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Île de La #Réunion : la facture cachée de la Nouvelle Route du Littoral (#NRL)

Par Bruny PAYET.

Avec l’annulation des arrêtés préfectoraux : une route sur terre et pas en mer

De grandes réalisations, emblématiques du génie de l’humanité, sont nombreuses à baliser l’histoire des civilisations de par le monde :

• Pont du Gard, aqueducs romains, monuments du patrimoine mondial de l’UNESCO
• Canaux et réseaux d’irrigation antiques voire préhistoriques
• Canal de Suez (1859-69) et canal de Panama (1880-1914)
• Voies et ponts romains
• Muraille de Chine
• Pyramides
• Acropole
• …
Leur préservation est indispensable pour les générations futures et requiert le concours d’instances internationales pour leur gestion, les travaux d’entretien ou de restauration.

Trois siècles et demi d’histoire ont parsemé l’île d’ouvrages d’art qui enrichissent aussi le patrimoine réunionnais :

• Chemin Crémont (dit chemin des Anglais) *
• Pont suspendu de la rivière de l’Est – en cours d’inscription *
• Aqueduc du Gol à St-Louis *
• Les vestiges du CPR de St-Denis à La Possession *
• Viaduc du CPR à St-Leu
• …
*inscrit dorénavant à l’inventaire des monuments historiques depuis le 14 mars 2014

Mais si la conservation de ces ouvrages, témoins de notre histoire, reste encore à l’échelle des moyens de notre modeste société insulaire, elle requiert quand même l’aide de l’État comme le réclame la commune de Sainte-Rose. De tels travaux sont toutefois facilités car situés sur terre. En revanche en mer il en est autrement. Et cela sera imposé aux générations futures pour la NRL.

Si l’ouvrage ambitieux qu’est la NRL illustre bien sûr le génie français du BTP, on peut légitimement se demander s’il n’est pas aussi trop ambitieux pour nous : comment en effet justifier le recours aux financements nationaux et européens à hauteur de 60%, pour recourir au savoir-faire européen « offshore » ? Une telle construction pose indéniablement de nombreux défis, non seulement par sa taille mais par son implantation en mer dans un sous-sol sédimentaire instable, volcanique et dans un environnement tropical et cyclonique.
Le coût d’entretien de la NRL est provisionné d’ores et déjà à 3 M€/an. On peut craindre l’optimisme excessif des promoteurs du projet dans cette estimation quand l’exploitation actuelle de la route littorale est de 5 M€/an après 40 ans. Car bien sûr, comme un jeune homme coûte moins cher qu’un vieillard à la Sécurité sociale, un jeune pont n’accuse pas encore non plus le poids des années. Pourrons-nous vraiment faire face demain au coût d’exploitation d’une route beaucoup plus imposante et davantage exposée aux agressions marines que l’actuelle route littorale?
Que reste-t-il du Colosse de Rhodes et du Phare d’Alexandrie détruits en mer par des séismes sinon les fouilles d’archéologie sous-marine ? Plus récemment, Venise sera-t-elle sauvée de la montée des eaux par la mobilisation des nations ? On peut comprendre l’acharnement mis à soustraire de l’océan nos plus belles merveilles. Y a-t-il la moindre chance que la NRL entre un jour dans cette catégorie ?

Or, en autorisant l’occupation temporaire du domaine public maritime le préfet a donné quittance à la Région de tout engagement de déconstruction en fin d’usage de la NRL : la route sera remise en l’état à la Nation. Pour sa défense, la Région invoque dans son dossier, son ignorance des moyens de déconstruction qui existeront plus tard, moyens plus sophistiqués qu’elle appelle de ses vœux !
Cette route n’échappera pourtant pas au destin de tous les ouvrages d’art : nous le savons, leur abandon en fin d’usage et faute d’entretien, signe leur ruine. C’est le destin des tronçons de route délaissés par les redressements successifs de voirie dans l’île. Si cela ne pose que peu de problème sur terre, leur restauration, entretien et sécurisation s’imposent dès lors qu’ils enjambent vallée ou rivière comme le vieux pont suspendu de la rivière de l’Est ouvert en 1893. Il fut apprécié lui aussi comme une merveille technique autrefois avec sa portée de 150 m. Mais bien que d’une valeur actuelle modeste de 381 000 € (JIR du 07/04/14), l’ouvrage moins impressionnant aujourd’hui, apparaît comme un héritage à la fois noble et onéreux. Car une fois déclassé en 1992, la commune de Ste-Rose s’est trouvée incapable de subvenir seule à son entretien. Elle vient seulement d’obtenir l’aide de l’État par l’inscription du pont à l’inventaire des monuments historiques avec d’autres ouvrages d’art laissés ici trop longtemps à l’abandon.

C’est cela que le législateur veut éviter en mer, en rendant la concession d’occupation du DPM tributaire de travaux de remise en état des lieux en fin d’exploitation mais aussi en se donnant la possibilité de ne pas renouveler la concession au bout de trente ans. En ne prévoyant pas leur fin de vie, nos ouvrages « majestueux » en mer peuvent se révéler insupportables pour les générations futures comme cela se vérifie déjà sur terre avec la déconstruction des centrales nucléaires, tardivement envisagée et planifiée.
http://energie.edf.com/nucleaire/deconstruction/financement-45732.html
Aujourd’hui, « EDF constitue des provisions dans ses comptes et garantit celles-ci sur des fonds dédiés sécurisés, afin de disposer le moment venu des sommes nécessaires au financement de la déconstruction de ses centrales nucléaires.(…)
L’estimation des coûts de déconstruction des 58 réacteurs actuellement en service en France, (initialement réalisée par la commission Péon en 1979), a été confirmée par des études réalisées en 1999 et mise à jour en 2009 sur la base du cas du site de Dampierre. Cette estimation a d’ailleurs été confirmée par la Cour des comptes en 2004. Ce coût est pris en compte dans le prix de vente du kWh fourni au client. Ainsi, la provision correspondante est aujourd’hui de 9,7 milliards d’euros en valeur actualisée. »
Or les Échos nous rapportent que ce coût est largement contesté et réévalué à plus de 40 Mds !
http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/energies-environnement/energies-classiques/221137475/vrais-comptes-et-mecomptes-cou

Puisqu’on ne peut abandonner en mer, à leur ruine, les digues et viaducs de la NRL, quel sera leur coût de déconstruction ? Sa provision annuelle sur trente ans alourdira bien évidemment le total de l’opération et l’effort budgétaire de la Région. Serait-ce pour cela que la Région a éludé le principe du « pollueur-payeur » qui s’impose pourtant aujourd’hui à tous ? Pense-t-elle dispenser sa personne publique de cet acte civique exigible selon elle des seuls éco-citoyens et personnes privées ?
Or, pendant que le coût de l’opération continuera de croître avec les aléas de chantiers et les révisions de prix inévitables, nous pourrons de moins en moins compter sur la solidarité nationale ou sur notre adossement à l’Europe. Surtout pour seulement défaire demain l’encombrant ouvrage.
D’un côté, nul ne doit ignorer encore que la facture de la NRL sort déjà du plan de financement de 1,6 Md prévu par Matignon 2, pour près de 200 M€ (12,5% reconnu par la Région) et qu’elle continuera de s’en écarter comme le rappelle la Cour régionale des comptes en avançant prudemment un dérapage moyen de 20,7% (statistique danoise de 2006) :

1. Échangeur de la Grande Chaloupe + piste cyclable pour 69 M€ consécutifs aux observations de l’enquête publique préalable à la DUP (soit une augmentation de plus de 10% de la part régionale avant tout début des travaux)
2. Matériaux en quantité et nature insuffisants et carrières non déterminées (Schéma départemental des carrières en révision) pousseront les prix à la hausse
3. Montant des révisions de prix non anticipé au budget régional pour plus de 400 M€
4. Montant estimé des travaux supplémentaires non provisionnés au budget régional : la promesse de vigilance du président y pourvoirait par la « surveillance ferme » ( !) des entreprises.
Et de l’autre côté, l’État et la Communauté européenne ne pourront sans doute plus longtemps compenser nos insuffisances quand leurs efforts budgétaires se réorientent vers la maîtrise des déficits et des dépenses publiques et vers un soutien géopolitique plutôt à l’Est européen.

1. Les années fastes de la départementalisation sont finies : Région et Département fusionneront tandis que l’État réduit les dotations aux collectivités pour contribuer à l’économie de 50 Mds d’€.
2. L’économie cannière portée par 20 000 familles est confrontée à la perspective de la suppression des quotas à prix garantis en 2017 qui diminuera nos ressources
3. Les recettes fiscales de l’octroi de mer sont contestées par l’Europe tandis que celles de la TIPP diminueront avec la baisse de la consommation du pétrole et un euro que tous les argentiers disent encore longtemps surévalué face au dollar.
4. Les accords de partenariat économique APE risquent enfin, en l’état, de faire de La Réunion le débouché des produits voisins en guise d’intégration économique régionale.
Le recours à l’endettement de la Région avec un prêt de 622 M€ sur 40 ans couvrant 93% de sa part officielle de 669 M€ sur 1 600 M€ (déjà dépassé) démontre bien la difficulté de la collectivité à mobiliser ses fonds propres ! Un effort de remboursement annuel de 50 M€ a été avancé au Parlement. Avec le renforcement de la décentralisation et le désengagement de l’État, le contribuable régional et les usagers de la route seront les derniers recours.
Les conseillers régionaux doivent transcender leurs partis pris et débattre d’urgence de l’effort qui sera demandé alors aux Réunionnais si d’aventure le coût de déconstruction de la NRL s’imposait au terme de la concession. Son étalement sur les 30 prochaines années doit être publiquement débattu car il s’ajoutera au remboursement de 50 M€/an à la Caisse des Dépôts sur 4 décennies et aux dérapages attendus de plus de 20% supérieur à 400 M€ de révision auxquels s’ajouteront les inévitables travaux supplémentaires et la part du coût à prévoir de l’entrée ouest de St-Denis de 480 M€.

Un tel débat rejoindrait le conseil de la CRC qui alerte la collectivité de la faible marge de manœuvre dont elle s’est dotée pour faire face aux investissements imprévus.

L’annulation des arrêtés LSE et DPM ouvrirait la voie à cette mise à plat de plus en plus réclamée.

Madame la ministre de l’Outre-mer, engagée par son prédécesseur sur la promesse de la Région Réunion d’une route en mer « sécurisée, moderne et gratuite», a conclu dans sa réponse au député Thierry Robert qu’un « retour en arrière ne lui semblait pas possible »…
Sans doute qu’à la lumière d’une présentation orientée du lancement des trois premiers chantiers, Madame la ministre n’a pu que douter d’un infléchissement encore possible. Elle nous a invités manifestement à une résignation défaitiste devant la persistance d’erreurs historiques répétées depuis le gouverneur Vauboulon.

Pour le Bureau
Le président, Bruny PAYET