
Ces derniers mois, plusieurs affaires ont secoué les institutions judiciaires dans les Outre-mer français. En Martinique, des soupçons de détournement de fonds et de harcèlement au sein du CDAD. En Guadeloupe, des dysfonctionnements graves autour de la CARPA du barreau. Et tout récemment à La Réunion, deux hauts magistrats sont visés par une enquête préliminaire pour corruption présumée. Hasard ou symptôme d’un mal plus profond ?
🔍 Une même toile de fond : pouvoir, opacité, argent public
Ces affaires, aussi différentes soient-elles dans leur forme, présentent un point commun : elles mettent en cause la gouvernance et l’intégrité d’acteurs clés de la justice, dans un contexte de faible transparence, d’autocontrôle insuffisant et de pression hiérarchique.
En Martinique, l’affaire du CDAD (Conseil Départemental d’Accès au Droit) a éclaté en mars 2024. La présidente du tribunal judiciaire, également à la tête du CDAD, est visée par une enquête du Parquet national financier (PNF), puis du Parquet européen. En cause : des soupçons de détournements de fonds publics, de harcèlement moral et de conflits d’intérêts. Le signalement est venu de l’intérieur, par une employée se disant harcelée après avoir soulevé des irrégularités budgétaires.
À La Réunion, l’affaire est plus récente mais tout aussi lourde. Deux magistrats — dont un procureur de la République et un ancien président du tribunal judiciaire — sont soupçonnés de corruption passive et de violation du secret professionnel. Ils auraient communiqué des informations confidentielles à un chef d’entreprise en échange de services ou d’avantages personnels. Une enquête est en cours, mais les faits s’ils étaient avérés, seraient d’une gravité extrême, touchant le cœur de la probité judiciaire.
Quant aux affaires de CARPA en Guadeloupe et Martinique, elles relèvent d’un autre registre : celui de la gestion associative des fonds déposés par les avocats au nom de leurs clients. Si les cas sont moins spectaculaires, ils n’en restent pas moins préoccupants. À Basse-Terre, un avocat a été suspendu pour six mois, soupçonné de malversations. Au même moment, le barreau de Guadeloupe est confronté à des tensions internes autour de la gestion opaque de sa CARPA : plus de 460 000 € de cotisations impayées, un climat de défiance, et une gouvernance remise en cause.
⚖️ Justice pénale, justice disciplinaire : deux vitesses ?
Ce qui frappe dans cette série noire, c’est l’inégalité des traitements selon les statuts.
Pour les magistrats, la discipline relève du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Si les faits sont graves, des sanctions allant jusqu’à la révocation sont possibles. Mais les procédures sont longues, souvent opaques, et rarement suivies de sanctions exemplaires.
Pour les avocats, c’est le Conseil de l’ordre et la Cour d’appel qui sont compétents. Les suspensions sont plus visibles et plus fréquentes, mais concernent souvent des fautes individuelles, sans portée institutionnelle.
Enfin, les structures comme le CDAD ou la CARPA échappent souvent au contrôle effectif de l’État, alors même qu’elles manipulent des fonds publics ou para-publics.
Dans l’affaire du CDAD, le fait que des subventions européennes soient concernées a entraîné la saisine du Parquet européen, une première dans ce type d’affaire en Outre-mer. Cela marque un changement de dimension : les justiciables locaux ne sont plus seuls à scruter les dérapages — l’Europe entre dans le jeu.

🧨 Ce que ces affaires disent du système
Au-delà des cas individuels, c’est la gouvernance même des institutions judiciaires locales qui est en question. Ces dossiers révèlent une série de fragilités structurelles :
Un contrôle interne trop faible dans les juridictions et les associations judiciaires ;
Des zones grises entre fonctions judiciaires et responsabilités administratives ;
Une culture de l’impunité hiérarchique, où les alertes éthiques sont souvent étouffées ou retournées contre les lanceurs d’alerte ;
Et un décalage profond entre les principes déontologiques et la réalité des pratiques locales.
À cela s’ajoute une crise de confiance généralisée envers la justice en Outre-mer, exacerbée par ces scandales qui touchent précisément les personnes chargées de faire appliquer la loi.
🛠️ Quelles pistes pour sortir de l’ornière ?
Plusieurs leviers de réforme sont désormais incontournables :
- Renforcer les contrôles financiers des CDAD, CARPA et autres organismes par des audits réguliers de la Cour des comptes et de l’Inspection générale de la justice.
- Créer une autorité indépendante de déontologie judiciaire pour les Outre-mer, avec pouvoir d’enquête et de saisine automatique.
- Protéger activement les lanceurs d’alerte dans les juridictions, y compris contre les représailles hiérarchiques.
- Former les magistrats et avocats à la gouvernance éthique, notamment en matière de conflits d’intérêts, de financement public, et de responsabilité administrative.
- Et surtout : rompre le silence institutionnel. Ces affaires doivent être dites, comprises, traitées — pas niées ou enterrées.

📌 En conclusion : la justice ne peut juger si elle n’est pas elle-même exemplaire
Que ce soit en Martinique, en Guadeloupe ou à La Réunion, la justice traverse une crise silencieuse mais profonde. Si elle veut continuer à rendre des décisions justes et respectées, elle doit d’abord se regarder en face, reconnaître ses failles, sanctionner ses abus… et surtout, reconstruire la confiance.
Car sans justice juste, il ne reste que la loi du plus fort — ou du plus haut placé.
Au fait petit oubli concernant la Guadeloupe…
le dossier Claire Lanet, était, ce vendredi 23 mai, devant le tribunal correctionnel de Basse-Terre . L’ancienne procureure de la République en poste à Nouméa était poursuivie pour avoir de 2019 à 2021 à 5 reprises divulgués des documents juridiques confidentiels et donc violé le secret professionnel. Le dossier a été renvoyé au 28 novembre prochain, en raison de l’absence de l’avocat de la défense. Ça sent le guacamole. À suivre…