Bondamanjak

Et si la langue créole n’avait pas livré tous ses secrets ?

Alors que nous pensions tout savoir de la langue dite créole, voilà que l’ouvrage, « Woucikam, origine égyptienne de la langue dite créole, décryptage hiéroglyphique de nos us et coutumes », tome 1, vient bousculer nos certitudes. L’auteur, Jean Luc Divialle expose en 552 pages, une somme d’éléments propres à démontrer que notre langue a une origine bien plus ancienne que nous le pensions. Selon lui, elle se situerait dans la vallée du Nil au moyen empire de l’époque pharaonique. Vendredi 5 octobre dernier, l’auteur était à la bibliothèque Ancelot Bélaire de Pointe Noire en Guadeloupe, pour une conférence particulièrement suivie. Nous l’avons rencontré.

Comment avez-vous découvert le lien de parenté entre l’égyptien ancien et le créole ?

Cela vous surprendra, mais la parenté génétique entre la grammaire de l’égyptien pharaonique du moyen empire et celle de la langue dite créole fut une découverte accidentelle. Je tentais alors une étude comparative entre deux langues qui n’avaient pas subi l’influence des langues européennes, à savoir l’égyptien pharaonique et la langue des kalinagos recueillie par Raymond Breton. Je souhaitais vérifier l’existence possible de lois de correspondance morphologiques entre les deux. C’est alors que je suis tombé sur des formes grammaticales du kalinago que je pensais avoir déjà croisé ailleurs. Effectivement, celles-ci ressemblaient étrangement à celles de la langue wolof. C’est dans l’ouvrage « Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro africaines » du Professeur Cheikh Anta Diop que je les avais rencontrées pour la première fois. A cette époque, la notion de langue à classe m’avait rebuté. J’avais donc fait l’impasse sur la grammaire et ne m’était intéressé qu’au vocabulaire décrit en fin d’ouvrage. Mais cette fois, je n’avais plus le choix. Je me voyais presque contraint de consacrer du temps à l’étude de cette grammaire en lien avec celle de l’Égyptien ancien. Je suis alors tombé des nues. Voilà qu’à l’aide des lois de correspondances morphologiques que j’avais précédemment identifié, l’ensemble de la grammaire Woucikam, se dévoilait sous mes yeux. Une grammaire commune à toutes les formes de langue dite créole parlées dans les anciennes possessions françaises d’exploitation sucrières. Je comprenais alors que le phénomène de différenciations de ces formes de langue, était dû au fait que notre langue avait conservé bon nombre de caractéristiques des langues à classes. Elle ne pouvait donc être d’origine française.

Pourquoi il y a-t-il autant de formes de « créole » parlés dans le monde ?

Le processus qui a conduit à toutes ces formes repose sur un trait majeur des langues bantoues, à savoir, la permutation régulière de la consonne préfixe sans perte de sens. Que je dise : sa ou fè « comment vas-tu » en Martinique ou, ka ou fè « comment vas-tu » en Guadeloupe, le sens est préservé. Que je dise : an za manjé « j’ai déjà mangé » en Martinique, an da manjé « j’ai déjà mangé » à Marie-Galante ou, an ja manjé « j’ai déjà mangé » en Guadeloupe, le sens est tout aussi préservé. Or, une langue est dite à classe quand elle possède un nombre variable de consonnes pouvant se substituer chacune au «p» du démonstratif pw (pou) « ce », « ceci », « cela » de l’égyptien ancien. A titre d’exemple, la langue wolof compte huit consonnes substituables : b, m, s, w, k, g, d, j. A partir du pw (pou) de l’égyptien ancien, le wolof produit (bou, mou, sou, wou, kou, gou, dou, jou). L’existence de ce « pou » dans notre langue constitue déjà un premier indice qui atteste de la parenté génétique entre les deux langues. La langue dite créole use elle aussi des démonstratifs de l’égyptien ancien. Parmi eux, nous pouvons citer pw (pou) « ce », « ceci », « cela », p3 (pa) « ce », « cette », « celle » et t3 (ta) « cette », « celle-ci », « celle-là ».Prenons le cas de p3 (pa) « ce », « cette », « celle ». Elle produit sur cette base (pa, ba, ta, la , sa). Exemple : pa-y « le sien », ba-y « pour lui », c’est à dire le sien, ta-y « le sien », la-y « le sien », « les siens », sa-y « le sien ». Nous n’en avons donc plus conscience, mais la langue dite créole a conservé les démonstratifs de l’égyptien ancien. Or, tout comme l’égyptien ancien, notre langue construit ses possessifs à l’aide de ses démonstratifs qui sont en réalité des démonstratifs égyptiens. Voilà pourquoi nous disons : pou mo « le mien » à #Maurice et en #Guyane, pa m « le mien » à #Haïti, tan mwen « le mien » en Guadeloupe, ta mwen « le mien » en #Martinique, sa mwen « le mien » à la #Dominique ou à Sainte-Lucie et -a mwen « le mien » à la Réunion où la consonne préfixe est tombée. La nature de langue à classe de l’égyptien ancien nous permet de comprendre qu’en réalité, toutes les formes de langue dite créole que nous observons ne sont que des portions d’une langue unique. Elles dérivent chacune des différents démonstratifs de leur ancêtre égyptien. Or, si cette dernière est perçue comme une langue unique, il devrait en être de même de la nôtre.
Voilà pourquoi j’use du terme woucikam. Il désigne cette nouvelle langue africaine qui s’est révélée à l’occident entre le 16è et le 19è siècle du fait de la traite européenne et qui s’est vue contrainte d’intégrer un lexique français.
C’est une erreur de penser que notre langue est d’origine française. Cela reviendrait à dire que nos ancêtres étaient des coquilles vides, dépouillés de tout langage à qui les esclavagistes ont appris à parler. C’est tout au contraire les européens qui ont étés dans l’obligation de parler une langue africaine qui au fil du temps s’est vu contrainte d’intégrer un lexique français. Woucikam est donc un terme technique qui se veut plus juste quant à la nature de notre langue qui de toute évidence n’est pas créole.

Vous réfutez l’origine française de la langue en dépit de l’abondance des mots français qu’elle renferme ?

Je réfute totalement cette thèse. Voyez-vous, chaque génération travaille avec les outils de son temps. Il n’est pas sûr que mes prédécesseurs auraient adhéré à la thèse d’une origine française de la langue dite créole s’ils avaient eu, en leur temps, la chance d’étudier l’égyptien ancien.
Aujourd’hui, on s’aperçoit que ce n’est pas l’abondance de mots français dans une langue qui en détermine l’origine.
C’est la sémantaxe, c’est-à-dire la vision qu’un peuple se fait du monde et qui détermine la construction de son vocabulaire.
Celle-ci constitue un vrai paradigme. En communication il est enseigné que tout individu exposé à un message nouveau adopte une de ces trois attitudes. Soit il le rejette, soit il y adhère, soit il le modifie de façon à le rendre compatible à son entendement. C’est exactement cette dernière attitude que nos ancêtres ont adoptée. Au cours de notre histoire, nous avons eu tendance à conformer les mots du français à notre réalité. Nous avons traduit nos concepts anciens avec les mots issus de cette langue. Il suffit de comparer les relations d’homonymie, ou d’homophonie qui existent dans les langues africaines modernes avec les mots et expressions nées de la rencontre avec le français pour le comprendre. Le registre de la pilosité est homonyme de celui du chagrin, des larmes en égyptien ancien. C’est la raison pour laquelle gwo pwèl « gros poil » devient l’expression du chagrin d’amour. Le lien qui unit les registres du pain, de la femme, de l’épouse, du milieu, du cœur, du centre expliquent l’expression « fanm potomitan », et le fait que les femmes soient désignées par les mots « pain », « gaz », « brèz » ou encore « choux » qui n’est qu’un pain sucré. C’est tout simplement extraordinaire !
Alors que nous avons perdu tout contact avec l’égyptien ancien. Alors que nous ne maîtrisons plus les langues africaines telles que parlées entre le 16è et le 19è siècle, voilà que notre sémantaxe nous commande encore de reproduire ces mêmes associations, dans une langue pour nous nouvelle, le français. Mais ce phénomène est le même à Cuba, à Trinidad, à Sainte-Lucie, à Curaçao au Pérou ou aux États Unis. Au-delà de la langue du colonisateur, nous partageons cette même sémantaxe. Nous pouvons dire : mété po aw byen « reste tranquille » à un enfant turbulent. La mère dominiquaise dira : put your skin right « reste tranquille ». Ceci est parfaitement normal puisque dans notre pensée symbolique, la paix repose sur la stabilité de la peau ou du corps. Ces associations ne proviennent donc pas du français. Plus extraordinaire, la graine est chez nous une unité de mesure. En Haïti on dit : on grenn sigarèt (une graine de cigarette) « une cigarette ». En Guadeloupe on peut dire : on grenn wonm (une graine de rhum) « un coup de rhum ». Or, il y a trois façons d’inviter quelqu’un à boire un coup. Nous pouvons lui dire : ou pa’a pran on bèt ? « tu bois un coup » . Nous pouvons également dire : ou pa’a pran on grenn ? « tu bois un coup » mais aussi : ou pa’a pran on lagout « tu bois un coup ». Quel est le point commun entre bèt, grenn et lagout ? La goutte, est une graine d’eau. La graine, est bien évidemment une graine. Mais chose extraordinaire, « bèt » c’est tout simplement le nom de la graine en égyptien ancien. Il a survécu chez nous malgré les 4500 ans qui nous séparent du moyen empire pharaonique. Le temps passe, le vocabulaire évolue, mais le concept ancestral qui fait de la graine une unité de mesure survit par mutations successives. Voilà pourquoi, à bien regarder, le concept de créolité est un mythe. Il ne consiste qu’à traduire en français notre pensée symbolique africaine multimillénaire. Dans « Eau de café », Raphael Confiant parle de ce curé qui entre en érection pour avoir été trop excité. « Mon père fit une bande » écrit-il. Il utilise pour cela le terme bande « érection ». J’ai été surpris de retrouver bnn « entrer en érection » en égyptien ancien c’est exactement comme cela que cela se dit en woucikam : fè on bann « avoir une érection ». Attaqué aux dernières années de sa vie, Aimé Césaire avait déclaré aux initiateurs du mouvement de la créolité qu’il était réducteur par rapport à la négritude. « Remontez la source et vous trouverez l’Afrique » avait-il déclaré. Je crains qu’en ce domaine, l’histoire ne lui donne aujourd’hui raison.

Pouvez-vous citer un exemple qui démontre de façon indiscutable que le woucikam provient d’une source différente de la langue française ?

En toute certitude, notre pensée symbolique héritée d’une société matriarcale, n’est pas française, langue du patriarcat. Aussi surprenant que cela paraisse, certains éléments de notre sémantaxe ne se retrouvent plus sur le continent africain. Le seul endroit, à part nous où on les retrouve, c’est autrefois dans la vallée du Nil. Telles sont les conclusions du linguiste Jean-Claude Mboli, auteur de « Origine des langues africaines » aux éditions L’Harmattan, l’ouvrage le plus sérieux en la matière. Je crois qu’il a raison. Cela se voit à la structure de notre conjugaison qui est égyptienne et non française. En matière de conjugaison, l’égyptien ancien compte au singulier, une première personne i « je », une deuxième personne double, l’une féminine t « tu », l’autre masculine k « tu » et une troisième personne double, l’une féminine s « elle » et l’autre masculine f « il ». Mais il faut savoir que ces personnes « i », « t », « k », « s » et « f » ne sont que des conventions de l’égyptologie classique. Personne ne parlait ainsi en Égypte. Ce que j’ai découvert, c’est que ces termes correspondent plutôt à « mi », « mwené », « mw », « m » pour je, la première personne, « tw » pour tu, la deuxième personne féminine, « kw » pour tu, la deuxième personne masculine, « sw » pour elle, la troisième personne féminine, et enfin, « fi », « hi » ou « li » pour il, la troisième personne masculine. Or que constatons nous ? Le son « w » (ou) à tendance à se réaliser en « o », c’est-à-dire qu’avec le temps, le « ou » devient « o ».
Nous retrouvons bien l’ensemble de la série des pronoms personnels de la langue dite créole, toutes versions confondues qui sont « an », « man », « mi », « mwen », « mo », « m’ » pour je, la première personne, « to », « kou », « wou », « ou » pour tu, la deuxième personne et « so », « i », « li » pour il, elle, la troisième. Réalisons que quand nous disons « to », nous sommes censés nous adresser à une femme, et à un homme en disant « kw » (kou), « wou », « ou ». Notons que c’est à Haïti que la forme « kou » subsiste dans certaines expressions. Partout ailleurs, elle a disparu. Quant à la première personne du pluriel nw (nou) « nous », elle est restée telle qu’elle depuis des millénaires. Voilà une différence majeure avec la langue française que nous n’avions pas encore mis en exergue. Enfin, nous avons aujourd’hui l’assurance que le processus d’intégration du lexique français à notre langue est africain. Il répond aux caractéristiques des langues bantoues. La première lettre à disparaitre dans un mot français intégrant notre langue fut le « r ». Et pour cause, il n’existe pas de véritable « r » dans les langues bantoues. Pourquoi donc voudriez-vous que l’on roule une consonne qui ne nous est pas naturelle ? Ce seul fait linguistique aurait dû nous interpeller quant à l’origine de notre langue. En égyptien ancien, sa prononciation se situe entre le l et le n. Cette consonne décline donc dans notre langue en passant par plusieurs stades. On la retrouve sous la forme d’un « w », d’un « l » ou d’un « n ». Voilà pourquoi le mot « apprendre » devient apwann. Le « r » en position intervocalique devient « w » et celui en position finale, un « n ». Mais « w » et « n » ne sont que des formes transitoires de « r » en situation d’amuïssement total.
Cette consonne finit même par disparaître. Le mot awtis « artiste » en Guadeloupe est déjà devenu atis « artiste » en Haïti. Je rappelle que ces correspondances troublantes que nous évoquons ici sont tirées d’une langue qui existait il y a plus de 4500 ans, alors que ni l’accadien, ni le grec, ni le latin et encore moins le francien n’existaient en tant que langue. C’est déjà à cette époque que le préfixe de classe « ki- » symbolisé par une galette de pain se prononce tout à la fois « ki » ou « tchi ». Ce phénomène explique pourquoi en 2018, certains disent pouki « pourquoi » quand d’autres prononcent poutchi « pourquoi ». Cela ne s’est à coup sûr pas créé à notre époque. C’est à mon sens un phénomène bien plus ancien que l’avènement même de l’Égypte pharaonique. Comment parler en pareil cas d’une origine française de notre langue ? Cela n’est plus défendable. Cette conclusion explique pourquoi il existe chez nous un phénomène de duplication traduction. Nous avons tendance à user d’expressions qui associent deux termes de langues différentes qui, tel un effet miroir se traduisent l’un, l’autre. C’est le cas de « madou siwo », « ri krakrakra », « souflé foulouloup », « tonbé blip », « mangé tchiapou-tchiapou » « palé wanni wannan », « tousé kèhèk kèhèk». Il en résulte que bien souvent, ce que nous prenons pour de simples onomatopées sont d’authentiques verbes anciens de la période archaïque. Nous ne sommes donc pas dans le fantasme. Les preuves sont là, et elles sont suffisamment sérieuses pour permettre à tout un chacun de se prononcer désormais.

Vous dites que c’est l’égyptien ancien qui est responsable de certaines structures grammaticales que l’on observe dans la langue dite créole. Explication !

Il y a énormément d’éléments hérités de l’égyptien ancien. Dans notre parler quotidien, nous avons tendance à user des démonstratifs neutres singuliers pour mettre l’emphase, c’est-à-dire, renforcer le sens de notre démonstration, ce que le français s’interdit. Je peux ainsi dire : ce soir-là, et m’exprimer dans un parfait français. Or cette construction n’est pas naturelle chez nous. Nous aurons tendance à rajouter un démonstratif au démonstratif et dire : « ce soir là-ça ». Ceci ferait bondir n’importe quel professeur de lettres. Or c’est exactement ainsi que s’exprimaient nos ancêtres de la vallée du Nil. Ils usaient tout comme nous des démonstratifs neutres singuliers. Nous continuons à user de cette structure en français sous l’effet de notre pensée symbolique. Autre élément, l’égyptien ancien possède tout comme le woucikam ce que l’on appelle des formes nisbées. Ce sont des adjectifs qui marquent soit une relation soit une dépendance. La forme nisbée s’obtient en égyptien ancien par la suffixation à un substantif d’un morphème de dépendance. Ce morphème est le double « i » égyptien devenu notre « y ». Ainsi, de même que l’égyptien dit : hr « sous » et hry « qui soutien », « qui supporte », nous disons anba « sous » et anbay « qui est en dessous de lui », mais aussi asi « sur », asi-y « sur lui », douvan « devant », douvan-y « devant lui », ba « pour », ba-y « pour lui » sous-entendu le sien. Il n’existe pas, à ma connaissance de langue qui offre autant de correspondances grammaticales et lexicales avec le woucikam que l’égyptien ancien. Nous ne pouvons expliquer ni l’expression de la répétition, ni la négation d’une manière aussi claire. Quant à la conjugaison, c’est quasiment du copié collé. J’y ai même retrouvé l’expression de l’intentionnalité que l’on retrouve à Haïti. Quand Jean Michel Saint Victor, chanteur du groupe haïtien Skah Shah chante : nap pralé o zanana, il est loin de s’imaginer que cette forme verbale existe depuis l’égyptien ancien.

Ainsi donc, ce serait l’Égypte qui explique notre vocabulaire et nos traditions, pouvez-vous nous citer des exemples.

Les correspondances entre le lexique que vous utilisez en Martinique et celui de l’égyptien ancien sont nombreuses. Pourquoi « ich » désigne l’enfant ? D’où vient le mot « dobann » de la célèbre biguine de Saint Pierre ? D’où proviennent les mot « milan », « djendjen », « dègdèg », « lèkètè » ? D’où vient que l’on chante : Aby aby aby kayéman ? La réponse est dans le lexique de l’égyptien ancien, et des langues africaines modernes. Il y a quelques mois, lors d’une conférence à Ducos, une dame m’a parlé de « Lasoté ». Elle me disait ne pas savoir pourquoi il fallait faire un feu avant de débuter le travail des champs. J’ai pu alors lui montrer une image de ce que l’on appelle la sématawy, c’est-à-dire l’alliance égyptienne reposant sur l’union des deux terres, le mariage entre la haute et la basse Égypte. Sur cette fresque ont voyait le pharaon au-dessus de feuilles de papyrus. De part et d’autre, Horus et Seth serraient à les coller des liens noués autour d’un poumon. Les feuilles de papyrus ont exactement pour symbolique le feu en tant que vecteur d’unité nationale. C’est l’union scellée par le feu qui garantit la solidité des liens qui unissent l’Égypte. Mais l’artiste égyptien ne montre pas ce feu. Il préfère user d’un élément homophone en l’occurrence, la feuille de papyrus, parce que la racine « pyr » est commune à cette feuille et au feu. Il en est de même des mariages dans la communauté indienne. Le feu manifeste le vœu d’une union durable entre les deux époux. Nous pourrions aussi parler de la dimension sacrée du bèlè et du rapport qu’il entretien avec les mythes égyptiens. Ce n’est pas les sujets qui manquent. Ce travail d’analyse de notre société dans son contexte bantou initial ne fait que commencer. Ce soir, nous avons démontré que les noms portés par certaines localités de la ville de Pointe-Noire ne sont pas le fruit du hasard. Ils désignent tous des villages en altitude. De toute évidence, ce sont donc nos ancêtres de la société primitive guadeloupéenne qui sont à l’initiative de ces dénominations. Plus tard, l’administration française les recueillera et les francisera. Tomi qui désigne tout à la fois un village, mais une montagne deviendra Thomy. Nkoma, le nom du village mais aussi de la montagne et de l’arbre deviendra Acômat. C’est un fait assez troublant que de comprendre par le biais de ces recherches, la raison fondamentale de notre nomenclature guadeloupéenne. Il en est de même pour la Martinique. Un grand chantier nous attend à ce sujet et c’est par cette nouvelle approche que nous y parviendrons.

Avez-vous conscience du séisme que provoque cette nouvelle approche de la langue dite créole chez tous ceux qui toute leur vie ont défendu l’exact contraire ?

J’ai pleinement conscience que tout cela heurte, mais telle n’est pas mon intention. La recherche scientifique n’est pas une longue route droite et lisse. Notre Univers est toujours le théâtre d’affrontements de forces antagonistes au bout desquels finit par jaillir la lumière. Elle est faîte de rebondissements, de chocs, d’accidents, de stagnations ou d’accélérations fulgurantes. L’Europe croit pendant des siècles la terre plate et au centre de notre système solaire. Arrive Copernic, Giordano Bruno, Galilée, et rien n’est plus pareil. L’Europe réfractaire à la science condamnera Giordano Bruno au bûcher. Mais cela ne changera rien. En dépit des pressions, ces conceptions du passé seront abandonnées. Dans les années 80, la France croit toucher au summum de la communication numérique avec son minitel. Et voilà que débarque internet et tous les postes minitel sont à passer au pilon. A l’heure du smartphone, qui se souvient encore du fabuleux progrès que fut la messagerie intégrée à nos téléphones fixes ? A chaque fois que l’homme fait une découverte, tout un monde s’effondre autour de lui. Voilà pourquoi Descartes déclarait en son temps : « Pour atteindre la vérité, il faut une fois dans la vie se défaire de toutes les opinions qu’on a reçues, et reconstruire de nouveau tout le système de ses connaissances ». C’est exactement la démarche à laquelle j’invite tout un chacun concernant notre langue. Il nous faut accepter de tout remettre en question, de renverser notre perspective afin d’affiner nos connaissances. Il ne s’agit plus de s’arque bouter sur nos prés carrés de certitudes. Il ne s’agit pas non plus de s’enfermer dans le déni.
Malheureusement, beaucoup de nos créolistes considèrent que nous n’avons aucun lien avec l’Afrique. Selon eux, nous nous serions construits tout seuls sur nos territoires respectifs, avec le français pour origine de notre langue. Toute approche panafricaniste est par eux taxée de négriste. « Nous ne sommes pas africains » disent-ils. Tout ceci n’a rien de scientifique. C’est de la pure idéologie. C’est un enfermement. On ferme les yeux, on refuse de voir les évidences, au profit de quoi ? Je me le demande encore. J’aurai préféré, tout au contraire les voir prendre tout cela à bras le corps et contribuer à ces travaux. Je sais qu’ils ne tarderaient pas à produire énormément d’éléments utiles à une meilleure compréhension de nos sociétés afro-descendantes de 2018. J’aurai préféré qu’en leur for intérieur ils se disent : « Nous n’avons pas sacrifié toutes ces années en vain puisque la relève est là.
Elle a compris notre combat. Elle prend sa part de boulot et ne craint pas d’aller au-delà de notre prédicat de départ ». C’est bien dommage que certains perçoivent ces travaux comme un désaveu des leurs. Or, il ne s’agit pas d’une rupture, mais d’une continuité. A dire vrai, je leur dois beaucoup. C’est eux qui m’ont communiqué l’amour de notre langue à une période où d’autres passaient leur temps à la renier. C’est eux qui m’ont donné envie de la défendre, de la chanter, de l’imposer dans la publicité. Mais on ne peut pas inciter les jeunes générations à défendre leur langue et déplorer qu’ils produisent des éléments qui sont de nature à remettre en question les perceptions erronées du passé. J’espère simplement qu’ils oseront au moins analyser les faits. Tous les actes que nous posons au quotidien sont animées d’une pensée symbolique africaine multimillénaire. Si nous ne pouvons-nous en départir, autant en tirer les meilleurs bénéfices.

Comment procédez-vous pour diffuser cette nouvelle approche de la langue dite créole ?

Le livre est sorti voilà bientôt un an, mais je suis conscient que mon travail de présentation ne fait que commencer. A dire vrai, il me faudrait aller à la rencontre de tous les locuteurs woucikam de la caraïbe et de l’Océan Indien. Cela suppose un budget, mais ceci ne doit pas nous dissuader d’avancer. Voilà pourquoi, j’espère revenir très bientôt en Martinique pour des conférences. Plus largement, je continue à sillonner la Guadeloupe et à partager ces éléments dans le cadre d’une rubrique télévisée intitulée Éda misso « ouvrez les yeux » diffusée tous les lundis vers 13 h 35 dans le cadre du talk show ZCL sur canal 10. Je m’attarde surtout à mettre en lumière des éléments ignorés de notre langue. Une chose est sûre, nous devons désormais passer à un stade supérieur. Nous ne pouvons plus nous contenter d’apprendre à bien lire et bien écrire notre langue alors que tant de choses restent à découvrir du point de vue philosophique, étymologique et grammatical. Nous avons également fondé « Lékòl fonbwa woucikam », un atelier pilote où nous étudierons le Cikam (langue de l’Égypte ancienne) directement à partir du woucikam, notre langue actuelle. Nous aborderons également la philosophie bantoue et notre histoire précoloniale. Pour beaucoup d’entre nous, fonbwa, c’est le cœur de la forêt. En réalité, ce terme désigne ce qui est secret, le lieu où l’on se retire pour étudier, la forêt sacrée où le jeune reçoit l’initiation. Le but de cet atelier pilote est donc de réconcilier les guadeloupéens avec eux-mêmes, de restaurer leur estime personnelle et leur donner l’envie d’aller de l’avant en assumant totalement ce qu’ils sont, c’est-à-dire des acteurs de civilisation au même titre que les autres. Enfin, il faut espérer que les éléments présentés dans l’ouvrage woucikam gagnent les bancs de l’université, tout comme la méthode kuma de lecture des hiéroglyphes égyptiens initiée par Dibombari Mbock, un historien et chercheur d’origine camerounaise que nous gagnerions tous à connaître.

Woucikam, origine égyptienne de la langue dite créole, décryptage hiéroglyphique de nos us et coutumes, éditions ékola. Disponible sur :

https://www.carifilnews-events.com/produit/woucikam-tome-1-au-prix-special/

https://www.placedeslibraires.fr/listeliv.php?refgtl=home&base=&select_tri_recherche=&rayon=&codegtl1=9000000&codegtl2=9100000&editeur=Ekola
https://livre.fnac.com/a12136336/Jean-Luc-Divialle-Woucikam