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SARKOZY : QUAND LE PSY CAUSE

Pascal de Sutter est professeur de psychologie et chercheur à l’université de Louvain-la-Neuve. Il est également expert auprès de l’OTAN pour les questions de psychologie politique
Avant l’élection présidentielle, vous aviez décrit Nicolas Sarkozy comme une personnalité « ambitieuse-dominante » avec une tendance « narcissique-compensatoire ». Ce profil est-il encore valable aujourd’hui ?

Je pense que oui. Nicolas Sarkozy a fondamentalement des complexes sous-jacents qu’il ne parvient pas à surmonter. Même après avoir été élu, il doit prouver à tout le monde qu’il peut faire des choses extraordinaires. Contrairement à Jacques Chirac qui est devenu beaucoup plus calme après son élection, il doit toujours en faire trop parce qu’il a besoin d’être aimé, reconnu, admiré.

D’où viennent les complexes que vous évoquez ?

On a ri du fait qu’il ait évoqué son « enfance difficile » alors qu’il a grandi dans les quartiers bourgeois de l’ouest parisien. Mais dans ce milieu, il était le pauvre parmi les riches : son père avait plus ou moins disparu, sa mère dépendait de son oncle, on s’est beaucoup moqué de lui, de sa taille. Certes, il allait en vacances à Saint-Tropez, mais c’était dans la villa des autres. Normalement, une fonction de prestige permet de surmonter ces humiliations. Mais lui doit compenser continuellement, car même être président, ce n’est pas assez.

Le fait d’être « narcissique-compensatoire » pose-t-il problème pour exercer ses fonctions ?

Là où c’est embêtant, c’est sur la scène internationale, où son manque de retenue risque de le faire passer pour un guignol. C’est lié à sa difficulté à la modération : avant, il avait une carotte – devenir président – qui pouvait modérer son côté excessif, bagarreur de bas de gamme. Maintenant qu’il est au sommet, il n’a plus tellement de garde-fous. Cela dit, je ne m’inquiète pas trop pour lui car il va sûrement rebondir à la faveur d’un incident, d’une crise quelconque. Le trait narcissique-compensatoire a des aspects positifs : c’est une personnalité inventive, imaginative, qui n’a pas peur de bousculer les règles établies.

La psychologie de Nicolas Sarkozy se rapproche-t-elle de celles d’autres dirigeants ?

Churchill et de Gaulle étaient un peu dépressifs, François Mitterrand mégalomane… Je le comparerais plutôt à Napoléon, Mussolini ou au président américain Jimmy Carter.

Nicolas Sarkozy est-il « fou », comme l’ont prétendu certains ?

Non, c’est exagéré. Ce n’est pas le diagnostic que je poserais. Etre fou, pour moi, c’est être dysfonctionnel, c’est ne plus pouvoir assumer ses fonctions. Il n’en est pas au stade où il doit être hospitalisé. En revanche, il est probable que seul un grave échec personnel, comme se faire massacrer aux élections, pourrait le guérir.


cet entretien a été réalisé en Suisse par le journal suisse Le temps