société qui méprise sa jeunesse est méprisable.
Je crois qu’une société qui ne laisse pas la place à sa jeunesse est méprisable.
Je crois qu’une société qui est dominée par une classe sociale de personnes âgées est dépassée et hors-jeu, c’est ce à quoi on assiste aujourd ’hui.
On se rend compte que nos dirigeants n’ont rien à dire sur le mouvement, tout simplement parce qu’ils ne l’ont pas vu venir, parce qu’ils vivent dans un apartheid social, parce qu’ils ne vivent pas « dans » la société mais dans leur bulle privilégiée en ignorant les difficultés de la France de « là-bas ».

Marie-Line Boulogne