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« Il y a bien une catégorie sociale qui, en outre-mer, a continué à profiter du statu quo »


Ancien conseiller spécial du ministre délégué aux outre-mer, Max Dubois demande, dans une tribune au « Monde » , au président de la République d’agir pour en finir avec la position dominante dont jouissent certains grands groupes dans ces départements.

« Je ne suis pas le Père Noël parce que les Guyanais ne sont pas des enfants ! » C’est par ces mots qu’Emmanuel Macron apostrophait les Guyanais et, au-delà, l’ensemble des Français d’outre-mer lors de sa venue à Cayenne, le 26 octobre 2017. A la faveur des élections européennes et à l’aube d’un probable raz-de-marée du Rassemblement national, le président de la République y a fait de nouveau escale, les 25 et 26 mars.

Certes, Emmanuel Macron n’a pas été le Père Noël. Pas plus pour les Guyanais que pour les autres citoyens français d’outre-mer. Quoique, en y regardant de plus près, il y a bien une catégorie sociale qui, dans ces territoires, a continué à profiter du statu quo.

Conseiller spécial du ministre délégué aux outre-mer, Jean-François Carenco, j’ai pu mesurer l’étendue des privilèges dont bénéficiaient certains oligopoles, captant l’essentiel de l’argent public national et européen réservé aux territoires océaniques.

Accroissement des inégalités, enracinement de la pauvreté

A titre d’exemple, les 328 millions d’euros du Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (Posei) ? dont 39 % sont reversés à la seule filière banane, elle-même dominée par une dizaine d’acteurs, selon l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer (Odeadom). Alors que, dans le même temps, toujours d’après l’Odeadom : « La tendance générale observée aux Antilles est (…) une disparition progressive des petits planteurs. » En parallèle s’accroissaient les inégalités, les fortunes déjà colossales s’agrandissaient encore, la pauvreté s’enracinait.

Le rachat, en mai 2020, de Vindémia, filiale de Casino à La Réunion, par le Groupe Bernard Hayot (GBH), vient illustrer cette tendance. Une étude réalisée pour le compte de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus dénonçait, en octobre 2022, « la forte concentration du marché », qui résultait de ce rachat, et considérait que la situation était « préjudiciable aux intérêts des consommateurs ». Cette même étude constatait l’installation, à La Réunion, d’un « duopole », formé par GBH et Leclerc.

Une cherté insupportable de la vie

Les très nombreux échanges que j’ai eus depuis sept ans avec Emmanuel Macron m’ont forgé deux convictions le concernant : le président connaît parfaitement toutes les réalités des outre-mer, du social au politique, de l’économique au sociétal, donc toutes les subtilités, d’un territoire à l’autre. On ne peut suspecter de la moindre mauvaise intention à l’égard d’un citoyen, fût-il son plus farouche opposant.

Pour autant les problèmes persistent : la cherté insupportable de la vie – des prix alimentaires plus élevés de 19 % à 38 % dans l’outre-mer que dans l’Hexagone, comme évoqué dans le rapport de 2019 de l’Autorité de la concurrence, l’insécurité, le scandale du chlordécone, la production locale privée de ressources financières, la filière pêche qui agonise, le chômage endémique, l’accès à l’eau, en un mot les vrais sujets de préoccupation au quotidien de nos concitoyens.

Pas moins de sept ministres en titre ou délégués ont été nommés en sept ans. Dans quel état seraient les finances publiques si nous en étions au septième ministre de l’économie dans le même temps ? Au demeurant, les affaires continuent à bien tourner, à très bien tourner pour les grands groupes, et s’organisent pour capter l’argent public. La distribution de cette manne financière est en très grande partie la cause des inégalités.

Des acteurs économiques en situation de monopole

Nous sommes de facto dans une « économie de rente », selon le professeur de droit public Ferdinand Mélin-Soucramanien, cité par le Rapport de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales, rendu public en juillet 2023. Le juriste y voyait la perpétuation d’un « pacte colonial » avec « une mise en valeur fondée sur les cultures de rente pour l’exportation (canne à sucre, banane, café…) ».

Ce rapport est venu ajouter à un constat déjà abondamment fait. Ses 438 pages constituent un réquisitoire implacable contre les carences de l’Etat. Il ne faut pas être grand clerc pour imaginer que ce énième rapport, comme les autres, servira à caler les armoires fatiguées des institutions concernées…

Au regard des généreux profits annuels engrangés par les acteurs économiques les plus puissants et en situation, pour certains, de monopole. C’est ce qu’affirmait notamment Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair, le 11 mai 2023, lorsqu’il fut auditionné par la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, « des monopoles comme celui de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) aux Antilles, par exemple, qui me paraît un abus clair et manifeste de position dominante ».

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