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VICTORIN LUREL N’A PAS SA LANGUE DANS SA POCHE

Il est de notoriété publique que le député socialiste Victorin Lurel n'a pas sa langue régionale dans sa poche. Adepte du palindrome "awa",  ce qui est  dans l'univers  guadeloupéen un non plus que catégorique, le sieur est monté au créneau à l'assemblée nationale ek pawol tonbé kon boukit an goj a maléré.

Discours prononcé par Victorin Lurel  lors du débat sur les langues régionales

Paris, le 7 mai 2008,

Madame la ministre,

Mes chers collègues,

Je me réjouis des propos de celles et ceux qui m’ont précédé à la tribune et c’est avec émotion que je m’exprime à mon tour, quelques jours après les funérailles nationales du poète Aimé Césaire.

Ce chantre humaniste de la négritude, cet inlassable défenseur de l’identité nègre et martiniquaise, qui aimait lui-même à se définir comme un « homme de synthèse, de liaisons et de terminaisons », cet amoureux de la langue française qui sut conjuguer, dans son œuvre comme dans sa vie, universalité et « diversalité » – comme on dit en Caraïbe – n’eût pas manqué de nous exhorter ici même, avec sa verve incandescente et ses fulgurances essentielles, à ne pas laisser dépérir, voire mourir, des pans entiers de notre patrimoine linguistique national. Et, si j'invoque son ombre tutélaire, c’est que, lors de ce débat sur un élément important de notre identité, il eût assurément tenté de nous convaincre d’abandonner sans crainte l'idéologie linguistique d'écrasement, d'humiliation, d'abâtardissement des langues autres que le français, de cannibalisme langagier, de glottophagie recommencée.

Mes chers collègues, ce débat répond à la demande récurrente de générations de parlementaires qui s'entêtent à croire qu'en relayant l’ambition de défense des langues régionales, ils ne sombrent pas dans l'irrédentisme ni ne rejoignent l'anti-France. Non, en demandant avec obstination, depuis le décret Lakanal du 27 Brumaire an III, depuis le fameux article 11 de la déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, l'officialité, la co-officialité ou la quasi-officialité pour nos idiomes régionaux, nous ne défaisons pas la France, nous ne portons pas atteinte à l'unité ou à l’indivisibilité nationale !

Ainsi, la proposition de loi constitutionnelle cosignée par 203 députés du groupe socialiste et visant à libérer nos autres langues de France de la clandestinité, à les protéger et à leur accorder un statut constitutionnel, constitue la quatre-vingt-cinquième tentative depuis 1958 pour vaincre l'indifférence des gouvernants et des majorités parlementaires, pour surmonter la frayeur quasi métaphysique qui s’empare d’eux dès lors qu'il s'agit de toucher au monolinguisme. Cette fois, j'ai cru comprendre qu’un grand nombre de députés de droite seraient prêts à voter pour la reconnaissance, le respect et la promotion des langues régionales ; une majorité pourrait donc être réunie pour adopter cette réforme.

Madame la ministre, je vous exhorte à l'audace. Exorcisez enfin cette malédiction qui nous a toujours conduits à renoncer de peur d’ouvrir la boîte de Pandore ou de jouer l’apprenti sorcier déchaînant des forces qui échappent ensuite à sa maîtrise !

Aujourd'hui, les juristes le savent, toutes les conditions sont réunies pour donner un statut constitutionnel à nos langues sans porter atteinte à l'égalité des citoyens, à l'unité nationale et à l'indivisibilité de la République. On ne peut plus penser, comme le faisait le président Jacques Chirac, qu’il est parfaitement possible de reconnaître aux langues régionales leur place dans notre patrimoine culturel sans modifier la Constitution. Les lois Deixonne de 1951, Haby de 1975, Jospin de 1989 et Toubon de 1994 ne suffisent plus à garantir leur respect et leur développement. Pire, l’alinéa premier de l’article 2 de la Constitution – « la langue de la République est le français » – élaboré pour résister à la colonisation par l'anglais ne protège pas vraiment notre langue de cette redoutable concurrence, ainsi que le démontrent les décisions du Conseil Constitutionnel MURCEF, du 6 décembre 2001, et l’Accord de Londres relatif aux brevets européens du 28 septembre 2006. En revanche, cet article est devenu un verrou très efficace contre les langues régionales. À l'instar de ce qui est advenu de l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, destinée à l'origine à s'opposer à l'emploi du latin dans les domaines juridique et commercial, il se retourne contre les langues régionales et devient un formidable instrument de discrimination envers les langues de France autres que le français.

En vérité, tant que les langues régionales ne seront reconnues qu'au rang législatif et qu'elles n’auront pas droit de cité dans la Constitution, elles garderont leur indignité. Pourtant, la République a connu, sans drame, deux régimes de plurilinguisme, en Polynésie (de 1980 à 1995) et en Calédonie, où les vingt-huit langues canaques jouissent d'une protection constitutionnelle sans inconvénient pour l'unité de la République.

J’aimerais vous donner une raison supplémentaire de mieux promouvoir nos langues et de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires : cette revendication doit être admise sur la base des droits fondamentaux, le droit à la langue reconnu à chacun comme élément d'identité. C'est une autre version de l'individualisme possessif. Ce droit n'est pas reconnu à des minorités mais bien à des locuteurs. La France ne saurait continuer à traiter ses langues régionales de façon pire que la Turquie et refuser à ses citoyens d'utiliser, en public et en privé, la langue de leur terroir ou de leur choix. Enfin, il ne vous aura pas échappé que la France joue sa crédibilité internationale : elle ne peut décemment exiger à l'OMC et à l'UNESCO la reconnaissance de la diversité et la refuser chez elle.

Réhabiliter le plurilinguisme national ne revient en rien à un quelconque babélisme : c’est tout au contraire faire acte de tolérance et de progressisme. Nous attendons donc la modification de l’article 2 de la Constitution, ainsi qu’une loi pour la promotion des langues et cultures régionales de France. De l’audace, encore de l’audace !