Bondamanjak

Un journaliste à 24 000 euros ?


la vérité est un piment. Proverbe wolof…

 

La vérité sur le Canard, un nouveau livre publié aujourd’hui même par les éditions Stock, et promis à un beau succès, nous en apprend de belles (pages 41-54) sur les pratiques du délégué interministériel à l’inégalité, Patrick Karam, la honte de la communauté libanaise de Guadeloupe.

 

Ce sont deux journalistes au-dessus de tout soupçon et réputés pour leur sérieux – Karl Laské (Libération) et Laurent Valdiguié (Paris-Match) – qui se sont associés  pour révéler dans ce livre un fameux pot aux roses. Karam, sûr de son impunité, ne pensait sans doute pas tomber si vite et finir dans l’égout avec son nouvel ami journaliste.

 

Souvenez-vous : en 1999, paraissait un livre  d’Alain Guédé intitulé "Monsieur de Saint-George, Le Nègre des Lumières". Ce livre, pourtant de très médiocre facture et un tantinet raciste, fut présenté comme une biographie très sérieuse ayant demandé beaucoup de travail et de recherches. Elle ne pouvait être que véridique puisque écrite par un journaliste au Canard Enchaîné.

 

En quelques mois, Alain Guédé, utilisant ses réseaux et pas seulement ses réseaux de journaliste, réussissait à faire de ce livre un succès commercial, notamment aux Antilles. L’ « œuvre » fut même traduite aux USA. Une édition de poche fut publiée en France pour confirmer le triomphe.

 

La presse s’extasia. Guédé avait révélé Saint-George dont personne n’avait, paraît-il, jamais parlé avant lui. Les Antillais étaient de fieffés imbéciles incapables de reconnaître leurs grands hommes. Heureusement, il y avait le bon Guédé. Le journaliste, promu, grâce à de telles contrevérités, rédacteur en chef-adjoint, monta une association, Le concert de Monsieur de Saint-George, dont il était le « conseiller historique ».  Il multiplia les conférences et les concerts en association avec Les archets de Paris, un ensemble très médiocre formé par un violoniste raté qui donne des concerts aux chandelles pour touristes à la Sainte Chapelle. A la fin de chaque concert, de chaque conférence, il y avait une signature de livres. Et par ici la monnaie !

 

Bien mieux, Guédé fit enregistrer un extrait d’une interprétation de Saint-George par Les Archets de Paris pour servir de musique d’attente lorsqu’on appelle le ministère de l’Outre-mer. Une voix engageante (sans accent antillais, on s’en doute) annonçait il y a peu de temps encore : « Vous entendez une musique de Monsieur de Saint-George, dit le Nègre des lumières ». 

 

Saint-George n’a jamais été appelé « Nègre des Lumières » que dans le titre du livre d’Alain Guédé. Qu’importe ! Cette promotion officielle et gratuite dura plusieurs années. L’argent coulait à flots pour l’association. La ville de Paris, le conseil régional de la Guadeloupe ont beaucoup donné. Guédé se faisait inviter partout, même au Sénégal, puisque la mère de Saint-George était, paraît-il, sénégalaise…

 

Jusqu’à ce que l’historien Claude Ribbe, qui, manque de chance, travaillait depuis vingt cinq ans sur Saint-George, révèle en 2001 dans un article du Figaro que Guédé était un imposteur. Le journaliste soutient en effet que Saint-George serait le fils d’un certain Boullongne. C’est faux ! Son père est George de Bologne de Saint-George. Il prétend que sa mère, Nanon, serait née au Sénégal. C’est faux ! Elle est née en Guadeloupe au Lamentin. Il soutient que Saint-George serait né en 1739. C’est faux ! Il est né en 1745. Il dit que Saint-George était républicain. C’est faux ! Il était royaliste. Il déclare qu’il aurait habité à Paris 46 rue du Bac. Encore un mensonge. Ces exemples ne sont qu’un échantillon.  Tout y est faux, faux, archifaux ! Le livre d’Alain Guédé n’est qu’un attrape-nigauds pour rouler les Antillais dans la farine en leur volant leur histoire.

 

Claude Ribbe a eu beau produire les documents conservés aux archives de Bordeaux et d’Angoulême, publier une biographie pour rétablir la vérité, suivie de celle de Pierre Bardin et de Gabriel Banat, qui confirment ses recherches, motus dans la presse. Guédé veillait au grain, appelant les journalistes, se faisant inviter à la place de ceux qui rétablissaient la vérité, les insultant, les calomniant.

 

En 2004, lorsqu’il apprit que Claude Ribbe écrivait un spectacle pour Bartabas à Versailles, Guédé, fou de colère et de jalousie, réussit à faire jouer ses « réseaux » pour obtenir un rendez-vous avec Bartabas et exiger sous la menace que ce soit lui et non Claude Ribbe qui signe le livret. Lorsqu’il fut éconduit par Bartabas, Guédé menaça encore. Il y eut pourtant 50 000 spectateurs et la presse fut unanime. Bartabas obtint la Légion d’honneur pour ce spectacle.

 

Guédé alla beaucoup plus loin. Il s’appropria carrément l’œuvre de Saint-George, photocopiant les partitions à la bibliothèque nationale et les republiant ensuite à son compte avec quelques modifications sous une classification Guédé. G 01, G02 etc. Par ici les droits d’auteur ! Pour jouer Saint-George, les naïfs étaient obliger de payer… Tant pis s’il y avait des erreurs grossières dans la manière dont les partitions étaient recopiées.

 

Mais le plus extraordinaire, c’est que Karam choisit justement Guédé pour organiser la grotesque cérémonie du 10 mai 2008 où le pauvre Saint-George, massacré par Les Archets de Paris, fut diffusé dans une sono pourrie, comme s’il s’agissait d’une zouk-party à Sarcelles organisée par le Cromvo. Entre une biographie mensongère écrite par un métropolitain et un travail historique de longue haleine émanant d’un Guadeloupéen, dont il s’était servi pour être là où il était, le délégué interministériel chargé, paraît-il, de lutter contre les inégalités visant les Français originaires d’outre mer ne pouvait hésiter un instant.

 

Il monta Guédé sur un piédestal, croyant que Claude Ribbe, sur lequel il avait fixé une haine obsessionnelle, ne se remettrait jamais de cette injustice manifeste. Karam n’hésita pas à prendre le Président de la République en otage, à le faire poser avec Guédé, à lui faire cautionner une « exposition » où le journaliste propageait ses mensonges sur Saint-George.

 

Et on découvrit le 11 mai 2008 à la une du Parisien un Guédé très content de lui aux côtés de Karam et de Nicolas Sarkozy, qui ne se doutait peut-être pas de la galère dans laquelle il s’était embarqué en abandonnant, pour avoir la paix, l’organisation du 10 mai à un personnage aussi louche. Karam s’empressa de rémunérer Guédé en lui faisant octroyer dès juillet une subvention de 24 000 euros,  prélevés sur le maigre budget culturel du ministère de l’outre mer.

 

Pour appuyer cette demande, présentée en urgence au nom bien entendu de l’association Le concert de Monsieur de Saint-George, sous couvert d’un opéra bidon joué pour les gogos à la salle des fêtes de Chaville, Karam qui exigeait 35 000 euros, eut la bêtise d’expliquer par écrit sur un papier à en-tête de sa délégation qu’il ne s’agissait pas du tout de donner de l’argent à cette association mais bien de rémunérer Guédé pour sa prestation du 10 mai, le pauvre n’en ayant tiré « aucun bénéfice ». Qu’en penserait la cour des comptes ?  

 

Les enquêteurs de La vérité sur le Canard en tirent des conclusions beaucoup plus gênantes encore. On espère que les responsables du journal satirique, après une pareille embrouille, vont se séparer immédiatement de l’indésirable. C’est à présent au Président de la République de démontrer, en limogeant l’Obama libanais, qu’il n’est pour rien dans cette histoire montée de toutes pièces par l’apprenti sorcier de la rue Oudinot qui espérait sans doute que Le Canard ne parlerait jamais ses propres turpitudes.

 

Charles Dagnet.