Questions à Christophe Girardier, président de Bolonyocte à l’occasion de son intervention aux Assises Populaires contre la vie chère des 12 au 14 juin 2025 à La Martinique
Vous êtes l’auteur de plusieurs rapports relatifs aux réalités du marché de la
distribution généraliste de différents territoires d’Outre-mer, portant notamment
sur le modèle économique de ce secteur majeur, sur sa situation concurrentielle,
comme sur la formation des prix et notamment les mécanismes de vie chère,
vous avez été entendu par le Sénat, l’Assemblée Nationale et même par le CESE,
quelle est la signification de votre participation aux Assises Populaires contre la
vie chère ?
J’ai en fait été contacté par les organisateurs de ces Assises Populaires contre la vie chère,
notamment par les députés Nadeau et Nilor, la Maire de Ducos, mais aussi par le leader du
Rpprac, Rodrigue Petitot. Intéressé par mes différents travaux sur ce thème si majeur et délicat
de la vie chère en Martinique et en Outre-mer en général, thème sur lequel j’ai il est vrai
beaucoup travaillé, ils souhaitaient ma contribution à ses assises.
Je considère cette initiative à la fois comme opportune et même louable, en cela on ne peut que
s’en réjouir, car dans le contexte très tendu sur ce thème à la Martinique mais aussi dans bien
d’autres territoires d’Outre-mer, rien n’est plus important que de laisser place à la réflexion et
aux débats citoyens. Ces Assises interviennent de plus au meilleur moment pour nourrir le débat
sur le projet de loi contre la vie chère qu’a annoncée le ministre d’état Valls. J’ai donc accepté
cette invitation, en ma seule qualité d’expert indépendant, libre, qui se doit à mon sens, de jouer
son rôle pour éclairer la réflexion, des citoyens, des entreprises ou des décideurs politiques,
quelles que puissent être leurs convictions, situation ou tendances politiques, et des lors qu’elle
se situe dans le débat républicain et respectueux des uns et des autres, ou même dans l’action
citoyenne légitime et pacifique.
Comment comptez-vous contribuer à ces Assises contre la vie chère
et sur quels thèmes portera votre intervention ?
Le programme de ces Assises contre la vie chère, me semble riche, intéressant et pertinent, qui
augure des débat utiles très nourris. J’apporterai ma contribution sur les thèmes des facteurs
structurels de la vie chère et du nouveau modèle économique à dessiner pour y mettre un
terme, autant de thèmes qui se trouvent être les sujets de base de mes rapports. J’aurais
également des réflexions à partager sur la séquence consacré au transport et à la fiscalité.
Plus spécifiquement j’aborderai dans mes interventions les aspects suivants :
Les causes structurelles de la vie chère dans les département d’outre mer et à la
Martinique en particulier
La question de la fiscalité, est elle oui ou non un facteur de vie chère
La situation particulière du groupe GBH en Outre- mer et à la Martinique en particulier
(j’aborderai la question de ses performances économiques, de sa part de marché dans
les secteurs où il est présent et de son pouvoir de marche de façon générale)
Le nouveau modèle économique à inventer pour en finir avec la situation actuelle des
départements d’Outre-mer, qui n’a pas renoncé aux principes concentrateurs de
l’économie de comptoir
Les enjeux de la future loi annoncée par le ministre Walls et les dispositions qu’elle doit
nécessairement intégrer, pour qu’elle atteigne les objectifs que lui a assignés le ministre
lui-même.
Les acteurs de la distribution et notamment les dirigeants du groupe GBH,
affirment que la cherté de la vie en Martinique et notamment des produits
alimentaires s’expliquent principalement par les effets de l’éloignement de notre
île et donc par tous les frais d’approches qui en résulte, partagez-vous cette
analyse et quels sont selon vous les causes principales de la vie chère à la
Martinique et dans les départements d’Outre mer en général ?
L’éloignement des territoires d’outre-mer, les frais d’approches qui en résultent et l’octroi de
mer, considérés à tort par la plupart des acteurs, comme la cause principale de la vie chère, ne
sont pas de loin les facteurs déterminants, en moyenne les frais d’approche représente de 7 à
10% du prix d’un produit de grande consommation. D’ailleurs si la loi que prépare le Ministre
Valls se limitait à agir sur ces causes, elle resterait sur l’écume des vagues. Le facteur
déterminant de la vie chère en outre-mer est en réalité le modèle économique et social qui
prévaut dans ces territoires, qui n’a jamais vraiment rompu avec les principes de « l’économie
de comptoir », où prévalent des situations de domination extrême des territoires, par quelques
acteurs à structure conglomérale.
Les déterminants majeurs de la vie chère sont à rechercher dans les réalités structurelles de
ces territoires d’outre-mer. La France a laissé se répliquer en Outre-mer le modèle de
développement de la métropole, ce modèle dont les effets ont déstabilisé l’équilibre
économique, social et même environnemental de ces territoires en ce qu’il n’ont pas créé
suffisamment de valeur pour les populations locales. Il n’a jamais été adapté à leurs
nombreuses spécificités en particulier pour ceux insulaires. Un des marqueurs les plus
structurant de ce modèle, le secteur de la distribution avec le développement excessif des
grandes surfaces, concentrateur par essence, qui a sinistré le tissu majeur du commerce de
proximité et tout son écosystème de production local fondée sur des petites ou micro-
exploitations.
Autre marqueur, le modèle économique des grandes surfaces fondé notamment sur le principe
des marges arrières excessives, qui par ses effets inflationnistes, est une des causes majeures
et structurelles de la vie chère.
L’hyper-concentration des marchés du secteur de la distribution et de la grande consommation,
et façon générale de la plupart des marchés structurant l’économie : l’énergie, les transports, la
distribution, le BTP, et même la production agricole, est aussi une cause majeure de la cherté
de la vie, à laquelle il faut en plus ajouter la constitution de véritables conglomérats, au pouvoir
de marché décuplé leur permettant d’exercer une quasi domination de l’économie des
territoires au détriment des autres acteurs, de leurs équilibres économiques, comme de leur
attractivité.
Ce sont là les vraies causes.
Le groupe GBH a été contraint de publier ses comptes, par injonction judiciaire,
son dirigeant Stéphane Hayot a déclaré que la performance économique de son
groupe était très inférieure à celle observée pour les grands groupes du Cac 40,
quelles analyse faites-vous de ses comptes désormais rendus publics ?
Cette affirmation est aussi inexacte que choquante. J’ai pu en effet examiner et analyser en détail
non seulement les comptes consolidés du groupe GBH mais aussi ceux de la Holding qui
contrôle l’ensemble des entités de GBH, contrôlée par Bernard Hayot lui-même. Factuellement
et objectivement, il résulte de mon analyse, que GBH est l’un des principaux contributeurs à la
vie chère dans les territoires d’Outre-mer et notamment à La Martinique, en Guadeloupe et à La
Réunion, par une pratique de marge très élevée au regard de celles du secteur, et du fait d’un
pouvoir de marché dominant sur le marché de la grande consommation que d’ailleurs le rachat
de Vindémia en 2020 à décuplé.
Plus précisément avec un Chiffre d’affaires consolidé de près de 5 Milliards d’€ en 2023, dont 2
Milliards réalisés uniquement à La Réunion, 800 Millions à La Martinique et 750 Millions à La
Guadeloupe, GBH réalise une performance très singulièrement élevée, avec une marge
commerciale de 1,7 Milliard d’€, soit 35% du chiƯre d’aƯaires, là ou le taux de marge du secteur
de la distribution est de 20% (selon l’INSEE). Le bénéfice net part du groupe ressort quant à lui à
227 Millions d’€, soit 4,6 % du ChiƯre d’aƯaires là ou il est de l’ordre de 1,5 à 2% dans le secteur
( le groupe Carrefour est à 1,8), GBH réalise ainsi près de deux à trois fois plus de bénéfice
rapporté à son CA que les groupes de même profil.
Quant à La Holding du groupe GBH (contrôlant près de 300 sociétés filialisées) à elle seule, a
réalisé en 2023 un chiƯre d’aƯaire de 90 Millions €, et un bénéfice net de 139 Millions d’€. Avec
des capitaux propres à hauteur de 924 Millions d’€, elle dispose d’une réserve de 900 Millions
d’€ (bénéfices accumulés à date).Ses actionnaires (Bernard, Stéphane et Rodolphe Hayot), se
sont distribués ensemble des dividendes à hauteur de 8 Millions d’€ en 2023, et 19 Millions en
2022 . De plus l’opération de rachat de Vindémia par GBH, a conduit objectivement à un
renforcement très significatif du niveau de concentration du marché, clairement défavorable au
pluralisme concurrentiel.
A la lumière d’une analyse objective des comptes consolidés du groupe GBH, non seulement
celui-ci se trouve bien en situation de domination de l’économie de la plupart des territoires
d’outre mer notamment à La Réunion ou en Martinique, ou il totalise de 45% à 50% des
dépenses de consommation courante des ménages (alimentaires, équipement de la maison et
de la personne, sport, bricolage, voiture, …), à La Martinique, en Guyane et à Mayotte, mais ses
comptes montrent clairement une pratique de marges très supérieures à celles observées dans
le secteur de la distribution. Une pratique rendue possible par son pouvoir de marché, lequel à
été décuplé par les effets de l’opération de rachat de Vindemia, lui aussi considérable et
dominant au regard de celui de ses concurrents mais aussi de ses fournisseurs.
Les résultats financiers du groupe GBH établissent donc par eux-mêmes que cet acteur est l’un
des principaux contributeur à la vie chère en Outre Mer, par sa domination excessive de
l’économie des territoire ou il est implanté et son exercice tout aussi excessif du modèle
économique de la grande distribution et notamment de ses marges, en particulier les marges
arrières.
Le ministre des Outre Mer a annoncé les premiers contours de son projet de loi
de lutte contre la vie chère , qu’il entend faire voter d’ici l’automne prochain, quel
regard portez-vous sur ces premières orientation et quelles mesures devrait-elle
intégrer selon vous pour atteindre ses objectifs aƯichés par le ministre ?
D’abord, on ne peut que louer le volontarisme du Ministre d’état Valls et l’ambition qu’il affiche
lui-même pour la loi de lutte contre la vie chère qu’il entend soumettre au Parlement. Il qualifie
son projet de loi, je cite comme «Un plan de bataille complet et structurel qui s’attaque
méthodiquement à tous les facteurs expliquant la cherté de la vie».
Dans le contexte politique actuel, il est vrai qu’il y une opportunité unique pour l’adoption d’une
loi structurante, en cela la responsabilité du Ministre des Outre-mer face aux revendications non
seulement pertinentes et légitimes de nos compatriotes de Martinique, est immense.
Mais là encore il faut passer des bonnes intentions aux actes concrets et dans la situation
actuelle des départements d’Outre-mer et de la Martinique, il convient d’appeler à une prise de
conscience collective des pouvoirs publics et des parlementaires, de l’urgence absolue de
mettre fin à ce modèle économique ou les principes de l’économie de, comptoir prévalent
encore, qui doit les conduire à réformer profondément le cadre réglementaire de l’organisation
de l’économie des territoires d’Outre-mer insulaire et notamment celui du contrôle des
concentrations dans ces mêmes territoires.
A mon sens la situation exige non pas des évolutions ou autres réformettes, mais un véritable
changement de paradigme pour les territoire d’Outre Mer, pour dessiner un nouveau modèle de
développement de nature à révéler le potentiel et les richesses économiques et culturelles
méconnues de chacun entre eux et surtout, à créer les conditions d’un développement
endogène au bénéfice des populations locales.
Si le ministre entend atteindre les objectifs qu’il aƯiche voici les dispositions, que j’ai
présentées aux parlementaires et que son projet de loi doit nécessairement intégrer d’une façon
ou d’une autre :
D’abord, face aux multiples erreurs de droit commise par l’actuelle Autorité de la Concurrence,
la création d’une Autorité de la concurrence spécialisée pour l’Outre-mer. Elle prendrait la
forme une section spécialisée de l’actuelle Autorité de la Concurrence avec des pouvoirs
propres Cette section spéciale outre-mer serait dotée de pouvoirs spécifiques, notamment la
régulation des pratiques anti-concurrentielles, mais également des pratiques restrictives de
concurrence.
L’obligation de transparence des comptes annuels de tous les acteurs, sous peine de sanctions
fortement dissuasives Cette obligation serait imposée aux groupes de distribution dominants,
qui serait contraints de déposer chaque année auprès de l’ Autorité de la concurrence Outre-
Mer, les comptes individuels et les comptes consolidés de toutes les filiales qu’elles contrôlent.
La fixation d’un plafond de 25% de part de marché par acteur, la seule mesure de nature à
enrayer la spirale de la concentration de l’économie. Elle interviendrait par le moyen
d’injonctions structurelles, mise en œuvre de procédures administratives de régulation des
parts de marché afin de la ramener la part de marché au niveau de la norme précitée.
L’encadrement des marges arrières, leur intégration dans les factures d’achat et la transparence
des acteurs pour leur contrôle. En affirmant un principe essentiel de transparence, en imposant
de faire figurer les marges arrières sur la facture d’achat afin d’en vérifier l’équité et l’absence de
déséquilibre significatif de la relation commerciale. En imposant aussi une restitution aux
consommateurs d’un minimum de 50% de leur valeur négociée.
La déconstruction des conglomérats, pour les marchés de la distribution généralistes ou
spécialisées et donc des structurations « verticales » et de la présence d’un même acteur sur les
marchés amont et aval. Cette disposition interviendrait par la mise en œuvre systématique
d’injonctions structurelles lorsque ces conglomérats aƯectent les équilibres économiques des
territoires voire engendre des positions monopolistiques de marché.
Le gel des implantations de surfaces commerciales de plus de 1 500 m² dans la distribution
généraliste.
La fixation d’une redevance parafiscale au m² des grandes surfaces au-delà de 2000 m², au
profit d’un fond de développement de dédié à l’économie locale et notamment le commerce de
proximité indépendant, dont la gestion serait confiée à l’exécutif régional.
La fin des principes de l’économie de comptoir et l’affirmation de ce nouveau paradigme, sont à
ce prix politique !