Par Etienne Lefevre
*Nestlé, Pernod Ricard, Béghin-Say, Allianz France… la Banque Hottinguer qui a coulé récemment.
Pourquoi s’intéresser à une époque aujourd’hui révolue ? Parce que les comptes sont loin d’être soldés, et que l’époque est aux contre-vérités tragiques concernant notamment le poids des Pays des Océans… Et parce qu’une partie de cette classe bourgeoise privilégiée, gavée, repue, est capable d’insulter sans vergogne des populations scarifiées par l’Histoire.
Parce que la Martinique et les autres territoires sont devenus des proies faciles dans les mains sales de prédateurs avides dans une tournante sans fin dans les cales de l’histoire.
Merci au travail de mémoire de Armand NICOLAS.
Au XVIIIᵉ siècle, la France s’enorgueillit d’être le berceau des Lumières, de la raison et de la liberté. Pourtant, dans le même temps, sa prospérité économique et son rayonnement intellectuel reposent sur l’un des systèmes les plus inhumains que l’histoire ait connus : l’esclavage colonial.
Derrière les salons philosophiques de Paris et les façades élégantes des ports atlantiques se cache une vérité abjecte : ce sont les esclaves noirs des Antilles qui ont porté sur leur dos le capitalisme français naissant.
Le « triangle » des Antilles, moteur invisible de la richesse française
Dans les années 1770, près de 30 % des ventes françaises provenaient de denrées coloniales réexportées. En 1790, la France importait des Antilles 150 000 tonnes de produits, dont 100 000 tonnes de sucre. Des chiffres vertigineux : le sucre est alors l’or blanc, plus rentable que n’importe quel métal. Et derrière chaque once de sucre, il y a le sang et la sueur d’un esclave africain.
Les îles à sucre Saint-Domingue, la Martinique, la Guadeloupe étaient les poumons économiques du royaume. Saint-Domingue seule produisait les deux tiers du commerce extérieur français, 40 % du sucre mondial et 60 % du café consommé en Europe. Cette prospérité irrigue les grands ports : Nantes, Bordeaux, La Rochelle, mais aussi Le Havre et Marseille. Le commerce triangulaire fait circuler les marchandises, les hommes… et les profits surtout, massifs, colossaux.
Du sang noir aux dorures des salons, les fortunes coloniales financent :
la construction des quais et places royales,les banques (Crédit industriel et commercial, maisons de négoce, compagnies maritimes),les raffineries de sucre et manufactures métropolitaines,et même la production intellectuelle : mécénat des arts, financement des imprimeries, des journaux, des voyages savants.En d’autres termes : les esclaves ont financé les précieuses Lumières.
Les cafés où l’on lisait L’Encyclopédie, les bibliothèques de Voltaire ou de Diderot, les beaux quartiers où l’on discutait de liberté, étaient bâtis sur des richesses extraites des plantations.
Le paradoxe des Lumières, un éclairage sélectif …
Le siècle des Lumières se voulait celui de la Raison et des Droits de l’Homme. Pourtant, la plupart des philosophes gardèrent le silence ou justifièrent la hiérarchie raciale.
« Voltaire, qui reçut en héritage « trois actions de la Compagnie des Indes » et souscrit, ainsi qu’en témoignent des documents contractuels, en 1746 et 1749, à des emprunts lancés par la Compagnie des Indes, avait une bonne connaissance de cette Compagnie et de son fonctionnement, et lui vouait même un attachement d’ordre affectif, comme le montre sa correspondance.
On peut donc admettre que c’est en toute connaissance de cause qu’il a tiré profit, de manière indirecte, par le biais de cette Compagnie, du commerce négrier. »*
Seuls quelques rares penseurs Condorcet, Raynal, l’abbé Grégoire dénoncèrent la contradiction morale entre la Déclaration des droits de 1789 et la traite négrière. Mais la France révolutionnaire elle-même n’abolira l’esclavage qu’en 1794, pour mieux le rétablir en 1802 sous le grand commis de la bourgeoisie … Bonaparte.
Une dette historique
Ce sont pourtant ces esclaves, en se révoltant à Saint-Domingue dès 1791, qui feront tomber ce système monstrueux et fonderont la première république noire libre du monde : Haïti. Ironie tragique : la France exigera ensuite à Haïti, en 1825, une “indemnité de 150 millions de francs or” pour compenser la perte des esclaves et des plantations. Autrement dit, les victimes ont dû payer leurs bourreaux.
Le capitalisme français, un héritage colonial… qui mériterait une taxe Zucman de 98%
L’accumulation du capital dans les ports atlantiques a permis :
le financement des banques modernes (celles des scandales fiscaux et du nazisme)la montée d’une bourgeoisie d’affaires qui n’a jamais lâché les commandes,et la constitution d’un capital industriel et financier qui servira de base au capitalisme français du XIXᵉ siècle.Le capitalisme français est donc né d’un crime économique et moral : celui de l’esclavage. Loin d’être une simple “tache” dans l’histoire, il en est la matrice.
Zot ka dwé nou !
Les esclaves actionnaires exigent la liquidation des comptes
Reconnaître cette vérité n’est pas un exercice de culpabilité, mais de lucidité #BrunoRetailleau !. Car tant que la France n’aura pas pleinement admis que sa richesse, sa culture et même ses idéaux sont nés sur la servitude des Noirs antillais (bon on aborde pas les autres colonies dans ce chapitre), elle continuera de vivre dans une illusion de grandeur perdue.
Or de grandeur en France, il n’y en a pas, ou en tout cas pas la. Les esclaves n’ont pas seulement porté la canne à sucre. Ils ont porté le capitalisme français sur leurs épaules, et financé les Lumières d’une Europe qui les tenait dans l’ombre et qui depuis les a jetés aux oubliettes.
*Les « trois actions de la Compagnie des Indes » figurent dans le testament de François Arouet . Par la suite, entre 1746 et 1749, Voltaire avait acheté des billets de loterie correspondant aux rentes viagères à 10 %, créées en 1724 par la Compagnie pour augmenter son capital. « Mémoire sur l’état présent de mes affaires » (avril 1768).














