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Sur la suppression du Juge de l’instruction…

 

Nicolas SARKOZY envisage la suppression du juge d’instruction, au profit d’un juge de l’instruction qui superviserait les enquêtes conduites par le parquet.

Le Juge d’instruction est un magistrat du siège indépendant qui détient le pouvoir d’enquête, à charge et à décharge, sur une affaire à partir du moment où le parquet a ouvert une information judiciaire, c’est-à-dire que sa compétence dépend de la saisine du parquet. C’est le cas pour tous les crimes et pour les délits les plus complexes, soit environ 5% des affaires.

Le  Juge d’instruction a souvent été très controversé surtout depuis l’affaire d’Outreau car, dans la pratique, il instruit surtout à charge : il est presque devenu un Juge de l’accusation.

De plus, le Juge d’instruction n’est pas complètement neutre. Par exemple, quand un Juge d’instruction décide de saisir le Juge des Libertés et de la Détention pour lui demander de placer une personne en détention cela veut dire qu’il a une pré-appréciation de la culpabilité de cette personne, alors comment peut-il ensuite mener ensuite des investigations pouvant conduire à son innocence ?

Pour Nicolas SARKOZY, « la confusion entre leurs pouvoirs d’enquête et leurs pouvoirs juridictionnels » pose problème.

En tant qu’enquêteur, le juge d’instruction doit en effet trancher entre la culpabilité et l’innocence des suspects, alors qu’en tant que juge il lui est demandé de faire preuve de neutralité.

Cette proposition de suppression du Juge d’instruction a été débattue à de nombreuses reprises ces dernières années, et notamment par la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau qui ne l’avait pas retenue.

" Nous avions envisagé de supprimer le juge d’instruction, mais nous y avons renoncé après avoir pesé les avantages et les inconvénients. Les avantages de notre système, c’est que l’instruction est menée par un magistrat indépendant qui n’a de comptes à rendre à personne. Cela nous a semblé préférable à une enquête menée par le parquet, qui n’est pas indépendant, a fortiori quand la ministre de la justice se revendique comme "la chef des procureurs".", explique André Vallini, député PS de l’Isère, qui fut président de la Commission d’Outreau.

Suite à cette commission d’Outreau, le Parlement avait voté, le 5 Mars 2007, un texte créant les « pôles d’instruction », c’est-à-dire le regroupement des Juges d’instruction en équipes, pour "remédier à la solitude d’un magistrat souvent inexpérimenté".

Ce texte a d’ailleurs pris partiellement effet le 1er Mars dernier et devait être totalement opérationnel au 1er Janvier 2010. Un pôle de l’instruction a été créé à la Martinique. Toutefois le décret fixant la liste des pôles de l’instruction a été annulé en Décembre 2008 par le Conseil d’État pour "vice de procédure", avec un délai de quatre mois pour permettre au gouvernement de présenter un décret dans les règles.

Avec la réforme de Nicolas SARKOZY, il reviendra désormais aux procureurs du parquet de mener l’enquête et un « juge de l’instruction » verra le jour avec le rôle d’arbitre entre l’accusation et la défense.

Le chef de l’État a estimé qu’il était " temps que le juge d’instruction cède la place à un juge de l’instruction, qui contrôlera le déroulement des enquêtes mais ne les dirigera plus ".

Nicolas SARKOZY propose que le juge d’instruction ne dirige plus les enquêtes.

Cependant ôter au juge d’instruction ses pouvoirs d’enquête reviendrait à les transférer aux seuls magistrats du parquet qui sont hiérarchiquement soumis au ministère de la Justice, ce qui implique, même si le chef de l’État ne l’a pas précisé explicitement, que les investigations reviendraient aux seuls services de Police sous l’autorité du parquet, hiérarchiquement subordonné à la Chancellerie, c’est-à-dire que la Police, et par conséquent le Gouvernement décideront quelles affaires méritent où non de passer devant le tribunal, et quels éléments ils voudront apporter au dossier.

Le parquet décide à l’heure actuelle de l’opportunité des poursuites. Avec cette réforme il pourra mener les enquêtes.

Comme l’a dit un magistrat, le Juge d’instruction a certes des défauts, mais il a une qualité essentielle : il est indépendant.

L’indispensable corollaire de cette réforme : l’indépendance des magistrats du parquet

Selon lemonde.fr, le chef de l’État voudrait en effet confier exclusivement l’enquête judiciaire au parquet, mais sans envisager le corollaire réclamé par ceux qui sont favorables à la suppression du poste de juge d’instruction : donner leur indépendance aux magistrats du parquet, aujourd’hui nommés par le pouvoir et contrôlés par la Chancellerie.

Ce transfert de la totalité des enquêtes, notamment les plus délicates, au parquet inquiète puisque il existe un lien hiérarchique entre les procureurs et la chancellerie, et par conséquent une dépendance du parquet vis-à-vis du pouvoir en place.

Rachida DATI, la ministre de la Justice, a souvent rappelé ces derniers mois, qu’elle était la chef des procureurs. " Les procureurs sont aux ordres du pouvoir exécutif. ", a-t-elle expliqué.

Le juge d’instruction antiterroriste, Gilbert Thiel, rappelle que cette suppression du juge d’instruction au profit d’un juge de l’instruction avait été mise en avant en 1990 par la commission que présidait Mireille Delmas-Marty, avec comme préalable indispensable l’indépendance du parquet du pouvoir politique.

L’opposition de gauche de même que les syndicats de magistrats redoutent ainsi que les procureurs ne classent sans suite les affaires politico-judiciaires les plus dérangeantes.

" Par quel système remplacer le juge d’instruction ? ", s’interroge Catherine Giudicelli, la présidente de l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI), rappelant que " le parquet serait alors l’autorité de poursuites et d’instruction ".

" Il se pose la question du statut du parquet en raison notamment de sa hiérarchisation et de sa soumission au pouvoir politique ", a-t-elle prévenu mettant en garde contre un système à l’anglo-saxonne où les erreurs judiciaires sont nombreuses.

Si cette mesure se confirme, " c’est la mort d’une justice pénale indépendante ", redoute Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature.

Le député PS André Vallini a estimé que la suppression du juge d’instruction serait " vraiment une atteinte très grave à l’indépendance de la justice ". " On confierait l’instruction au pouvoir exécutif ", a-t-il ajouté sur RTL. " Pour faire court c’est le gouvernement qui déciderait de poursuivre ou de ne pas poursuivre ", a-t-il estimé, ajoutant que le gouvernement aurait " toute latitude " face à des ennemis, ou des affaires embarrassantes.

Selon lui, Nicolas SARKOZY " menace l’indépendance et l’égalité de la justice républicaine.", " L’indépendance, en transférant l’instruction d’un juge du siège, indépendant, à un magistrat du parquet soumis au pouvoir politique ", " L’égalité, en proposant un système où, face à un parquet tout puissant, la défense des justiciables sera fonction de leurs moyens financiers ".

Pour M. André Vallini, il serait préférable de poursuivre la mise en œuvre des propositions de la commission Outreau : " Il n’y a pas besoin de supprimer le juge d’instruction pour renforcer les droits de la défense, il suffit d’appliquer nos propositions, comme la notification des faits reprochés et l’accès au dossier dès la garde à vue ou la mise en place de délais butoirs pour la détention provisoire. "

Le président de l’Union syndicale des magistrats, Christophe Régnard, estime que cette volonté de suppression du juge d’instruction se situe dans la droite file de " la reprise en main du parquet à qui on va confier les affaires les plus graves. Il n’y aura plus d’affaires économiques ou de santé publique qui pourraient mettre en cause des hommes politiques ou des patrons proches de ces hommes politiques ".

« C’est une régression majeure pour les libertés individuelles. Le pouvoir politique veut régler son compte à un juge indépendant qui s’en est pris depuis les années 80 aux hommes politiques et aux grands patrons », estime aussi Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), en référence à de nombreuses affaires, comme par exemple l’affaire Elf.

Cette suppression est vécue comme une mainmise du pouvoir exécutif sur la justice.

Le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) (dont la vice-présidente Laurence Mollaret) se demande « ce qui restera des affaires sensibles, qui seront d’autant plus facilement occultées que le parquet déterminera seul le champ des investigations ».

« Dans un certain nombre d’affaires, on a pu constater que c’est le juge d’instruction qui a soulevé des lièvres que le parquet n’aurait pas soulevés tout seul », souligne le président du Conseil National des Barreaux (CNB).

Pour être efficace, la suppression du Juge d’instruction devrait s’accompagner d’une réforme du statut du parquet (qui devra devenir indépendant) et d’une proposition d’extension des droits de la défense.

Quel sera le rôle du « juge de l’instruction » ?

Censé contrebalancer le pouvoir du parquet, un magistrat indépendant baptisé « juge de l’instruction » aura pour mission d’intervenir durant l’enquête du parquet.

Ce nouveau juge jouera le rôle d’arbitre entre l’accusation et la défense.

Il devrait pouvoir être saisi par l’avocat si le parquet rejette ses demandes (complément d’enquête, nouvelles auditions, etc.).

Le renforcement des droits de la défense ?

En contrepartie de la suppression du juge d’instruction, la nouvelle procédure qu’envisage Nicolas SARKOZY devrait donner une plus grande place aux droits de la défense et du contradictoire, permettant par exemple à l’avocat d’avoir accès au dossier dès le début de l’enquête.

En outre, pour que la réforme ne mette pas en danger les droits de la défense, le Juge de l’instruction devra être un Juge arbitre des investigations, à qui la personne mise en examen pourra faire des demandes d’actes ou d’expertise.

Mais pour l’USM, cette disposition n’est cependant « qu’un leurre », d’autant qu’elle ne s’accompagne « d’aucun vrai renforcement des droits de la défense » comme les demandes d’actes ou des initiatives de contre-enquête.

Par ailleurs, beaucoup craignent que la justice ne devienne à deux vitesses au profit des personnes qui pourront se payer des avocats chevronnés capables de résister au parquet notamment en menant une contre-enquête.

Un magistrat a témoigné sous couvert d’anonymat : « Cela va renforcer d’autant la responsabilité de l’avocat de la défense, et donc défavoriser les plus démunis, qui ne pourront pas se permettre de faire appel aux meilleurs avocats. »

Le développement du contradictoire

Le président a insisté sur la nécessité de placer " le contradictoire au cœur de tout " dans le cadre d’une justice " plus soucieuse des libertés ".

Dans cette optique, le juge des libertés et de la détention (JLD) devrait également disparaître puisque le chef de l’État a annoncé sa volonté d’instaurer une audience collégiale publique pour le placement en détention provisoire.

Dans le même esprit, Nicolas SARKOZY a également appelé de ses vœux " une audience publique sur les charges " reprochées à la personne poursuivie (audience de mise en accusation) à l’issue de laquelle cette personne pourra être mise en examen si les charges retenues à son encontre sont suffisantes (A l’heure actuelle, le Juge d’instruction met la personne poursuivie en examen lors d’une audience de cabinet, c’est-à-dire une audience à laquelle il n’y a que le Juge d’instruction, le Greffier, la personne poursuivie et son Conseil).

Vers un système accusatoire

Avec la fin de l’enquête « à charge et à décharge », c’est le principe d’une procédure inquisitoire qui est remis en cause.

Le principe inquisitoire, et non pas accusatoire comme dans le modèle anglo-saxon, est intimement lié à la notion de présomption d’innocence, et veut que le juge d’instruction recherche et mette en avant tous les éléments d’enquête, à charge et à décharge, c’est-à-dire pas seulement les éléments qui accusent.

Si c’est le parquet qui dirige seul l’enquête, le système deviendra accusatoire.

L’instauration d’un "réel secret de l’enquête"

Nicolas SARKOZY a  précisé vouloir mettre fin au secret de l’instruction estimant que « le secret de l’instruction est une fable à laquelle plus personne ne croit » et jugeant par conséquent « inutile de maintenir dans le code cette fiction ».

La procédure secrète aux mains du seul juge d’instruction faisait, en effet, de plus en plus polémique.

Le Président propose de remplacer le secret de l’instruction par un " réel secret de l’enquête " accompagné d’un renforcement de la " communication du parquet "

Cependant, si le secret de l’enquête (qui viendrait remplacer le secret de l’instruction) vise également la presse, ce serait la fin définitive de toutes les affaires sensibles qui peuvent mettre en cause le pouvoir.