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Usage des pesticides en Martinique : se débarrasser du syndrome du «yenyen an kalson a mizisien»

Dans un contexte de crise identitaire voire sociétale marqué par des mouvements de contestation et aiguisé par l’absence de vraies solutions à l’empoisonnement de la population et des terres au chlordécone, on s’interroge en Martinique sur l’épisode du moment : les arrêtés municipaux interdisant l’usage de certains pesticides sur tout ou partie du territoire communal.

Cette initiative très locale (à l’échelle de la commune du Prêcheur) est louable bien que tardive (en France Hexagonale, les premiers arrêtés municipaux datent d’août-septembre 2019). 

Elle n’a qu’une portée symbolique, l’Etat ayant toujours contesté la légalité de ces arrêtés devant les juridictions administratives.

En dépit des déclarations du Président de la République, des conclusions du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur le chlordécone, l’action de l’Etat s’apparente à l’usage de la cosmétique pour soigner un cancer généralisé.

L’extrême gravité de la situation nécessite au contraire un traitement de fond, d’une intensité et d’une ampleur à la hauteur des dégâts causés et sans commune mesure avec les «plans chlordécone» successifs qui depuis 2008 s’égrènent comme les saisons de séries télévisées (nous en serons au 4ième d’ici 2021), témoignant ainsi de la persistance de problèmes non résolus.

Face à la gravité des dégâts continus sur la santé et sur l’environnement, l’heure n’est plus aux actions symboliques qui ne seraient pas suivies d’effets concrets et immédiats; l’heure n’est pas non plus aux postures politiques opportunes et aux agitations stériles tel le «yenyen an kalson a mizisien» (la mouche du coche).

Au François, nous avons un «Maître ès Yenyen».

Le maire du François, Samuel Tavernier qui déclare apporter un «soutien total» à son homologue du Prêcheur, fait fi d’oublier qu’il est lui aussi maire, et qu’il pourrait manifester autrement qu’en paroles politiciennes sa solidarité écologique à la démarche symbolique entreprise par le maire du Prêcheur, en prenant un arrêté similaire.

Le scandale sanitaire et environnemental du chlordécone impose que nous nous débarrassions du syndrome du  «yenyen an kalson a mizisien» et que nous agissions utilement en faisant peuple.

Faire peuple pour engager résolument une démarche concertée associant notamment élus, agriculteurs, marins-pêcheurs, scientifiques locaux et visant à la signature et à la mise en œuvre d’une «Charte Territoriale Martiniquaise».

Cette charte dotée d’une dimension territoriale et d’application volontaire, élaborée *par nous et pour nous*, devra réaffirmer l’objectif d’un développement agricole diversifié et durable et décrire en particulier sans attendre d’hypothétiques arrêtés ministériels, la nature des produits phytosanitaires autorisés et proscrits ainsi que leurs règles d’utilisation notamment à proximité des habitations (zones tampon,…).

Faire peuple pour lancer une «Grande initiative martiniquaise d’utilité publique» faisant appel à la responsabilité sociétale des entreprises de Martinique et à l’engagement des acteurs de la société civile et des citoyens dans le but de financer des solutions immédiates et concrètes : l’accompagnement des malades (notamment les ouvriers agricoles), la sécurité alimentaire pour tous, la recherche pour la dépollution de nos terres au chlordécone.

C’est au prix de la réalisation de cette double action («Charte Territoriale» et «Grande initiative martiniquaise d’utilité publique») dépassant les seuls intérêts particuliers que nous serons en capacité d’agir utilement pour notre territoire dans son ensemble, pour nous-mêmes et pour les générations futures.

François-Christophe URSULET