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Serge Letchimy : Le temps des renoncements

La situation économique et sociale s’est fortement dégradée et la Martinique est en panne économique. Ce n’est pas là une vision de l’esprit mais une lecture objective des indicateurs socio-économiques du pays :

Donc, point d’épanouissement mais plutôt un pays qui s’installe dans la crise durable !

Est-ce à dire, Monsieur le Président, que vous avez renoncé à  vos promesses électorales tournant ainsi le dos au discours que vous aviez prononcé, ici même, dans cet hémicycle du Conseil Régional ?

L’approche analytique des 10 axes de vos orientations budgétaires est à ce titre fort enrichissant. Néanmoins, de cet exercice, je retiendrai 4 points qui illustrent bien cette posture du renoncement :

  1. Les limites de votre plan de relance
  2. La poursuite de la dynamique initiée par Alfred Marie-Jeanne.
  3. Votre absence de vision notamment en matière de transports publics
  4. Les incertitudes budgétaires

Mais, reprenons dans le détail chacun de ces 4 points :

  1. Les limites du Plan de Relance d’Urgence.

Votre plan de relance d’Urgence avait été présenté lors de la plénière du 22 juin 2010 comme une réponse à la situation dégradée de l’économie de la Martinique. Nous avions émis de sérieuses réserves sur la philosophie mais surtout sur les modalités de mise en œuvre de ce plan.

Des réserves mais aussi des doutes, notamment sur les 210 projets communaux que nous n’avons toujours pas vus… transparence oblige !

Devant notre légitime interrogation, vous nous aviez promis de « …revenir en plénière pour présenter l’ensemble des opérations bouclées et un DM pour les chantiers qui peuvent démarrer dès juillet, août, septembre 2010 ».

Nous sommes à  la fin du mois de novembre 2010 et nous n’avons toujours pas vu le moindre descriptif des projets retenus, idem pour le prévisionnel sur les 3 ans du plan et sur la participation de ceux que vous appelez « les autres financeurs ».

Pourtant, malgré  ce manque de transparence, nous autres élus régionaux, nous vous entendons communiquer à travers les médias, sur ce Plan de Relance d’Urgence. Nous avons même entendu parler d’un Plan de Relance 2 sans avoir eu les réponses relatives au Plan de Relance « Premier ». A ce sujet, il est dit à la page 31 du dossier sur les Orientations budgétaires que les premiers versements ont été faits dès septembre et se poursuivent sur le 4ème trimestre de cet exercice budgétaire. Pouvez-vous nous préciser le nom des destinations de cet argent public ? Quelles sont les communes qui ont déjà perçu ces premiers versements ? Qu’en est-il du financement des projets de la Ville-Capital qui ont pratiquement tous redémarré ?

Monsieur le Président,

Il serait peut-être temps que vous respectiez les élus que nous sommes et à travers nous les 66 309 martiniquais qui ont porté leurs suffrages sur la liste des PMS conduite par Alfred Marie-Jeanne.

Il serait peut-être temps de dire publiquement quel est le montant de la participation des « autres financeurs » notamment de l’Europe et de l’Etat qui ne se sont jamais prononcés sur des chiffres précis.

Le débat sur les Orientations Budgétaires est l’occasion de vous interpeller une nouvelle fois sur ce Plan de Relance d’Urgence plutôt que d’assister à cette fuite en avant médiatique.

N’en faites donc pas, une fois de plus, une affaire personnelle, mais apportez-nous les réponses concrètes à ces questions de fond.

  1. La poursuite de la dynamique initiée par Alfred Marie-Jeanne.

Parmi les questions que tout le monde se pose, Il y en a une qui revient sans cesse dans la bouche des Martiniquais, y compris chez ceux qui vous avaient accordé leur confiance : Où sont les 5 000 emplois et les 2 000 logements ?

Ou plutôt, où  sont les 6 000 emplois ? Oui, vous avez bien entendu, les 6 000 emplois puisque, en dépit de votre omniprésence médiatique, de vos discours incantatoires et de vos critiques acerbes  à l’égard de la mandature d’Alfred Marie-Jeanne, nous nous retrouvons avec 41 000 chômeurs, soit un millier supplémentaire depuis votre arrivée !

Votre action politique et votre Plan de Relance d’Urgence ont donc été inopérants et ils s’inscrivent désormais dans un contexte d’aggravation du chômage et des conditions de vie des Martiniquais. Nos concitoyens qui nous écoutent le savent pertinemment puisqu’ils le vivent douloureusement au quotidien.

Pourtant, dans votre élan de séduction, vous aviez fortement insisté sur … l’audace, en rappelant aux élus que nous sommes que «  …nous devrons mettre à profit chaque heure, chaque jour, chaque semaine, pour élaborer un projet audacieux, un projet ambitieux qui ouvrira de nouvelles perspectives économiques, sociales, écologiques et culturelles ! »

Point d’audace, point de projet ambitieux mais un réel renoncement !

Et, l’exemple le plus éclatant de votre renoncement trouve sa traduction dans votre rapport sur les « Orientations Budgétaires » où en page 9, vous reconnaissez que « … la progression budgétaire hors emprunt sera entre 2010 et 2011 de 2 % en hypothèse haute mais, par rapport au budget 2009, elle ne sera que de 1,7 % ». Et dire, qu’après vos déclarations tonitruantes, on s’attendait à de grandes orientations politiques pour le pays avec des arbitrages budgétaires sans précédent !

Pour justifier cette « frilosité budgétaire », vous évoquez deux choses :

Et cette deuxième remarque nous ramène à un premier constat sur vos orientations budgétaires qui s’impose d’emblée : En dépit de vos critiques incessantes avant la campagne électorale, durant la campagne et, plus surprenant, après la campagne électorale, vous vous êtes contenté de reprendre les projets d’Alfred Marie-Jeanne dans vos orientations budgétaires. Où est donc passé ce «… profond changement sur le plan du développement économique et social » que vous nous aviez annoncé le jour de votre investiture ?

Est-ce un nouveau renoncement ou le simple aveu des mérites de votre prédécesseur ?

En réalité, le constat s’impose de lui-même : en dépit de vos effets d’annonce vous nous présentez un « Copier-Coller » des actions d’Alfred Marie-Jeanne.

Il suffit pour s’en convaincre de comparer les orientations budgétaires 2010 présentées par Marie-Jeanne et celles que vous présentez pour 2011. Rien de nouveau sous le soleil : Aides aux entreprises, formation professionnelle, pêche, culture … programme Interreg IV et mémorandum de la 15ème conférence des Présidents des RUP.

C’est vrai, pour être tout à fait honnête, il y a quand même quelques nouveautés :

  1. Votre absence de vision notamment en matière de transports publics

Les transports publics !  C’est le grand absent de vos orientations budgétaires. Est-ce un renoncement de plus ou une absence de vision pour les transports publics ?

A ce propos, je vous avais interpellé lors de la première plénière sur votre vision des transports publics pour la Martinique. 7 mois après, je constate que vous n’avez toujours pas apporté une réponse crédible à cette interrogation. Vous vous êtes englué dans une Aide à Maîtrise d’Ouvrage (AMO) pour le TCSP sans que l’on ait d’autres perspectives pour les transports.

Cette absence d’orientation politique voire de vision politique pour les transports terrestres et maritimes est manifeste dans vos orientations budgétaires. Certes, on y trouve des études sur le covoiturage, des pistes cycles, des réseaux de voitures électriques, tous ces gadgets que l’on retrouve dans la littérature des bureaux d’études de France et de Navarre, sans pour autant aller à l’essentiel !

Aucune proposition concrète pour le transport de marchandises.

Aucune réponse politique face à la noria de 800 camions qui empoisonnent quotidiennement, dès 5 heures du matin, l’existence des riverains du Nord Caraïbe et des automobilistes qui empruntent la RN2.

Pas de réponse politique face aux « points noirs » que sont la traversée de Fond Lahaye et celle du Centre ville de Saint-Pierre.

Cependant, vous reprenez à votre compte l’arlésienne de la Grande Rocade de contournement de Saint-Pierre alors que ce projet a été abandonné par le Département et l’Etat à cause de la nature géologique des sols devant recevoir cet ouvrage et le coût exorbitant d’un tel projet.

Quant au transport maritime, il est à peine cité dans ce rapport sur les O.B. et ce, malgré vos interventions par le passé et votre mémorandum sur le transport maritime. A l’époque, (en janvier 2005) vous pointiez du doigt, l’immobilisme politique. Vous étiez même prêt à lancer une DSP pour des dessertes maritimes. Elles n’ont pas vu le jour car vous partiez d’un postulat juridique erroné. En réponse à votre mémorandum, je vous avais proposé la mise en place d’un syndicat mixte pour le transport maritime. En dépit de l’effervescence médiatique suscitée, la Martinique en est toujours au même point et les transports publics …au point mort !

Or, la saturation atteinte sur le réseau routier, malgré son extension et son impact sur l’aménagement du territoire, nous oblige à réintroduire les liaisons maritimes comme composante à part entière du système de communication interne.

Au moment où  la question de la responsabilité est omniprésente dans vos discours, force est de constater que vous n’arrivez pas à prendre vos responsabilités face à un des enjeux majeurs pour l’économie du pays que constitue cette épineuse question des transports publics.

Alors, qu’en est-il de l’essentiel ?

L’essentiel c’est un Schéma Régional des Transports qui nous permettrait de définir à la fois, les priorités immédiates en matière de transports mais aussi les projets à moyen et à plus long terme. Un SRT qui nous permettrait de mettre en cohérence les transports existants avec le TCSP avec les autres modes de transports prévus dans le cadre des Plan de Déplacement Urbain (PDU) de la CACEM et de la CAESM… sans oublier les inévitables dessertes maritimes.

Le cadre juridique pour ce SRT existe (c’est celui de la Loi relative aux Libertés et Responsabilités Locales) et toutes les études faites à ce jour permettront de lancer ce SRT de la Martinique. Seule votre absence de vision politique pour les transports publics semble faire défaut !

  1. Les incertitudes budgétaires

Vous avez longtemps souligné l’absence d’audace de la gestion d’Alfred Marie-Jeanne allant même jusqu’à la caricaturer et à la présenter comme une gestion ringarde. Or, la stratégie que vous décrivez pour faire face aux contraintes que sont :

cette stratégie budgétaire est strictement la même.

En effet, à  l’instar de votre prédécesseur, vous optez pour une maîtrise des dépenses afin d’ajuster ces dépenses à la situation de pénurie des recettes. Ceci est plutôt rassurant, mais fallait-il jeter l’opprobre sur cette gestion précédente et la reprendre intégralement à votre compte ?

Quant à l’emprunt, que n’avons-nous pas entendu ? Tous vos prix Nobel d’économie s’étaient exprimés sur l’emprunt !

Or, en lisant la page 14 des orientations budgétaires 2011, on y découvre l’approche définie in-extenso par Alfred Marie-Jeanne : On peut y lire que « … l’emprunt ne sera mobilisé qu’au fur et à mesure du déroulement des opérations qu’il finance et dans toute la mesure où la trésorerie disponible ne serait pas suffisante ». On y retrouve là une approche sage et rigoureuse d’Alfred Marie-Jeanne, très critiquée quand il s’agissait de faire rêver le peuple, mais que vous reprenez sans gêne dans vos orientations budgétaires 2011.

Cependant, votre balance prévisionnelle, présentée en page 89, suscite quelques interrogations.

En effet, vous présentez des recettes d’investissement et de fonctionnement pour un montant de 283 M€. Ce prévisionnel de recettes de 283 M€ devant couvrir que les dépenses obligatoires c’est à dire : « … celles liés aux recettes affectées et celles relevant des engagements en autorisation de programme ».

Vous précisez par ailleurs que les propositions formulées par les différentes commissions sectorielles obligeront nécessairement, pour équilibrer le budget, au recours à l’emprunt.

A cet effet, à la page 85, dans le tableau des évaluations prospectrices des recettes, vous affichez un emprunt de 60 M€.

C’est votre seul recours, l’Etat ayant déjà annoncé la couleur, nous ne pourrons pas compter sur les subventions extraordinaires de l’Etat.

Mais, si l’on considère ces dépenses obligatoires de 283 M€, plus le Plan de Relance Régional 2011 que vous chiffrez vous-même à 86 M€ et que l’on rajoute les « investissements mieux structurés et porteurs d’avenir » qui devraient constituer la colonne vertébrale de votre budget, on s’achemine vers un emprunt qui s’évaluera entre 130 et 150 M€.

Dans ces conditions, comment éviter la spirale de l’endettement, dans un contexte de raréfaction des crédits d’Etat, sauf à adopter la méthode « Marie-Jeanne » que vous reprenez d’ailleurs en page 14.

Monsieur le Président,

Les contribuables qui nous écoutent doivent connaître le niveau d’endettement que vous envisagez pour l’année 2011. Nous souhaitons aussi comprendre votre logique budgétaire en la matière.

En conclusion :

Si on voulait résumer la lecture de ce rapport sur les Orientations Budgétaires 2011, on pourrait l’intituler Le temps des renoncements :

Mais, est-ce là une surprise ? … il y a longtemps que nous avons compris que vous avez déjà renoncé à l’idée même de responsabilité. Votre volte-face et votre attitude d’avant l’échéance du 10 janvier 2010 constituent une éclatante illustration.

Et puisqu’il existe toujours une exception la règle, nous constatons que vous n’avez pas renoncé à votre fameux Plan de relance régional. Vous vous enfermez dans une gestion opaque de ce plan et, plus grave, vous risquez de plomber les finances de la Région Martinique ainsi que cette «… situation financière qui vous autorisait toutes les audaces ».

Martinique, le 23 novembre 2010

Louis BOUTRIN

Conseiller Régional de Martinique

Groupe des Patriotes Martiniquais et Sympathisants