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SIDA : Situation aux Antilles, en Guyane et à La Réunion

Les premiers résultats de l’enquête ANRS-Vespa2 décrivent la situation sociale et l’état de santé des personnes vivant avec le VIH aux Antilles, en Guyane et à La Réunion.
Régis par un statut territorial unique, les départements d’outre-mer (DOM) présentent des singularités historiques, politiques et sociales propres à chaque contexte. La dynamique démographique de ces territoires est aussi fortement contrastée. Bien qu’hétérogène entre départements, la situation économique apparaît globalement défavorable dans les différents départements, avec un faible développement de l’appareil productif, des revenus bas et un taux d’emploi très inférieur à celui de la moyenne nationale. En matière d’infection à VIH, les taux de nouveaux cas rapportés à la population dans les trois départements français d’Amérique (DFA) sont au-dessus de la moyenne nationale et, pour la Guyane et la Guadeloupe, au-dessus de l’Île-de-France, tandis que La Réunion a une situation épidémiologique plus favorable.

L’enquête Vespa2 a été menée en 2011 auprès de 598 patients suivis pour le VIH dans les hôpitaux de Guadeloupe, Martinique, Guyane (Cayenne), Saint-Martin et La Réunion. Les données, pondérées et redressées, sont extrapolables à la population vivant avec le VIH et suivie à l’hôpital dans ces départements.

Les indicateurs sociaux en 2011 apparaissent relativement stables par rapport à 2003. Ils sont marqués par de faibles taux d’activité professionnelle (malgré l’importance de l’emploi non déclaré), des revenus faibles, des niveaux élevés de restrictions alimentaires par manque d’argent, avec une situation plus défavorable dans les départements français d’Amérique qu’à La Réunion. La non-divulgation de la maladie aux proches, sans changement depuis 2003, reste un phénomène fréquent aux Antilles et en Guyane.

La proportion de personnes traitées a fortement augmenté entre 2003 et 2011 et est au même niveau qu’en métropole. Les résultats thérapeutiques sont identiques à la métropole en termes de CD4, mais la proportion de charge virale non contrôlée (de 67,9% à 81,7%) est plus élevée.

Dans les départements d’outre-mer, territoires présentant des situations contrastées sur le plan épidémiologique et social, l’efficacité accrue des traitements a permis partout une amélioration de l’état de santé tandis que la situation sociale ne marque pas de progrès entre les deux vagues de l’enquête.

Matériel et méthodes

Enquête nationale représentative auprès de la population vivant avec le VIH suivie à l’hôpital, l’enquête Vespa2 effectuée en 2011 fait suite à une première enquête réalisée en 2003 selon un protocole similaire (cf. focus « Méthodologie générale de l’enquête ANRS-Vespa2 », dans ce numéro). La Réunion, qui n’avait pas été incluse en 2003, l’a été en 2011. En revanche, Mayotte, devenue département seulement après le lancement de l’étude, n’a pas été étudiée. Saint-Martin, devenu collectivité d’outre-mer en 2007, est présenté de façon individuelle, en raison de sa structure démographique dominée par une très forte immigration des pays voisins de la Caraïbe.

Les indicateurs démographiques, sociaux, ceux relatifs au contexte relationnel et les paramètres médicaux sont présentés par département avec, pour chacun, les évolutions par rapport à 2003. La taille de l’échantillon enquêté dans chaque département reste modeste et ne permet pas de distinguer les sous-populations par sexe ou nationalité par département. Les indicateurs médicaux ont été comparés à ceux de la métropole compte tenu de l’uniformité des recommandations cliniques de prise en charge de la maladie. En raison de la taille limitée des échantillons dans chaque département, les proportions de diagnostics tardifs (

Toutes les données présentées sont pondérées et redressées, fournissant ainsi des estimations extrapolables à l’ensemble de la population séropositive diagnostiquée depuis au moins 6 mois et suivie à l’hôpital à l’échelle des départements concernés et, pour la Guyane, de la région de Cayenne.

Profils épidémiologiques et sociaux des personnes vivant avec le VIH dans chaque DOM et à Saint-Martin

Au total, 598 personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ont participé à l’étude ; leur répartition reflète la distribution de la file active dans les hôpitaux de chaque DOM.

Martinique

Dans la file active des patients suivis en Martinique, les patients diagnostiqués entre 2003 et 2011 représentent environ 1 personne sur 3. La population séropositive est composée pour 20,9% d’hommes contaminés par rapports homosexuels, pour 38,3% d’hommes hétérosexuels ou contaminés par d’autres voies et pour 40,8% de femmes. La majorité de la population (91,8%) est de nationalité française. En 2011, l’âge médian est de 49 ans et 20,7% des patients ont plus de 60 ans. Parmi les moins de 60 ans, 43,2% ont un emploi déclaré, 18,7% travaillent dans le secteur informel et 8,2% sont en recherche d’emploi.

Les minima sociaux (Revenu de solidarité active -RSA et Allocation adulte handicapé -AAH) concernent plus d’une personne sur 4. L’appréciation des ressources est appréhendée par des questions empruntées aux enquêtes Conditions de vie des ménages, menées par l’Insee de façon régulière : près de 4 personnes sur 10 rapportent des difficultés financières majeures pour faire face à leurs besoins et plus d’un quart des répondants rapportent des privations alimentaires par manque d’argent (26,8%).

Plus de 4 personnes sur 10 vivent seules et les familles monoparentales comptent pour 15,4% des enquêtés ; 1 personne sur 5 vit en couple. Près d’un quart des patients n’ont informé personne de leur entourage de leur maladie.

Au cours des 12 derniers mois, 68,8% des patients ont eu des rapports sexuels, 59,9% ont un partenaire stable et 31% ont eu au moins un partenaire occasionnel. Parmi les sexuellement actifs, 62,7% ont utilisé un préservatif au dernier rapport (tous types de partenaires confondus).

Par rapport à 2003, la distribution des cas par sexe (en distinguant les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes des autres hommes) et la part des étrangers restent stables, l’âge moyen augmente de 8 ans. Le taux d’activité a augmenté par l’accroissement du travail non déclaré tandis que les indicateurs de ressources sont restés stables. La proportion de propriétaires de leur logement est passée de 25,6% à 33,7%. Les caractéristiques du mode de vie et de la sexualité sont stables (à noter que l’utilisation du préservatif au dernier rapport n’était pas documentée en 2003).

Guadeloupe

Les PVVIH suivies dans les deux hôpitaux de la Guadeloupe ont été pour 43,9% diagnostiquées depuis 2003. Elles sont âgées de 49 ans en médiane. Globalement, les femmes représentent un peu moins de la moitié de la population séropositive (47,9%), tandis que les hommes se répartissent en 23,6% d’hommes contaminés par des rapports homosexuels et 28,5% d’hommes hétérosexuels. La part des étrangers est de 35,3% ; il s’agit d’immigrés de longue date dans le département avec une ancienneté de 12 ans en médiane lors de l’enquête. Parmi les étrangers, 93,2% sont des Haïtiens et 33,6% ont une carte de résident, c’est-à-dire une autorisation de séjour de 10 ans. Le taux d’activité parmi le moins de 60 ans (63,9%) comporte une part importante d’emploi non déclaré (27,2%). Plus d’un patient sur 3 reçoit un minima social (le RSA : 21,3% ou l’AAH : 14,5%). Près de la moitié des patients déclarent des difficultés financières importantes et 38,3% des privations alimentaires. Plus de 9 personnes vivant avec le VIH sur 10 ont un logement personnel et, parmi elles, 40,2% sont propriétaires de leur logement.

Près de 40% des PVVIH en Guadeloupe vivent seules, 19,5% en famille monoparentale et 30,4% en couple. Un quart d’entre elles n’ont pas révélé leur maladie à leurs proches.

La proportion de personnes ayant eu une activité sexuelle dans l’année est de 59,9%, et 1 personne sur 4 rapporte des rapports avec au moins un partenaire occasionnel au cours des 12 derniers mois. Au dernier rapport, 76,6% ont utilisé le préservatif.

La comparaison avec 2003 indique une augmentation de 3 ans de l’âge médian, qui n’est pas significative ; elle fait apparaître aussi une augmentation de la part des étrangers dans la population vivant avec le VIH (de 24,3% à 35,3%). Le taux d’activité augmente du seul fait de l’accroissement du travail non déclaré. La proportion d’allocataires des minima sociaux reste stable, résultat d’une diminution des bénéficiaires de l’AAH et d’une augmentation des personnes recevant le RSA. La détérioration de l’indicateur d’aisance financière porte sur la baisse de la proportion des plus aisés. La fréquence de la révélation de la maladie dans l’entourage ne progresse pas. Les caractéristiques du mode de vie et les comportements sexuels apparaissent stables.

Saint-Martin

Les femmes sont majoritaires dans la population séropositive suivie à l’hôpital français de Saint-Martin, et la proportion d’hommes contaminés par rapports homosexuels est très faible. L’âge médian est de 49 ans. La file active est constituée pour 78,5% d’étrangers venant principalement d’Haïti (63,2% de la file active). Près d’une personne sur 2 a été diagnostiquée après 2003. Le niveau d’emploi est de 56,3%, dont 24,2% dans le secteur informel. Les proportions de bénéficiaires du RSA et de l’AAH sont voisines, autour de 11%. La très grande majorité des personnes suivies pour le VIH ont un logement personnel (81,8%) mais rapportent un niveau de ressources insuffisant : 7 sur 10 expriment des difficultés financières majeures et près de 6 sur 10 rapportent ne pas pouvoir se nourrir correctement par manque d’argent. Les PVVIH à Saint-Martin vivent seules (38,6%) ou seules avec des enfants (34,1%), les couples étant très peu nombreux (20,5%). Pour un tiers des patients, aucune personne de l’entourage n’est informée de leur maladie. Deux PVVIH sur 3 rapportent avoir eu des rapports sexuels dans les 12 derniers mois, dont 44% avec un partenaire stable et 24,3% avec au moins un partenaire occasionnel. Un peu plus de la moitié (55%) rapportent avoir utilisé un préservatif au dernier rapport.

Les évolutions par rapport à 2003 sont à prendre avec prudence compte tenu de la petite taille des échantillons aux deux phases de l’enquête. La distribution par sexe et la répartition entre Français et étrangers sont stables. L’âge médian de la file active augmente de 7 ans. La structure d’activité professionnelle évolue avec plus d’actifs occupés sans contrat et moins de personnes en recherche d’emploi. Pendant cette période, les privations alimentaires se sont accrues. La révélation aux proches ne se modifie pas de façon significative. Les indicateurs d’activité sexuelle marquent une augmentation des personnes sexuellement actives en 2011, augmentation qui porte sur les partenaires stables comme sur les partenaires occasionnels.

Guyane

En raison d’une épidémie hétérosexuelle très dynamique, 69,4% de la population séropositive de Guyane, limitée ici à la file active suivie à Cayenne, est composée en 2011 de personnes diagnostiquées depuis 2003, avec une majorité de femmes et très peu de contaminations masculines associées à des rapports sexuels entre hommes. La moitié des patients ont entre 35 et 54 ans (43 ans d’âge médian). Cette population compte une large majorité d’étrangers dont 3 sur 4 viennent d’Haïti. L’ancienneté de présence de ces étrangers sur le territoire guyanais est de 19 ans en médiane lors de l’enquête ; pourtant, plus de 6 sur 10 ont un titre de séjour d’un an ou plus court.

Les actifs, quel que soit le secteur, déclaré ou informel, sont minoritaires et plus d’une personne sur 3 est en recherche active d’emploi. Peu de patients reçoivent l’AAH (6%), tandis que plus d’un sur 4 est allocataire du RSA. En termes de conditions de vie, la part des personnes hébergées par la famille ou les proches est élevée (26%), tandis que 7% environ n’ont pas de logement personnel ou vivent en foyer. La grande majorité connaît des difficultés financières majeures et les privations alimentaires par manque d’argent atteignent près de 40% des PVVIH.

Un peu plus de la moitié des personnes vivent seules (30,3%) ou seules avec des enfants (21,9%), 35,8% en couple avec ou sans enfants, et 12% avec d’autres adultes. Trois personnes vivant avec le VIH sur 10 n’ont informé personne de leur maladie dans leur entourage.

Une activité sexuelle dans l’année est rapportée par un peu plus de 60% des répondants. Sept personnes sur 10 ont une relation stable, et 13,1% ont eu au moins un partenaire occasionnel dans les 12 derniers mois. L’utilisation du préservatif au dernier rapport concerne les deux-tiers des répondants.

Par rapport à 2003 et en restreignant la comparaison à la file active suivie à Cayenne, l’évolution est marquée par une stabilité de la répartition par sexe, une stabilité de l’âge médian de la file active, une augmentation de la part des étrangers, des variations non significatives du niveau d’activité professionnelle, une détérioration du niveau de ressources et une augmentation de la part des personnes hébergées par des proches. Concernant la vie affective et sexuelle, les personnes ayant une relation stable sont plus nombreuses en 2011 qu’en 2003.

La Réunion

La population suivie pour le VIH dans les deux hôpitaux de La Réunion se répartit presque également entre hommes contaminés par relations homosexuelles (34,5%), autres hommes (32%) et femmes (33,5%). L’immense majorité des PVVIH sont des Français de naissance (96,9%). La moitié ont entre 41 et 54 ans avec un âge médian de 47 ans. Environ 1 personne sur 4 a été diagnostiquée depuis 2003. Le taux d’activité est de 50,2% et peu des PVVIH travaillent dans le secteur informel (7,7%). Un peu plus d’un quart des personnes vivant avec le VIH touchent un minima social (RSA : 15,2% ; AAH : 11,3%). Près de 9 personnes sur 10 ont un logement personnel. L’appréciation de l’aisance financière situe la majorité des patients dans la catégorie intermédiaire (des revenus juste suffisants) et 16% rapportent des privations alimentaires par manque d’argent.

La vie en couple concerne près d’une personne sur 2 (48,8%). Plus de 9 personnes sur 10 ont informé leur entourage de leur séropositivité. L’activité sexuelle dans l’année est rapportée par 7 personnes sur 10, la plupart ont un partenaire stable et 30,4% ont eu au moins un partenaire occasionnel au cours des 12 derniers mois. Le niveau d’utilisation du préservatif au dernier rapport est de 55,7%.

Indicateurs médicaux (tableau 4)

Globalement dans les DOM, parmi les personnes nouvellement diagnostiquées entre 2003 et 2011, 55,3% l’ont été à un stade tardif de l’infection et 36,7% à un stade ultra-tardif, soit des niveaux plus élevés que ceux de la métropole (48,6% et 29,8%, respectivement). La proportion des patients sous traitement antirétroviral (ARV) dépasse 90% dans tous les départements, sauf en Martinique où elle est légèrement inférieure (88,8%). Parmi les personnes traitées, la proportion de personnes ayant une charge virale contrôlée (au seuil de 50 copies/ml) est voisine de 80%, sauf en Guyane où 67,9% seulement des personnes traitées atteignent ce seuil d’indétectabilité.

Par rapport à 2003, dans les seuls DFA, en prenant pour référence le seuil de 400 copies correspondant à la technique la plus courante à l’époque, la proportion des patients indétectables a fortement augmenté (de 20% à 30%) dans tous les territoires, sauf à Saint-Martin (proportion constante à 18%). Le pourcentage de patients sous ARV ayant un taux de CD4 inférieur à 200/mm varie de 5,6% en Martinique à 13% en Guyane, tandis que les patients ayant plus de 500 CD4/mm augmentent fortement, avec un pourcentage variant de 41,2% en Guyane à 53,5% à La Réunion. Comparés aux patients des services métropolitains en 2011, ceux des DOM sont aussi fréquemment traités dans chaque département.

Cependant, la proportion de personnes traitées et ayant une charge virale indétectable est systématiquement plus basse dans tous les départements par rapport à l’hexagone et, en Guadeloupe et en Guyane, les taux de CD4 marquent un niveau significativement plus bas. La proportion de personnes ayant eu une maladie classante pour le stade sida varie de 24,2% à Saint-Martin à 34,4% en Martinique et ne diffère pas de celle observée en France métropolitaine (27,4%).

Au cours des 12 mois précédant l’enquête, le taux d’hospitalisation complète (toutes causes confondues et à l’exception des hospitalisations liées à la grossesse) a dépassé 20% dans tous les départements et a atteint 30% en Guyane. Ces taux sont comparables à ceux observés dans l’hexagone (24%).

Auteurs et sources : Lert F, Annequin M, Tron L, Aubrière C, Hamelin C, Spire B, et al, et le groupe Vespa2. Situation socioéconomique des personnes vivant avec le VIH suivies à l’hôpital en France métropolitaine en 2011. Premiers résultats de l’enquête ANRS-Vespa2. Bull Epidémiol Hebd. 2013;(26-27):293-9.